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Intervention de Philippe de Lagune

Réunion du 3 juin 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Philippe de Lagune :

Le 14 janvier, le Président de la République à Orléans, a appelé l'attention sur la prise en compte des violences intrafamiliales. Faisant suite à ces déclarations, la ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, dans sa présentation des statistiques de la criminalité, a indiqué que la hausse des violences non crapuleuses traduisait une augmentation des violences intrafamiliales. Elle m'a alors confié une mission destinée à mieux appréhender et à mieux combattre ce phénomène.

Ayant placé la lutte contre les violences intrafamiliales parmi les priorités lorsque j'étais préfet du territoire de Belfort, j'ai entrepris ce travail avec un vif intérêt.

Les conclusions des deux rapports rendus à la ministre pourront, le cas échéant, être prises en compte dans le cadre de l'élaboration d'un plan gouvernemental de prévention de la délinquance, que le Président de la République devrait annoncer le 4 juin.

Je me suis d'abord efforcé de déterminer l'évolution des violences intrafamiliales, étant entendu que 85 % d'entre elles se produisent au sein du couple et que les autres formes de violences – notamment celles sur les enfants – peuvent parfois être considérées comme induites.

L'un des outils statistiques dont nous disposons est l'état 4001, qui classe les infractions sous 107 index. Toutefois, celui-ci ne peut donner une idée précise du niveau et de l'évolution des violences intrafamiliales : celles-ci, en effet, peuvent relever de quatre agrégats d'index différents – violences non crapuleuses, menaces, violences sexuelles et infractions diverses – qui, eux-mêmes, recensent des faits qui ne se produisent pas nécessairement dans le noyau familial. Dès lors, il apparaît difficile d'extrapoler à partir de cette base que la hausse des violences non crapuleuses est due à la hausse des violences intrafamiliales. La ministre de l'intérieur a d'ailleurs commandé au président de l'Observatoire national de la délinquance (OND), une étude portant sur la modification de l'état 4001.

Sous mon égide, policiers et gendarmes se sont rapprochés afin d'harmoniser les critères permettant de caractériser la quinzaine d'infractions pénales concernées. Dès le mois de septembre, nous disposerons d'un système statistique unique, qui permettra de comparer les chiffres et de dégager une tendance nationale. Pour le moment, la tendance définie par la police, à la baisse, diverge de celle de la gendarmerie nationale, qui est à la hausse.

L'OND prend comme instrument de mesure le chiffre des violences commises sur les femmes majeures par leur conjoint ou ex-conjoint. Ce chiffre, qui était en hausse de 2,1 % en 2005, de 10,9 % en 2006 et de 16 % en 2007, a progressé de 5,7 % en 2008. Cette dernière hausse est certes supérieure à la hausse globale du nombre de faits constatés, mais elle demeure inférieure à l'évolution des violences non crapuleuses sur les personnes qui est de + 6,4 %. Ces chiffres rejoignent les observations des acteurs de terrain.

Pourquoi une telle hausse ? L'enquête de victimation « cadre de vie et sécurité » réalisée par l'OND (qui comportera dès 2010 une annexe sur les violences conjugales, financée par le CIPD) a mis en évidence un très faible taux de révélation, de l'ordre de 9 %. La stratégie des pouvoirs publics étant d'augmenter ce taux, on peut estimer que la hausse des violences conjugales est corrélée à celle du taux de dépôt de plaintes.

Par ailleurs, la police et la gendarmerie se sont engagées à ce que disparaissent les mains courantes en matière de violences intrafamiliales. Désormais, tout donne lieu à un acte de procédure, plainte ou procès-verbal de renseignement judiciaire transmis au procureur. Cela, aussi, contribue à faire monter la courbe.

Le phénomène peut également être appréhendé par le biais de l'enquête réalisée par la Délégation aux victimes, groupe mixte police-gendarmerie, sur les décès violents au sein du couple. Les chiffres sont tristement célèbres : une femme meurt tous les deux jours et demi, un homme tous les quatorze jours, sous les coups de leur conjoint. Cette enquête a permis de déterminer un certain nombre de facteurs, dont l'alcool, en cause dans 30 % des cas – 28 % selon l'OND, qui se fonde sur une analyse des procédures dans un parquet de la région parisienne.

Les définitions juridiques qui sont les nôtres ne nous permettent pas d'obtenir des statistiques plus précises et nous attendons les résultats de l'étude commandée à l'OND sur l'état 4001. Cependant, nous disposons de suffisamment d'éléments – détails sur le profil des auteurs et des victimes, sur les périodes critiques (naissance du premier enfant, séparation) –, pour pouvoir cibler l'intervention des services de l'état, et passer de l'étude à l'action.

