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Intervention de Marie-France Hirigoyen

Réunion du 17 février 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Marie-France Hirigoyen :

Le mari violent manipule parfois les enfants en faisant jouer à l'une des filles, par exemple, le rôle de petite femme de la maison.

Il faut souligner qu'il n'y a jamais violence physique s'il n'y a pas eu auparavant violence psychologique. Un homme qui frappe sa femme n'a pas pour objectif qu'elle ait un oeil au beurre noir ; il veut la soumettre et qu'elle soit docile. En réalité, la violence physique surgit lorsque l'homme perd le contrôle de sa femme. Après la première agression physique, il n'est pas besoin de recommencer à frapper : la menace suffit. Les femmes vivent dans la peur, mais après ces premiers coups, la violence physique est exceptionnelle. Demeure la violence psychologique ; la menace en est une forme. Toutes les femmes qui subissent ces agissements disent que les traces des violences physiques disparaissent mais que les humiliations laissent des traces indélébiles. On notera à ce sujet les conclusions d'une étude américaine selon lesquelles la moitié des femmes hospitalisées dans des services de psychiatrie sont maltraitées par leur conjoint.

Les procédés de violences sont stéréotypés. Je citerai en premier lieu le contrôle, c'est-à-dire la possession et la surveillance, qui s'exerce au prétexte de la jalousie : « Je t'aime, je veux savoir ce que tu fais ». La femme est l'objet d'une suspicion constante, l'homme lui attribuant des intentions non fondées.

La violence psychologique se caractérise aussi par un isolement imposé. La femme est éloignée de sa famille et de ses amis et, très souvent, empêchée de travailler correctement, pour qu'elle ne soit pas trop indépendante.

La violence psychologique se caractérise encore par des atteintes à l'identité, par des humiliations, le dénigrement, le mépris. Elle prend aussi la forme du harcèlement : l'homme répète indéfiniment la même chose jusqu'à ce que la femme cède. Selon les récits qui me sont faits, cela se passe très souvent au cours de trajets en voiture, l'homme contraignant la femme à dire ce qu'il veut lui faire dire en conduisant de plus en plus vite et en brandissant la menace de précipiter la voiture dans le décor.

Ces comportements s'accentuent lorsque la femme menace de partir, et quand elle est effectivement partie. On assiste alors à du harcèlement par intrusion, des appels téléphoniques incessants au cours desquels l'homme alterne gentillesses et menaces : « Je t'aime, je veux que tu reviennes », puis : « Reviens, sinon je te fais la peau ».

La violence psychologique, ce sont aussi les menaces – menace de coups, menace de représailles sur la famille, menace de laisser la femme sans argent, menace de ne plus la laisser voir ses enfants si elle part, menace de s'en prendre aux enfants eux-mêmes, intimidations en tous genres… L'homme fait régner une atmosphère de peur ; la femme en est fragilisée et paralysée. Elle l'est d'autant plus que le conjoint vise les failles émotionnelles. Ainsi, une femme vivait dans la terreur car son mari la menaçait de révéler un secret de famille : un des membres de sa famille avait été pédophile, et l'époux martelait que si cela se savait, on lui retirerait la garde de ses enfants. Cette femme était magistrate ; elle n'aurait pas dû se laisser impressionner. Mais la violence psychologique plonge celles qui en sont victimes dans le doute et la confusion au point que la peur les empêche de raisonner.

À cela s'ajoute un renversement permanent de la culpabilité : « Si je me comporte ainsi, c'est que tu n'es pas ce que tu devrais être », dit souvent l'homme agresseur. J'ai en tête le cas d'une femme soumise à la violence d'un mari haut fonctionnaire et qui a déposé plainte contre lui. À dater de ce moment, le discours de l'homme a été : « À cause de toi, je risque de perdre mon emploi et d'aller en prison, et tu n'auras plus d'argent ».

Plus la violence dure et moins la femme est capable de s'extraire de cette situation. Ici apparaît le phénomène dit « d'impuissance apprise » que Henri Laborit a le premier mis en évidence. Il ressort de ces expérimentations que lorsqu'un animal de laboratoire est soumis à une violence imprévisible sur laquelle il ne peut rien, il est si désorienté que même si sa cage est ouverte, il n'en sortira pas. D'autres études menées par la suite ont montré que des personnes subissant des violences aléatoires se trouvent incapables d'imaginer une solution pour en sortir. Si l'on comprend très vite que l'on est pris dans un piège, on peut en sortir au début ; ensuite, les choses deviennent de plus en plus difficiles. Autant dire que les femmes ne se complaisent pas dans cette situation par masochisme mais parce qu'elles sont piégées et qu'elles subissent une emprise toujours croissante, qui les transforme progressivement et leur fait perdre leur intelligence.

