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Intervention de Jacques de Maïo

Réunion du 26 novembre 2008 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Jacques de Maïo, responsable du Comité international de la Croix-Rouge en Afghanistan :

Après avoir brièvement présenté l'action du CICR en Afghanistan, je vous exposerai notre analyse de la situation politico-humanitaire actuelle, avant d'adresser aux élus que vous êtes un ensemble de messages.

Le CICR n'est ni une ONG, ni une organisation internationale. Nous sommes une organisation privée avec un mandat international qui, conformément aux conventions de Genève, fait de nous les gardiens et les promoteurs du droit international humanitaire. Ce droit spécifique, ou « droit de la guerre », qui s'applique dans les situations de conflit armé, internationales ou non, comporte une composante opérationnelle d'assistance et de protection des victimes desdits conflits.

Présents en Afghanistan depuis les années quatre-vingt, nous y comptons plus de 1 400 agents, dont 110 expatriés, opérant principalement dans les régions les plus affectées par le conflit actuel. Surtout, nous y sommes aujourd'hui la seule organisation à entretenir un dialogue structuré avec l'opposition armée, y compris, mais non exclusivement, avec les talibans.

Notre activité repose principalement sur la protection et l'assistance. Notre activité de protection est double : il s'agit d'abord d'assurer un traitement humain et digne à toutes les personnes détenues par les autorités afghanes ou par les forces de la coalition – je pense en particulier aux personnes internées à la prison américaine de Bagram, dont le statut légal équivaut à celui de Guantanamo. Mais c'est notre activité de protection de la population civile qui, j'imagine, vous intéresse tout particulièrement, dans le cadre de notre mission de contrôle du respect du droit international humanitaire. Elle nous impose d'intervenir sur toute allégation sérieuse de violation du droit international humanitaire liée à la conduite des hostilités. Un élément non négligeable de notre mission de protection vise enfin à rétablir les liens familiaux, entre les détenus et leur famille, mais aussi entre les personnes que le conflit a séparées, civils réfugiés ou populations déplacées, quelle que soit la zone géographique en cause.

Le CICR est un acteur majeur de l'assistance, particulièrement dans le domaine médical. On estime à 300 000, dans les zones affectées par le conflit, le nombre des personnes bénéficiant des services médicaux fournis par le CICR, en collaboration étroite avec des ONG et surtout avec le Croissant rouge afghan, seule institution nationale afghane, avec l'armée, à couvrir l'ensemble du territoire afghan. Quatre-vingt mille handicapés sont traités dans des infrastructures que nous soutenons sur l'ensemble du territoire, telles que des centres orthopédiques ou des centres de physiothérapie. Cet énorme travail profite évidemment en premier lieu aux blessés de guerre, civils ou militaires, membres de l'armée afghane ou de l'armée d'opposition.

Le CICR conduit enfin des actions d'assistance d'urgence aux déplacés et aux résidents victimes directes des hostilités, en particulier dans le sud, le sud-est et l'est du pays. Ce sont environ 300 000 personnes qui sont assistées directement par le CICR à ce titre.

L'action du CICR est totalement distincte et indépendante, tant de celle des Nations unies que de l'action humanitaro-militaire déployée par la communauté internationale au travers du gouvernement afghan.

En ce qui concerne la situation de l'Afghanistan, il serait absurde de nier les immenses progrès réalisés dans de nombreux domaines. L'Afghanistan a désormais un État, une assemblée démocratiquement élue, une Constitution et un gouvernement qui continue de se construire. Les indicateurs macroéconomiques, sociaux et sanitaires sont positifs dans une large mesure, notamment dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'énergie ou des infrastructures routières. L'armée afghane est désormais une institution très respectée dans tout l'Afghanistan, y compris par l'armée d'opposition.

