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Intervention de Éric Woerth

Réunion du 21 juillet 2009 à 16h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Éric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'état :

Les jeux sur Internet explosent. La demande des joueurs français, le montant des mises, le nombre de sites en langue française augmentent selon des taux à deux chiffres. Chaque jour, 25 000 sites proposent des jeux dans tous les domaines, avec un montant de mises en France qui oscillent entre 3 et 4 milliards d'euros.

Mais ce phénomène se développe en dehors de tout cadre légal : en dehors des règles que le législateur a imposées aux acteurs historiques du jeu en France, la Française des Jeux, le PMU et les casinos ; en dehors des règles protégeant les mineurs, les joueurs, les familles, le sport, la filière hippique, les transactions financières ; bref, en marge de tout l'édifice de protection de l'ordre public et social que le législateur a progressivement construit pour que le jeu soit d'abord un plaisir, et non pas un problème.

On ne peut pas rester dans cette situation, qui fait coexister des opérateurs soumis à des règles, avec d'autres qui y échappent. On ne peut pas faire comme si tout cela n'existait pas, alors même que sont en cause des fondements de l'ordre public et de l'ordre social.

Si le premier réflexe peut commander de tout interdire, ma conviction est que ce type de stratégie débouche immanquablement sur l'incompréhension et l'échec.

Il ne sert à rien en effet de nier la réalité de la demande de jeu sur Internet : alors que les Français étaient moins de 1 % en 2003 à jouer sur Internet, ils sont près de 5 % aujourd'hui. Surtout, une interdiction générale sur Internet ne peut pas fonctionner. La meilleure réponse est d'assécher progressivement le marché noir des sites illégaux en créant une offre légale, qui obéisse aux règles édictées par le législateur, et de créer en outre des outils de lutte contre les sites illégaux.

Si tout repose sur la lutte contre les sites illégaux, le combat devient démesuré, le Gouvernement devant se battre contre des milliers de sites. C'est le choix qu'a fait l'Allemagne, et c'est un échec. Si, en revanche, une offre légale se structure autour d'acteurs connus et reconnus, les sites illégaux, non seulement sont menacés par des outils de lutte techniques et juridiques, mais surtout voient leurs perspectives de développement réduites par l'émergence d'acteurs légaux dont la notoriété dépasse très rapidement la leur. C'est le choix qu'a fait l'Italie, et il se révèle de plus en plus gagnant.

C'est cette dernière stratégie que le Gouvernement vous propose. L'objectif fondamental du texte qui vous est proposé est de reprendre le terrain perdu en créant une offre légale qui imposera sa qualité grâce à la publicité, et d'avoir, en complément, des outils de lutte qui visent à cumuler les obstacles sur le chemin des sites illégaux. Les deux vont ensemble, et l'un ne peut aller sans l'autre.

Dans cette stratégie, l'un des enjeux est évidemment de donner à l'offre légale les moyens de s'imposer. Mais il s'agit également de lui imposer le respect de règles qui correspondent à nos valeurs.

En la matière, les choses sont claires : ce projet de loi part du principe qu'il revient au législateur de définir ces règles, la définition de l'ordre public et de l'ordre social pouvant varier d'un pays à l'autre. Nous avons donc refusé de nous inscrire dans une démarche de reconnaissance mutuelle des agréments délivrés par chaque État à des opérateurs de jeux sur Internet.

Voilà pour les grandes lignes de ce texte, dont je précise que la Commission européenne vient de souligner le « sens positif général », ce dont je me félicite compte tenu de la sensibilité et de la complexité du sujet.

Permettez-moi à présent d'insister sur quelques points saillants du texte.

Le champ de l'ouverture concernera trois catégories de jeux et paris, qui présentent le plus fort intérêt pour les joueurs et en même temps le plus faible risque d'addiction. Le projet de loi ouvre à la concurrence les paris sportifs, les paris hippiques et le poker. C'est sur ces trois types de jeu et de paris que se concentre aujourd'hui l'essentiel de la demande des joueurs sur Internet et que les risques d'addiction sont dans le même temps les plus limités.

Les paris sportifs, sous la forme du pari à cote, c'est-à-dire de paris dans lesquels l'opérateur de jeux parie contre le joueur, connaissent un fort développement. La quasi-totalité des pays qui proposent des paris sportifs autorise cette forme de pari. Mais seuls seront autorisés en France les paris sur des résultats d'épreuves réelles, et après qu'aura été recueilli l'avis des fédérations sportives concernées sur les catégories d'épreuves à retenir et les types de résultats pertinents comme supports des paris.

Les paris hippiques constituent le second segment de jeu autorisé par le projet de loi. La filière hippique vit dans la tradition du pari mutuel, à laquelle les parieurs sont particulièrement attachés. Cette tradition doit être préservée en France. C'est pourquoi le projet de loi n'autorise pas le pari à cote pour les paris hippiques. Je précise que la Commission européenne n'a fait, sur ce point essentiel, aucune remarque.

Enfin, en matière de jeux de casinos, le Gouvernement a décidé d'ouvrir à la concurrence le poker en ligne. Le poker connaît en effet un succès considérable : il représente les trois quarts des sommes misées sur les jeux de casinos sur Internet. Son potentiel addictif est moins élevé que celui des autres jeux de casinos, en particulier les machines à sous.