Il faut aussi insister sur la honte et l'humiliation que sont en soi le fait d'être victime et de ne pas arriver à s'en sortir. Il y a aussi un renversement de la culpabilité, la femme se sentant responsable de ce qui lui arrive. Cela tient à ce que la femme est supposée être la gardienne du foyer ; très souvent, les femmes expliquent que si leur conjoint est violent, c'est parce qu'elles ne font pas ce qu'il faut pour qu'il soit calme…

La première difficulté à laquelle se heurtent les femmes victimes de ces comportements est de trouver un interlocuteur avec lequel analyser la gravité de la situation, une difficulté supplémentaire tenant à ce que, très souvent, il n'y a pas de preuve des violences psychologiques. Je comprends que l'on ait peur de judiciariser ces questions, car on craint les manipulations. Toutefois, on ne peut simuler la peur, et les professionnels savent la repérer. Ils peuvent aussi repérer que la santé d'une femme se détériore. Pour apprécier tout cela, on dispose d'une liste d'indices de gravité.

La violence psychologique est construite en strates successives. Cela commence par le dénigrement, de petites attaques, des tentatives de contrôle, tous actes isolés. Ensuite vient la maltraitance psychologique puis la maltraitance physique et les coups, enfin l'homicide. Si l'on veut intervenir avec succès, il faut le faire au plus tôt, pour protéger les femmes lorsqu'elles sont dans une phase qui permet encore de les aider.

Au nombre des indices de gravité, on distinguera ce qui relève de l'auteur des violences et de la relation entre les membres du couple. S'agissant de l'auteur des violences, il faut citer la dépendance de l'homme à sa compagne, une impulsivité incontrôlée ou mal contrôlée, la dépendance à l'alcool et à la cocaïne, la jalousie délirante, des traits de caractère paranoïaques – ceux-là sont ceux qui tuent.

Dans la relation entre les époux, l'indice de gravité extrême est bien entendu la menace de mort, d'autant plus crédible que la vie de couple a été prolongée ou que la menace est exprimée dans les six mois qui suivent la séparation. À ce sujet, il faut évoquer la difficulté supplémentaire suscitée par la longueur des procédures judiciaires. Cela ajoute à l'inextricable de la situation des femmes qui souhaitent quitter un conjoint violent. Elles sont en pleine confusion, elles n'ont pas d'autonomie financière et elles savent que la procédure sera longue et complexe, surtout s'il y a des enfants. Il serait donc souhaitable d'instituer un magistrat référent chargé de coordonner le traitement global des différentes procédures – pénale, civile et familiale.

La femme médecin dont j'ai évoqué le cas précédemment a fini par s'en aller mais, mal conseillée par son avocat, elle est partie sans ses enfants. Le juge aux affaires familiales en a confié la garde au père, prenant pour argent comptant les arguments de ce dernier, qui avait expliqué que sa femme était une hystérique qui s'automutilait. En appel, le magistrat a démontré qu'il était impossible de s'infliger seul les blessures qui lui avaient été rapportées mais les enfants avaient témoigné contre leur mère pour protéger leur père de la prison et, à ce jour, la mère ne voit toujours pas son fils. Quant au père, il a été condamné à six mois de prison avec sursis et à une amende qu'il n'a jamais versée et il a quitté la région pour empêcher la mère de voir ses enfants. Après quoi, le juge a considéré qu'il n'y aurait pas de sens à confier les enfants à la mère, puisqu'ils sont sous l'emprise du père et ne souhaitent pas la voir… Cette femme a retrouvé son énergie et elle a un niveau culturel qui lui permet de se défendre. Malgré cela, elle n'y arrive pas. Imaginez ce qu'il en est pour les autres ! Même si les associations font un travail remarquable, les femmes démunies ne savent pas vers qui se tourner. La situation est particulièrement délicate pour les femmes qui n'ont guère de moyens, mais trop pour prétendre à l'aide juridictionnelle. Celles-là, si elles n'ont pas de famille, renoncent à entreprendre une procédure pour des questions d'argent.

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