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Intervention de Didier Guérin

Réunion du 3 juin 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Didier Guérin, conseiller à la chambre criminelle de la Cour de cassation :

Je précise, que je m'exprime en mon nom et pas au nom de la chambre criminelle de la Cour de cassation, puisqu'il n'y a pas eu de concertation interne. Cependant, certaines des questions qui vous préoccupent reviennent de manière récurrente dans nos délibérés.

La dénonciation calomnieuse est une des infractions qui nous causent le plus de soucis, même si la jurisprudence de la chambre criminelle n'est pas très abondante sur ce sujet. Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, c'est une infraction boomerang qui revient sur la personne qui a cru pouvoir dénoncer des faits. Nous essayons de tirer la personne de bonne foi de la difficulté dans laquelle elle se trouve par une appréciation, non pas sur la fausseté des faits, puisque la disposition légale nous contraint sur ce sujet à considérer que les faits sont faux, mais sur l'élément moral de l'infraction. Nous y parvenons généralement.

Nous nous intéressons aussi au cas particulier où l'infraction dénoncée a eu lieu dans un huis clos entre un homme et une femme – la femme accusant l'homme de l'avoir violée, par exemple – et où les faits incriminés ne sont pas reconnus par l'autorité judiciaire, ce qui risque d'exposer la plaignante à une plainte pour dénonciation calomnieuse.

Il est intéressant, de ce point de vue, de revenir sur l'histoire de cette incrimination, qui est ancienne. Deux temps sont à considérer : l'avant-code pénal de 1994 et l'après. Les principes posés avant 1994 étaient déjà ceux que nous retrouvons, en grande partie, dans l'alinéa 2 de l'article 226-10 du code pénal, lequel dispose que : « La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n'est pas établie ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée. » La jurisprudence antérieure au code pénal de 1994 admettait même que la fausseté du fait résultait d'un classement sans suite du procureur. La difficulté à laquelle nous nous heurtons maintenant est celle du doute sur l'existence des faits.

La chambre criminelle a pris position sur ce sujet dès 1996. L'arrêt du 20 février 1996 – Bulletin criminel 1996, numéro 80 –, dispose que, selon l'article 226-10 du code pénal, la fausseté des faits dénoncés résulte nécessairement d'une décision définitive de relaxe. Saisis d'une poursuite pour dénonciation calomnieuse, les juges ne peuvent que rechercher si le prévenu connaissait ou non la fausseté des faits dénoncés. Or, quand nous examinons l'arrêt qui a été cassé, nous nous apercevons que les juges de la Cour d'appel de Chambéry avaient estimé devoir relaxer une personne du chef de dénonciation calomnieuse en se fondant sur le fait que la personne qu'elle avait accusée de violences volontaires avait été relaxée au bénéfice du doute. Les juges du fond avaient estimé que, comme il y avait doute, la fausseté des faits n'était pas établie. La chambre criminelle a cassé le jugement en retenant une interprétation restrictive. Elle a certainement voulu affirmer une jurisprudence très stricte dès le départ. Dans le commentaire qu'a fait de cet arrêt le professeur Maillot dans la revue de science criminelle 1996, page 653, celui-ci explique que la jurisprudence aurait pu prendre une autre voie et aurait très bien pu se poser la question de la relaxe au bénéfice du doute. En effet, quand l'infraction n'a pas été commise par la personne qui a été dénoncée, la fausseté du fait dénoncé est patente. C'est quand il y a doute que se pose un véritable problème. Les juges du fond recourent alors à une analyse de l'élément moral, en expliquant que la personne n'avait pas conscience de la fausseté du fait. Mais, dans le cas du huis clos que j'évoquais, on ne peut pas jouer sur cet élément.

Tout cela pour dire qu'il me paraît excessif d'envisager l'abrogation totale de l'alinéa. Il faudrait trouver une rédaction qui permette de dire que la présomption de la fausseté des faits n'existe pas lorsque le juge estime qu'il y a doute sur leur réalité. On éviterait, par cette voie, les plaintes systématiques de dénonciation calomnieuse car celui qui a été accusé s'exposerait à un nouveau débat sur la même question. J'y verrais, en tant que membre de la chambre criminelle, un moindre inconvénient et même, à titre personnel, un avantage car je trouverais dommage d'abroger purement et simplement cet alinéa. On ne peut savoir quelles pourraient être les conséquences pour d'autres hypothèses. Il faut tout de même être prudent sur ce sujet même si, pendant cent cinquante ans, avant le code pénal de 1994, on avait réussi à travailler sur ce thème sans texte.

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