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Intervention de Philippe Kirsch

Réunion du 1er avril 2009 à 16h15
Commission des affaires étrangères

Philippe Kirsch :

Mon exposé abordera la justice pénale internationale dans son ensemble, mais je ne m'étendrai pas sur les derniers développements.

La France, depuis le procès de Nuremberg, a apporté un appui considérable à la justice pénale internationale.

La responsabilité de prévenir et réprimer les crimes incombe aux États. Toutefois, pour les crimes les plus graves, leur tâche est compliquée par deux phénomènes. Premièrement, les conséquences de ces crimes sont souvent incommensurables et le fonctionnement de la société s'en trouve affecté. Deuxièmement, il arrive que les systèmes judiciaires nationaux se montrent défaillants du fait de l'implication d'agents de l'État dans la commission de ces crimes. Dans des circonstances exceptionnelles, pour des crimes exceptionnels, il n'y a pas de solution nationale : un substitut international aux défaillances de la justice nationale est nécessaire.

Au-delà, la justice internationale vise à mettre un frein à l'immunité et à prévenir la commission de nouveaux crimes.

La justice pénale internationale s'est développée sur le tard, lentement. Elle se heurte à des obstacles variés : l'attachement de principe des États à l'exercice inaltéré de leur souveraineté ; les divergences très prononcées quant à son mode de fonctionnement ; les situations politiques sous-tendant la commission de crimes à grande échelle.

Les débuts de la justice pénale internationale datent du procès de Nuremberg, à l'occasion duquel ont été édictés plusieurs principes encore en vigueur : la responsabilité des crimes constituant des violations du droit international pèse sur des hommes et non sur des entités abstraites ; la qualité de chef d'État ou de haut fonctionnaire ne saurait constituer une excuse absolutoire ; un individu ne peut être condamné qu'au terme d'un procès équitable garantissant les droits de la défense.

Il faut attendre la fin de la guerre froide pour que le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies établisse deux tribunaux, respectivement compétents pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Ceux-ci ont fait oeuvre de pionnier en démontrant qu'une justice pénale internationale était possible en dehors d'un contexte de victoire militaire. Néanmoins, la création de tels tribunaux ad hoc dépend de la volonté politique de la communauté internationale. En outre, comme ils sont chargés de se prononcer sur des crimes déjà commis et circonscrits géographiquement, leur effet de dissuasion est limité.

Plus récemment, des tribunaux hybrides, constitués de juges internationaux et de juges nationaux, ont été créés pour le Sierra Leone, pour le Cambodge et pour le Liban. Il s'agit de rapprocher la justice internationale des systèmes nationaux, mais leur impact est tout autant réduit que celui des tribunaux ad hoc installés par le Conseil de sécurité, même s'ils n'ont pas été imposés aux pays concernés.

L'idée de la CPI vient de là : ses architectes ont voulu qu'elle soit établie sur le fondement d'un traité ; les États sont libres de la rejoindre. Créée en 1998, elle procède d'un équilibre entre deux conceptions : une juridiction forte et indépendante ; une juridiction soumise à un certain contrôle politique, notamment de la part du Conseil de sécurité.

La CPI est une institution indépendante, qui ne fait pas partie de l'ONU. Sa compétence est limitée aux crimes les plus graves : génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Le crime d'agression est prévu dans le Statut de Rome mais la Cour ne peut encore exercer sa compétence dans ce domaine. La CPI peut être saisie par un État, par le Conseil de sécurité ou, à certaines conditions, par son procureur. Dans le souci du maintien de la paix et de la sécurité, le Conseil de sécurité peut surseoir à une enquête ou à des poursuites.

La compétence de la Cour n'est pas universelle : elle est limitée aux crimes commis sur le territoire des pays parties à son statut et à ceux commis par les ressortissants de ces mêmes pays. La compétence de la Cour ne s'applique qu'aux crimes commis à partir de l'entrée en vigueur de son statut, c'est-à-dire le 1er juillet 2002. Enfin et surtout, la Cour est un tribunal de dernier recours : elle ne peut agir que quand le système national n'a pas la capacité ou pas la volonté d'engager réellement des procédures judiciaires. La Cour, qui exerce une fonction purement judiciaire, respecte les droits des accusés et le principe de légalité. C'est la première juridiction internationale conférant une place aux victimes, lesquelles participent aux procédures et bénéficient d'un régime de réparation.

