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Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 26 août 2008 à 15h00
Commission des affaires étrangères

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

Monsieur Myard, vous avez employé avec raison une expression que je m'efforce pour ma part de traduire dans les faits, celle d'« afghanisation ».

Un peu plus de 50 000 hommes c'est peu, comparés aux Soviétiques ont été jusqu'à 160 000. Mais nous profitons de l'expérience des Russes, et il faut reconnaître qu'ils nous donnent des conseils utiles. Ils nous aident d'ailleurs aussi en nous laissant entrer en Afghanistan par leur territoire.

En tout cas, l'afghanisation c'est ce que nous faisons. C'est ainsi que l'on compte aujourd'hui environ 53 000 hommes au sein des troupes afghanes contre 20 000 voilà peu de temps. De même, les opérations de la FIAS sont menées à 90 % non pas encore sous la direction, mais avec des troupes afghanes, et sont planifiées à 50 % avec ces dernières. L'afghanisation est lente, trop lente, mais nous devons, avant de nous retirer, la mener à son terme.

Monsieur Lecoq, je suis d'accord avec votre analyse, mais vous parlez de guerre. Sans vouloir me battre sur les mots, je parlerai quant à moi d'opérations meurtrières, d'opérations de guerre. Pour nous qui n'avons pas déclaré la guerre, qui ne signerons donc pas d'armistice et qui ne ferons pas la paix, nous sommes engagés dans une mission des Nations unies de soutien à un Gouvernement. Pour autant, l'horreur de ce que nous venons de décrire serait certainement suffisante pour parler de guerre, sachant ce contre quoi nous devons également lutter : le 17 juillet 2008 le Gouvernement de la province de Ghazni a ainsi échappé à une tentative d'attaque suicide commise par un enfant de treize ans, et il est fréquent que des femmes, particulièrement à Kaboul, lancent aussi des attaques suicides. C'est une situation vraiment effroyable qui se développe.

Quant aux talibans, les uns luttent pour leur région, pour leur pays. Dirigés pour la plupart par le mollah Omar, ils ne sont pas partisans de ce que l'on appelle le djihad global, c'est-à-dire qu'ils ne veulent pas répandre l'islamisme à travers le monde. Ils ne font pas partie de la nébuleuse dont j'ai parlé et qui se développe au Maghreb. Ceux-là sont peut-être des interlocuteurs pour le Gouvernement de M. Karzai. Les Britanniques les ont approchés une fois ou deux, et il y a peut-être des possibilités politiques.

Les autres talibans sont, eux, les combattants du djihad global, et il n'y a pas d'autre façon de s'opposer à eux que brutalement.

Les forces démocratiques existent. Elles sont nombreuses, mais elles sont terrorisées. Outre l'armée qui se constitue, nous travaillons à Kaboul avec les élus et les forces démocratiques qui, si elles ne sont pas exactement semblables aux associations politiques de nos pays, représentent l'espoir, et, j'en suis sûr, l'immense majorité du pays.

Résister aux talibans ? Mais le pays le ferait à 80 % s'il le pouvait ! Encore faut-il sécuriser le plus rapidement possible le territoire. Les Afghans ne sont talibans que parce qu'on les y force. Ils gagnent alors dix dollars par jour tandis que le salaire moyen, lorsqu'il y a du travail, est de cinquante dollars par mois.

Monsieur Garrigue, plusieurs éléments unissent les Pachtounes, qu'il s'agisse du trafic de drogue, des relations dans la zone tribale avec les Pachtounes du Pakistan ou de la lutte contre les Tadjiks qui a fait, dans les années 90, des dizaines de milliers de victimes dans des batailles rudes et meurtrières. Tous ces éléments, nous les prenons en compte dans la lutte qui majoritairement oppose les Afghans, appuyés par nous, aux régions pachtounes. Pour autant, faut-il s'appuyer sur les Tadjiks ? Cela a été fait une fois, avec les conséquences graves que vous savez.

Quant aux bases arrière, elles se trouvent, tout le monde le sait, en particulier au Pakistan. Or, il n'y a pas de frontière autre que la « ligne Durand ». C'est ce que l'on appelle la zone tribale, où l'on fabrique des armes imitant toutes les armes du monde à bon prix et où se déploie un trafic considérable, celui de la drogue passant majoritairement par là. Avec 51 000 hommes, ce n'est même pas la peine de penser à une solution militaire. Ce ne serait même pas suffisant pour occuper la zone tribale.

Il y a donc là un problème politique majeur que toute la communauté internationale – les Nations unies, l'Europe, les États-Unis – doit prendre en charge, en s'intéressant également à ce que feront le prochain président du Pakistan et la coalition – sachant que le Gouvernement et même l'armée comportent des éléments qui travaillent avec les talibans.

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