Les objectifs définis peuvent apparaître comme insuffisants aux yeux du Japon, voire de la Corée du Sud : la principale crainte du Japon est celle de la conclusion d'une sorte d'accord entre les Etats-Unis, la Chine et peut-être aussi la Corée du Sud, selon lequel la nucléarisation de fait de la Corée du Nord finirait par être acceptée en échange d'un engagement à limiter la prolifération. Cet accord est aujourd'hui très peu probable. Cependant le Japon aurait du mal à accepter de vivre sous la menace du feu nucléaire.
Après les tirs de missiles du mois d'avril, l'ONU avait une nouvelle fois exigé de la Corée du Nord, dans une déclaration, l'abandon de son programme nucléaire et l'arrêt de tout essai balistique. Une demande de renforcement des sanctions déjà mises en oeuvre avait été formulée. La question est celle de la portée réelle de ces sanctions. Malgré la modération de la première résolution, la Corée du Nord a annoncé la relance de son programme nucléaire, expulsé les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), et rejeté tous les accords qu'elle avait précédemment signés. Elle a enfin procédé à cet essai du 25 mai qu'elle revendique comme nucléaire et que la communauté internationale considère comme tel.
Face à ce comportement, la position de la Chine reste ambiguë, en dépit de déclarations sévères. Elle reste très proche du régime nord-coréen. Un accord de sécurité militaire lie toujours les deux pays. Cette année, devait avoir lieu la commémoration du soixantième anniversaire des relations diplomatiques entre la Chine et la Corée du Nord ; à cette occasion une visite des dirigeants nord-coréens à Pékin était envisagée.
La Chine a aussi du mal à franchir le pas vers des condamnations plus efficaces. Lors du premier tir de missile, la Chine – comme la Russie – avait accepté de signer la déclaration du Conseil de sécurité, qui le dénonçait sévèrement. Cependant cette déclaration n'était pas contraignante et ne comportait pas de nouvelles sanctions. En même temps la Chine avait refusé que ce tir soit clairement qualifié d'essai balistique. Elle avait également refusé l'adoption de sanctions supplémentaires. Surtout, elle continue à prôner la modération envers la Corée du Nord et à mettre quasiment sur le même plan ce pays d'une part, les Etats-Unis et leurs alliés de l'autre.
Depuis le dernier essai nucléaire, la Chine a annoncé qu'elle allait cesser de recevoir des dignitaires nord-coréens. En même temps une déclaration d'un porte-parole du ministère des affaires étrangères russe publiée hier dans la presse expose que si la Russie et la Chine condamnent fermement l'essai nucléaire, elles comprennent les inquiétudes légitimes de la Corée du Nord, qui se sent menacée. Pékin persiste donc à défendre une ligne d'équilibre entre les Etats-Unis et la Corée du Nord.
Les intérêts de la Chine en Corée du Nord sont importants et croissants. La Chine est le premier partenaire commercial du pays, avec des échanges commerciaux en 2008 atteignant 3 milliards de dollars, qui ont augmenté de plus de 40 % l'an dernier, faisant passer la Chine devant la Corée du Sud. Elle y a multiplié les investissements dans des secteurs-clés tels que ceux de l'énergie et des matières premières. De ce fait, l'hypothèse d'une réunification entre le Sud et le Nord sur la base de l'économie est aujourd'hui plutôt en recul. Les Chinois attachent de l'importance à ce partenariat économique. Le premier ministre chinois a rappelé qu'il fallait renforcer dans tous les domaines la coopération économique entre la Chine et la Corée du Nord. En même temps, l'agence de presse Xinhua a rappelé que jamais la Chine n'avait aidé la Corée du Nord dans son programme nucléaire civil.
Il est aussi idéologiquement très difficile pour Pékin d'abandonner un « pays frère », quelles que soient les difficultés dont il peut être la cause. La Chine ne veut pas non plus être évincée d'un processus de solution, quel qu'il soit, en Corée du Nord. Pour autant, Pékin a semble-t-il beaucoup de mal à y imposer un clan plus raisonnable, plus favorable à l'ouverture.