À ce jour, quatre situations ont été déférées devant la CPI, concernant la République démocratique du Congo, l'Ouganda, la République centrafricaine et le Darfour, au Soudan. Les trois premières ont été déférées par les États eux-mêmes ; la quatrième par le Conseil de sécurité. Le procureur a diligenté des enquêtes pour chacune de ces situations. La Cour a jusqu'à présent émis douze mandats d'arrêt, dont quatre seulement ont été exécutés. Le procureur examine d'autres situations, concernant la Côte d'Ivoire, la Géorgie, la Colombie, l'Afghanistan et le Kenya.

La Cour pénale internationale, tout comme la justice pénale internationale en général, fait face à deux problèmes principaux.

Premièrement, elle s'efforce d'intervenir juridiquement dans un cadre politisé. Tous les tribunaux pénaux internationaux ont été fidèles à leur caractère judiciaire. Cependant, ils touchent à des intérêts importants et leur action est liée à des conflits internes ou internationaux très frais dans les mémoires, voire encore en cours. Même si la justice internationale peut être considérée comme un obstacle à la réconciliation, elle est fondée sur une conviction : il ne peut y avoir de paix durable sans justice. Par ailleurs, tous les tribunaux pénaux internationaux sont dépeints par certains sous des couleurs politiques ; ils ne peuvent contrecarrer de telles accusations car ils n'ont pas vocation à entrer dans des débats politiques.

Deuxièmement, la CPI ne dispose pas des moyens de ses objectifs. Toute justice repose sur deux piliers : le pilier judiciaire, constitué par le tribunal, et le pilier exécutif, assurant l'exécution des décisions du tribunal. Dans un système national, la police est à la disposition des tribunaux ; dans la justice internationale, la situation est différente, les tribunaux internationaux doivent compter sur la coopération des États, qu'il s'agisse du bon fonctionnement de l'enquête, de la protection des victimes et des témoins, de l'exécution des sentences et surtout des arrestations. C'est encore plus compliqué pour la CPI, qui intervient presque toujours dans des situations caractérisées par des conflits armés en cours.

Le souci de prévention, qui était l'un des objectifs fondamentaux de la création de la Cour, a porté ses fruits beaucoup plus tôt que prévu : dans au moins deux cas, des criminels ont cessé leurs exactions par crainte de faire l'objet d'un mandat d'arrêt. Reste que l'écart entre le nombre de mandats d'arrêt et le nombre d'arrestations est élevé.

La création de nouveaux tribunaux pénaux internationaux ad hoc devrait être exceptionnelle. L'avenir de la justice pénale internationale coïncidera dans une large mesure avec celui de la CPI. Son succès dépendra de sa crédibilité. Elle doit éviter de déborder de son mandat, se cantonner à un rôle strictement judiciaire, mener des procédures impeccables.

Cela dit, la CPI, plus qu'une juridiction, est un système, qui ne peut réussir que dans la mesure où les États et, par extension, les organisations internationales y prennent leur part. La CPI a été créée par des États, qui lui ont assigné pour objectifs de réprimer et de prévenir des crimes ainsi que de contribuer à la sécurité internationale. Pour ce faire, les États doivent coopérer, notamment pour l'exécution des mandats d'arrêt. En effet, si trop peu de mandats d'arrêt étaient suivis d'arrestation, les effets dissuasifs de la CPI ne tarderaient pas à s'estomper.

Enfin, la justice pénale internationale a besoin d'appui pour être mieux connue, mieux comprise, pour que son image soit moins déformée. Si le champ de la parole est laissé à ceux qui ont avantage à dénigrer la justice, celle-ci s'en trouvera affaiblie.

Finalement, pour avoir les moyens de remplir sa mission, la Cour devra se rapprocher de l'universalité. C'est une entreprise de longue haleine, dans laquelle les institutions internationales, les États et les parlementaires ont un rôle à jouer.

Avant que vous ne posiez vos questions et au risque de vous décevoir, je rappelle que je ne suis pas un politique mais un juge, ce qui m'empêche, quoi que j'en pense, de formuler tout commentaire à propos de situations en cours d'instruction. Je n'étais pas non plus le procureur de la CPI, vis-à-vis duquel j'avais même l'obligation de maintenir une distance ; je ne puis donc davantage commenter son action.

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