Le sujet n'était pas facile. De plus, quand des médecins font une étude, ils passent autant de temps à la critiquer qu'ils en ont passé à la faire. Cette enquête n'a pas échappé à cette particularité de la culture médicale.
Parmi les biais et les limites relevés figure, en premier, la taille de l'échantillon. Bien que le nombre de réponses soit supérieur à celui utilisé dans les sondages, les effectifs sont faibles dans les items extrêmes, ce qui entraîne des intervalles de confiance plus importants et des incertitudes. Si les taux de 56 % pour les harcèlements sexistes et 22 % pour les autres phénomènes peuvent être considérées comme fiables, le taux de 0,6 % pour les viols est une moyenne entre 0,3 % et 0,9 %, ce qui, appliqué aux 150 000 salariées du secteur privé et des collectivités territoriales travaillant en Seine-Saint-Denis, donne des chiffres qui varient entre 300 et 1 500 viols. Cela étant, le chiffre le plus bas est déjà considérable. Nous ne nous attendions pas à ce qu'il soit aussi élevé.
Deuxièmement, les questions sur les auteurs des faits et les suites données à ces faits ont été mal remplies, ce qui empêche de tirer des commentaires autres que les grandes lignes que je vous ai données.
Troisièmement, le questionnaire était construit sur un mode déclaratif. Chaque mode d'enquête introduit des biais dont on est incapable de dire dans quels sens ils jouent. L'enquête sur les jeunes filles, par exemple, a été réalisée en face à face : elle n'est donc pas anonyme et l'on peut penser que l'enquêteur peut un peu pousser les choses. L'enquête ENVEFF a été réalisée au téléphone : on peut penser que la femme aura du mal à répondre à certaines questions si son mari est à côté d'elle. Un questionnaire construit sur l'anonymat et le déclaratif peut induire une certaine exagération dans les réponses ou, au contraire, un certain déni du fait de la volonté d'oublier des événements douloureux.
Il peut, enfin, y avoir des biais de recrutement.
L'enquête a été réalisée pendant l'été, période où il y a beaucoup d'embauches de jeunes. La pondération dont j'ai parlée a permis de contrecarrer ce biais en calant les résultats sur la population salariée du département.
Beaucoup de femmes venaient pour la première fois à la médecine du travail, la démographie médicale faisant qu'il y a plus de premières visites et moins de visites systématiques.
L'AMET étant un service de médecine du travail interentreprises, la situation des salariées de grandes entreprises n'a pas été étudiée.
L'enquête portait sur les populations en activité. Nous n'avons donc pas de données sur des chômeuses. Or une étude a montré que les personnes qui sont au chômage après un harcèlement sexuel restaient plus longtemps au chômage. Peut-être que les résultats seraient encore moins bons si l'on réalisait une étude sur les chômeuses.
Enfin, certaines questions manquaient de précision.
Comme je vous l'ai expliqué, nous avons effectué un traitement statistique pour éliminer les biais dus à l'âge, au secteur d'activité et à la catégorie socioprofessionnelle.
En conclusion, la présente enquête est la première de ce type en France. Elle s'est traduite par une très grande implication de l'ensemble du personnel du service de santé au travail et une très grande adhésion des salariées des entreprises puisque nous avons recueilli 95 % de réponses. Les femmes qui sont venues nous en parler se sont félicitées que les services de santé au travail s'intéressent à ce sujet.
L'enquête a permis de mettre en évidence les problèmes et de sensibiliser les professionnels concernés. Ses résultats sont à confirmer. Un élargissement de ce travail à d'autres départements serait souhaitable. Nous sommes en contact avec un service de santé au travail à Paris qui accepterait éventuellement de reprendre l'étude. J'ai pris contact également dans le Périgord, ce qui permettrait de comparer les situations en milieu urbain et en milieu rural. D'autres études semblent montrer que les phénomènes de violence étaient plus importants dans les régions urbaines que dans les régions rurales.
Enfin, cette étude montre – et c'est certainement la raison pour laquelle vous nous recevez aujourd'hui – que la situation nécessite des politiques de prévention plus volontaristes de la part des pouvoirs publics et des professionnels de santé au travail.