Que faire ? J'ai beaucoup travaillé sur ce deuxième volet avec le cabinet de Valérie Létard, Secrétaire d'Etat à la solidarité.

Comme je vous l'ai dit, seuls 9 % des faits commis sont portés à la connaissance des autorités, ce qui signifie que 91 % des affaires restent impunies. C'est un taux inadmissible, qu'il faut, de toute évidence, faire baisser. La conséquence – mais il faudra s'en réjouir – sera que les chiffres repartiront à la hausse.

Pour cela, les victimes, où qu'elles soient, doivent recevoir une information de base. Ce peut être par le biais d'une campagne médiatique – à même de toucher celles qui ne sortent pas de chez elles –, ou d'un simple imprimé comportant un numéro de téléphone, mis à leur disposition dans les services sociaux. Les premières orientations peuvent également leur être données par un fonctionnaire de proximité. Il faut que les victimes soient informées des conditions dans lesquelles elles peuvent déposer plainte, des conséquences qui en découleront, des possibilités d'hébergement.

Valérie Létard a pris l'initiative de mettre en place des référents locaux, qui assureront l'accompagnement, en amont de la plainte, et permettront ainsi d'envisager et de régler les divers problèmes comme l'hébergement ou la scolarisation des enfants.

Dans les commissariats, beaucoup a été fait en matière d'accueil : 118 intervenants sociaux y travaillent désormais. Ils constituent un élément clé du dispositif, puisqu'ils permettent de libérer la parole et de passer au dépôt de plainte. Pour avoir soutenu leur implantation sur le territoire de Belfort, je peux vous dire combien ces personnes sont utiles. Une étude, réalisée par un cabinet privé, a montré que 60 % des personnes qui venaient exposer un problème étaient inconnues des services sociaux communs.

Néanmoins, ce dispositif pose des problèmes d'ordre administratif et financier. L'aide sociale relevant de la compétence du département, il faut obtenir des conseils généraux que certains de leurs fonctionnaires soient affectés dans des services de police. En outre, les 35 millions d'euros alloués chaque année au fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) sont insuffisants pour financer une telle dépense, qui de surcroît a un caractère pluriannuel.

Les intervenants sociaux dénoncent la précarité de leur fonction. Une charte permettrait d'harmoniser les fonctions et le déroulement des carrières. Il faut que les missions qui sont confiées aux intervenants sociaux soient clairement définies et que les besoins soient évalués pour programmer une montée en charge des effectifs. Ce dispositif n'exclut pas les autres, et il importe de soigner l'articulation de ces interventions avec celles des référents, en amont de la plainte, et avec le travail, sur un plus long terme, des assistantes sociales.

L'information sur les premiers signes de violence, détectés par le personnel scolaire, social ou de santé, doit pouvoir être partagée. Ce travail de prévention entre dans le cadre de l'application de la loi de 2007 sur la prévention de la délinquance, dont le Président de la République a demandé récemment la relance.

Nous disposons pour cela d'un certain nombre d'outils, comme les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) mis en place dans les municipalités. Des groupes thématiques peuvent être créés en leur sein : je pense notamment aux groupes d'échange d'informations nominatives, au sein desquels peut se pratiquer le secret partagé. A Evry, le groupe est piloté par un magistrat du parquet ; à Rennes, le procureur de la République a signé des conventions avec les présidents de CLSPD sur les bonnes pratiques en matière de secret partagé. Nous préconisons une extension de ces dispositifs.

Quelle est la situation en outre-mer ? Il n'existe pas de différences notables avec celle qui prévaut dans l'hexagone, sauf que les dispositifs partenariaux comme les CLSPD y sont moins développés et que l'on ne compte en tout et pour tout que quatre intervenants sociaux.

Les réponses apportées aux violences intra-familiales dans les différents pays européens sont variées. Le phénomène est ignoré dans certains, érigé comme priorité gouvernementale dans d'autres. Parmi ces derniers, l'Espagne est le plus en pointe, avec une législation qui remonte à 2004.

L'outil phare de la politique espagnole – l'ordonnance de protection, délivrée par le magistrat de permanence après que la victime a rempli un simple imprimé – ne paraît pas tout à fait adapté au droit français, en particulier au principe du contradictoire. Certes, la victime est immédiatement placée sous la protection solennelle de la justice, mais ce dispositif est qu'il peut conduire à diriger l'affaire vers une procédure de médiation, alors que la sanction importe en la matière.

En tant que secrétaire général du CIPD, j'ai participé aux travaux interministériels. Pour autant, mes rapports ne portent pas sur les questions plus juridiques telles que la caractérisation des violences psychologiques, l'échange d'informations entre magistrats du civil et du pénal, ou l'ordonnance de protection. J'ai soumis mes conclusions à la ministre de l'intérieur, qui devrait les présenter dès demain au Premier ministre.

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