Au total, l'ouverture porte donc sur les types de jeu les plus prisés par les joueurs sans être étendue aux jeux de tirage instantanés qui, comme les machines à sous, présentent les plus grands risques d'addiction ou financiers pour les joueurs.

Deuxièmement, la création d'un cadre légal passe par la définition de règles qui s'imposeront aux opérateurs, mais également de dispositifs leur permettant de s'imposer vis-à-vis des sites qui resteront dans l'illégalité.

Les opérateurs de jeux légaux seront ceux qui auront obtenu un agrément, d'une durée de cinq ans renouvelables. Le nombre de ces agréments n'est pas fixé à l'avance, parce que nous souhaitons que tous les opérateurs qui démontreront qu'ils respectent effectivement le cahier des charges défini par la puissance publique puissent en obtenir un.

Concrètement, nous vous proposons qu'une autorité de régulation indépendante, l'Autorité de régulation des jeux en ligne – ARJEL –, soit créée pour attribuer ces licences. La préfiguration de cette autorité a été confiée à Jean-François Villotte, ici présent.

Ce cahier des charges contiendra un ensemble de règles destinées à assurer la protection de l'ordre public et social. Il fixe à cet égard des règles précises en matière de contrôle de l'identité des joueurs, de protection des mineurs, de promotion d'un jeu responsable à même de prévenir la dépendance aux jeux, de lutte contre le blanchiment d'argent et les paradis fiscaux, de préservation de l'intégrité des compétitions sportives et hippiques.

Je reviendrai plus spécifiquement sur la protection des joueurs qui est, à mes yeux, et à ceux du rapporteur, un point essentiel.

L'Autorité de régulation aura pour mission de contrôler le respect de ce cahier des charges. Les opérateurs seront tenus de lui donner accès en permanence à toutes les données pertinentes et leur autorisation d'exercice pourra être suspendue, voire annulée, en cas de manquement constaté. Un dispositif d'enregistrement permanent des échanges informatiques entre les opérateurs de jeu et les joueurs est prévu, sans que les opérateurs soient obligés d'être établis en France. Sinon, le projet français aurait été contraire au droit communautaire.

Je précise que les opérateurs qui sont aujourd'hui illégaux ne pourront pas tirer parti de l'avance qu'ils ont prise, en termes de parts de marché, et que mon intention est bien de remettre les compteurs à zéro. Je vous proposerai, dans quelques instants, des amendements en ce sens.

En contrepartie du respect de ces règles, les opérateurs légaux auront le droit de faire de la publicité pour leur offre, de manière encadrée. C'est une disposition absolument fondamentale pour lutter contre les sites illégaux, car elle conduira à opposer d'un côté des sites visibles, qui afficheront leur marque sur les supports traditionnels de publicité – radio, télévision, presse, maillots d'équipes, etc. – et, de l'autre, des sites qui devront demeurer dans l'ombre. Je considère, pour ma part, que c'est l'un des outils les plus efficaces de lutte contre les sites illégaux. Le fait que les plus gros d'entre eux soient aussi impatients de commencer la publicité à la radio le démontre.

Les opérateurs légaux devront par ailleurs acquitter une fiscalité. Pour déterminer le niveau de cette fiscalité, qui portera sur les mises, nous avons pris en compte deux éléments. Le premier est la nécessité d'assurer un rendement constant des recettes fiscales et sociales du jeu, actuellement de 5 milliards d'euros. Le second est l'offre d'un cadre attractif, incitant les opérateurs illégaux à faire le choix de la légalité.

Ces deux éléments sont difficiles à concilier car la fiscalité doit être, pour tous les types de jeu, globalement identique, qu'ils soient vendus sur Internet ou dans un réseau physique. Cela signifie concrètement que, si l'on souhaite avoir une fiscalité sur les paris beaucoup plus basse que la fiscalité actuelle de la Française des Jeux ou du PMU, il faut l'appliquer à l'ensemble des paris « en dur », ce qui peut entraîner mécaniquement pour l'État une diminution de recettes. Le projet qui vous est soumis fixe le point d'équilibre entre ces deux objectifs à 7,5 % des mises pour les paris sportifs et hippiques, et à 2 % des mises pour le poker.

Afin de garantir le versement des prélèvements, le projet de loi prévoit la désignation d'un correspondant fiscal en France pour les opérateurs agréés qui ne seraient pas établis dans notre pays.

Troisièmement, la création de ce cadre légal est complétée par la mise en place d'outils de lutte contre les sites illégaux de plusieurs types. C'est d'abord la mise en place d'une offre légale, et en particulier le fait qu'elle puisse faire de la publicité, qui constituera la première et principale barrière à l'offre illégale. Les outils de lutte contre les sites illégaux constituent néanmoins le complément indispensable de cette offre illégale résiduelle.

Premier outil : le blocage des sites de paris illégaux, qui est mis en oeuvre en Italie. Concrètement, un site illégal pourra être mis en demeure de cesser son activité. S'il n'obtempère pas, les fournisseurs d'accès seront tenus de bloquer l'accès.

Deuxième outil : le blocage des transactions financières entre les sites et leurs joueurs, qui permettra d'exiger des banques établies en France de suspendre le versement des mises et des gains de la part des opérateurs illégaux.

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