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Intervention de Mikhail Yakovlev

Réunion du 30 septembre 2008 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Mikhail Yakovlev :

, chargé d'affaires de la Fédération de Russie en France. Monsieur le président, mesdames, messieurs, permettez-moi de rappeler tout d'abord un fait symbolique : aujourd'hui même, la République d'Abkhazie commémore le quinzième anniversaire de sa déclaration d'indépendance. C'est jour de fête nationale, avec défilé militaire, manifestations diverses, chants et danses.

Le problème survenu au mois d'août est dû à l'héritage de l'époque soviétique et à la politique menée par Staline, d'origine d'ailleurs géorgienne, et par ses successeurs, qui a conduit à tracer de façon parfois arbitraire des limites administratives, sans considération des traditions et de l'histoire des peuples habitant les territoires concernés.

Il en va ainsi de l'Ossétie et des Ossètes. Nous parlons de République d'Ossétie du Nord et de République d'Ossétie du Sud, mais celles-ci sont constituées d'un même peuple, qui parle la même langue, qui partage les mêmes traditions historiques et la même religion orthodoxe et qui n'a été divisé que par la volonté classique, de la part de dirigeants, de diviser pour régner.

Le conflit qui a semblé surgir au mois d'août dernier remonte à une époque bien antérieure. Il remonte au début des années quatre-vingt-dix, avec l'éclatement de l'Union soviétique et les demandes d'autonomie voire d'indépendance de la part des mouvances nationalistes, comme en Ossétie du Sud et en Abkhazie. La Géorgie ayant en effet refusé de laisser partir ces deux territoires, une première guerre fut engagée avant qu'une solution ne soit trouvée tant avec l'Ossétie du Sud, par l'accord de Dagomys de 1992 prévoyant l'installation de forces de maintien de la paix composées de militaires russes, géorgiens et Ossètes, qu'avec l'Abkhazie, par l'accord de Moscou de 1994 autorisant également le déploiement de forces de maintien de la paix. Depuis, des provocations ont certes été à déplorer d'un côté comme de l'autre, mais la Russie est parvenue à maintenir le statu quo. Au mois d'août dernier, malheureusement, l'agression commise par le régime de Tbilissi a conduit à un retour non pas au point de départ, mais beaucoup plus en arrière.

Il convient à cet égard d'user de la bonne terminologie. L'intervention de Tbilissi constitue pour nous une agression et une tentative de génocide, d'extermination massive de la population civile. Ce que vous appelez l'occupation de la Géorgie par la Russie n'était en aucun cas une occupation, mais une opération de riposte, telle que prévue par les Nations unies, tendant à forcer l'agresseur à la paix.

S'agissant maintenant de l'avenir de ces peuples et de ces territoires, la philosophie en la matière repose sur un équilibre à trouver entre le principe de l'intégrité territoriale et celui du droit des peuples à l'autodétermination. Dans le cas du Kosovo, dont nous avons souligné à l'époque qu'il ne pouvait créer qu'un précédent sur le plan international, les Kosovars n'étaient pas menacés d'extermination physique de la part des autorités de Serbie. Il était donc facile de s'en tenir au principe de l'intégrité territoriale de la Serbie, les problèmes, s'il y en avait, pouvant être réglés dans le cadre international. Certains États ont pourtant reconnu l'indépendance du Kosovo. Dans le cas de l'Ossétie du Sud, la situation était différente : la population civile était sous la menace d'une extermination physique. Il fallait donc prendre des mesures pour sauver la vie des gens. Ce qui était en cause, ce n'était pas le principe de l'intégrité territoriale, mais la vie de civils.

Concernant le règlement de la crise, outre l'accord en six points déjà évoqué, le retrait des forces russes est presque terminé. Un reportage télévisé, ce matin encore, montrait les derniers soldats quitter le territoire. Quant aux observateurs et aux forces de police de l'Union européenne, ils sont sur place.