Lors d'une réunion à Berlin, des experts chinois ont aussi fait valoir que, en Asie du Nord-Est, la principale préoccupation de la Chine restait le rôle des Etats-Unis dans une situation qu'ils continuent à qualifier de « guerre froide » – maintien des alliances bilatérales des Etats-Unis avec le Japon et la Corée du Sud, poursuite de leurs ventes d'armes à Taïwan –et qu'en comparaison l'accès à la puissance nucléaire de la Corée du Nord était une affaire secondaire.
Les Chinois, notamment les milieux militaires, exposent aussi qu'on peut comprendre la volonté de la Corée du Nord de se doter d'une capacité de dissuasion lui permettant de préserver le régime et le pays de menaces extérieures. Selon certains experts chinois, le véritable objectif de la Corée du Nord ne serait plus de négocier en vue d'une aide économique ou d'une reconnaissance des Etats-Unis mais bien, sur le modèle indien, d'être reconnue par ceux-ci comme une puissance nucléaire, même non officielle.
L'ensemble de ces éléments amène à s'interroger sur les limites des intérêts communs que les Occidentaux peuvent aujourd'hui avoir avec la Chine sur la question de la Corée du Nord, ainsi que sur l'intérêt de poursuivre des négociations approfondies. Les Etats-Unis ont fait des offres de reprise d'un dialogue direct avec Pyongyang. Elles sont jusqu'ici restées sans réponse. La Corée du Nord refuse pour le moment le dialogue à six. L'organisation d'un dialogue à cinq, ouvert à la Corée du Nord est donc évoquée. La Chine ne veut pas en être exclue : le dialogue a six avait été présenté comme l'un des grands succès de sa diplomatie. La Chine apparaît aussi comme l'une des grandes puissances de l'Asie du Nord-Est, disposant de vraies clés : outre les échanges économiques, la Chine est le principal, voire le seul, fournisseur de pétrole de la Corée du Nord. Ce pétrole est indispensable à l'armée nord-coréenne. La Chine dispose donc de moyens de pression considérables. Il n'est pas certain qu'elle soit aujourd'hui prête à les utiliser. Enfin, en cas de crise très grave en Corée du Nord, les Etats-Unis aimeraient entamer un dialogue avec la Chine en vue d'une gestion en commun de celle-ci. A ce jour, la Chine reste très réticente.
Le Japon est quant à lui farouchement hostile à tout arrangement qui aboutirait à une reconnaissance du fait nucléaire nord-coréen. Il se sent aujourd'hui directement menacé. Avoir déjà été frappé du feu nucléaire est un élément essentiel de la conscience japonaise. Le Japon reste aussi totalement dépendant de son alliance avec les Etats-Unis. L'administration Obama et la communauté internationale doivent s'efforcer de rassurer le Japon. Le consensus politique au Japon est total : le Parlement japonais a adopté une déclaration très ferme. De plus, en cas d'accord avec la Corée du Nord, le financement japonais sera essentiel.
Au cas où le Japon se sentirait mal écouté, un sentiment de frustration et d'impuissance pourrait se développer. La Chine prend même en compte un risque de prolifération nucléaire au Japon. Il est limité. Certes le Japon est un pays du seuil nucléaire et l'admet. Cependant des contraintes très fortes gênent le franchissement de ce seuil, même si, au sein du parti libéral-démocrate (PLD) actuellement au pouvoir, certains souhaitent que le Japon puisse se donner une capacité de première frappe, de façon à pouvoir frapper le territoire nord-coréen avant d'être frappé lui-même.
Le Japon renforce néanmoins ses capacités militaires à faire face à la menace militaire coréenne. Il poursuit activement le développement du système antimissile auquel il est associé. Ce renforcement s'opère dans le cadre de l'alliance avec les Etats-Unis. Le Japon a besoin d'une communauté absolue d'intérêt et d'estimation des menaces avec ceux-ci. Les Etats-Unis ont réaffirmé la garantie du parapluie nucléaire. Cependant certains analystes japonais craignent que le discours du président Obama sur le désarmement nucléaire ne pèse à terme sur la garantie de sécurité accordée au Japon.