Les efforts ont porté sur les trois piliers définis par la communauté internationale et le gouvernement afghan dans l'Afghanistan Compact adopté lors de la conférence de Londres : sécurité, établissement d'un État de droit, reconstruction et développement, ce dernier pilier comportant un volet humanitaire. Il s'agissait pour la communauté internationale de mettre en oeuvre un projet collectif en faveur de l'Afghanistan. Précisons à ce propos que le volet sécuritaire de ce pacte, assuré par l'International Security Assistance Force, l'ISAF, bras armé de la coalition agissant sous l'égide de l'OTAN, se distingue de l'opération Enduring Freedom, qui s'inscrit dans le cadre de la guerre globale visant à éradiquer la menace terroriste. Il est vrai que ces deux déploiements militaires s'articulent de manière très étroite, à telle enseigne qu'ils sont tous les deux placés sous le commandement du général David McKiernan.

Si ces progrès peuvent amener à considérer que le verre est à moitié plein, le CICR a tendance à regarder la moitié vide, en partant du constat très simple et généralement partagé que l'Afghanistan est en guerre. Ce pays est le théâtre d'un conflit armé non international, en dépit d'une évidente composante internationale, opposant le gouvernement afghan, légitime et souverain, soutenu par une coalition internationale, à une opposition armée. Ce conflit est en train de prendre un caractère clairement régional : la dégradation très nette de la situation au Pakistan, dont il ne s'agit pas de nier la dimension nationale, est étroitement liée à la situation de l'Afghanistan, comme le démontre la multiplication des opérations militaires à la frontière entre les deux pays.

Ce qu'on doit en retenir ici, c'est que la guerre et l'insécurité continuent à régner sur une partie importante du territoire, même si la situation d'une grande partie de la population afghane, en particulier dans le Nord, s'est incommensurablement améliorée. Les services gouvernementaux sont incapables d'agir sur une grande partie du territoire et 80 % de la population vivant dans les zones rurales ne ressentent aucun bienfait de l'engagement international massif de ces dernières années. Les services humanitaires rendus ne sont absolument pas à la hauteur de l'ampleur, de la gravité et de l'urgence des besoins humanitaires constatés, sachant que, selon la terminologie du CICR, sont humanitaires les besoins directement générés par le conflit armé.

L'opposition armée rejette le projet largement soutenu par la communauté internationale : l'engagement en faveur de la sécurité est perçu comme une guerre pure et simple ; les efforts pour établir un État de droit, comme l'imposition d'un modèle de société dans lequel ils ne se reconnaissent pas et qu'il faut combattre ; le développement et la reconstruction, comme des psychological operations ou psychological warfare, c'est-à-dire l'instrumentalisation de l'humanitaire à des fins politico-militaires. Il est d'autant plus vital, dans un contexte où l'humanitaire est largement récupéré par toutes les parties, de maintenir une distinction très claire entre ce qui relève de l'action humanitaire indépendante, fondée sur une évaluation objective des besoins, des opérations soi-disant humanitaires qui ont en réalité une dimension tactique en ce qu'elles visent à développer l'emprise du gouvernement. Nous reconnaissons cependant que beaucoup de ces opérations ont un réel impact humanitaire.

À en croire les annonces les plus récentes, faites outre-Atlantique et en Afghanistan même, les perspectives immédiates sont celles d'une intensification, voire d'une régionalisation du conflit. Même si des démarches politiques visant à enclencher un processus de réconciliation nationale sont en cours, nous pensons que la situation va se dégrader en 2009 : la surface de contact entre les différentes parties au conflit devrait augmenter ; le déploiement militaire devrait s'intensifier, dans le cadre d'un déplacement stratégique de la guerre contre le terrorisme, du Moyen-Orient, notamment de l'Irak, vers l'Asie centrale et l'Asie du Sud.

Les messages du CICR sont les suivants. Comme lex specialis, le droit international humanitaire s'impose en priorité dans les situations de conflits armés. Les nombreuses allégations de violation de ce droit en Afghanistan font l'objet d'un dialogue structuré et confidentiel du CICR avec les différents acteurs concernés, gouvernement, coalition, OTAN et forces déployées dans le cadre de celle-ci.

Par ailleurs, certains besoins opérationnels n'étant absolument pas couverts aujourd'hui, il y a lieu de préserver, voire de renforcer une action humanitaire strictement neutre et indépendante.

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