L'accord donne lieu, il est vrai, à des lectures différentes s'agissant de l'avenir et de la sécurité de ces Républiques. Alors qu'il s'agit pour nous de garantir la sécurité de ces dernières, notre partenaire qu'est l'Union européenne parle de maintenir la sécurité entre les territoires concernés, c'est-à-dire d'envoyer des forces et des observateurs dans des républiques que nous avons reconnues comme indépendantes. C'est une divergence de fond. Nous sommes cependant prêts à poursuivre le dialogue. Le 15 octobre, nous prévoyons ainsi la tenue à Genève d'une conférence internationale à laquelle prendront part toutes les parties concernées – nous proposons ainsi d'inviter les représentants de ces Républiques pour qu'ils puissent être entendus au cours d'une séance de travail.

Pour ce qui est de l'avenir de ces régions, il faut savoir que leurs habitants sont des gens de principe. Si le sang coule, jamais on ne pourra les faire vivre ensemble. S'il y a des morts dans une famille, ce sont des sentiments de vengeance et de haine qui prévaudront pour les générations à venir. Nous ne pouvons dire aux Abkhazes et aux Ossètes qu'en revenant dans le giron de Tbilissi, ils formeront une famille unie. La situation, selon ma propre expérience des pays arabes, est la même que dans le conflit du Moyen-Orient : avec des morts de chaque côté, les Israéliens et les Palestiniens en ont pour des décennies. C'est pourquoi je ne vois pas ces deux républiques du Caucase revenir d'ici quelque temps au sein de la Géorgie. Il y a déjà eu tant de morts et de souffrances qu'il est impossible de les forcer à vivre dans le même État.

La reconnaissance par la Russie des deux républiques, pour les raisons que je viens d'expliquer, est à cet égard, selon les propres paroles du président Medvedev, une décision définitive et irrévocable.

Nos relations avec la Géorgie vont être difficiles et compliquées, d'abord parce que les relations diplomatiques sont suspendues. Si le poste consulaire fonctionne, notre ambassadeur a regagné Moscou. Nous espérons cependant que la vie reprendra son cours normal car nous vivons cette situation, je vous le dis sincèrement, comme une tragédie. Les deux peuples, géorgien et russe, ont toujours vécu ensemble, partagé des traditions, entretenu des relations culturelles et autres, et pour tous les habitants de l'ex-Union soviétique, cette région était une destination privilégiée pour les vacances d'été comme d'hiver. Aujourd'hui, à cause de cette guerre, tout est arrêté, alors que nous pourrions vivre en paix.

Pour ce qui est du rôle de l'Union européenne et de la France, l'intervention immédiate du président Sarkozy a été réaliste et très utile. Le plan de règlement est un document sur lequel nous pouvons travailler dans l'avenir. D'ailleurs, l'attitude adoptée envers nous, qui n'était pas souvent favorable, est en train de changer. J'ai ici nombre de témoignages en ce sens, dont ceux de membres d'organisations non gouvernementales. Le dernier fait suite au voyage que vos collègues du Parlement de Belgique ont effectué pour se rendre compte de la situation réelle sur place.

Il faut dire que le conflit militaire a donné lieu à une véritable guerre médiatique. Les médias ont ainsi couvert les événements de façon parfois tellement erronée que cela devenait ridicule. Pour ne prendre qu'un exemple, des images de morts et de blessés prétendument prises en Géorgie provenaient en fait de Tskhinvali, en Ossétie. C'est au point que des chaînes de télévision et des journaux russes veulent saisir la justice pour que la vérité soit connue.

Aujourd'hui, la tâche primordiale est d'organiser le retour à une vie normale dans la région. Beaucoup est fait du côté russe – les écoles, les hôpitaux fonctionnent – comme du côté de l'Union européenne. De plus, l'aide humanitaire internationale arrive en Géorgie.

Encore une fois, il ne s'agissait pas d'occupation russe. C'est parce que les forces géorgiennes, après avoir fui à grande vitesse, ont laissé derrière elles quantité de munitions et d'armes, que les soldats russes ont dû rester sur place pour garder ces armements afin de ne pas donner aux structures criminelles la possibilité de s'en saisir. C'est la seule raison.

La population de certains villages géorgiens prie même les Russes de rester, car faute d'un retour des autorités géorgiennes, l'administration locale, la poste ou encore les communications ne fonctionnent pas. Pour autant, nous cédons maintenant la place aux observateurs et au contingent européens.

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