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Intervention de Martin Briens

Réunion du 3 juin 2009 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Martin Briens, sous-directeur du désarmement et de la non-prolifération nucléaires au ministère des affaires étrangères et européennes :

Avec nos partenaires, nous travaillons à réunir les éléments – notamment les radionucléides – permettant de confirmer que l'essai est nucléaire. La Corée du Nord affirme elle-même que tel est le cas. Regrouper deux mille tonnes d'explosifs conventionnels au fond d'un puits demande un effort considérable. Nous avons donc toutes les raisons de penser qu'il s'agit d'un essai nucléaire et la réaction très forte du Conseil de sécurité, le jour même, le 25 mai, se fonde sur cette opinion.

L'essai du 25 mai serait donc un essai nucléaire de faible puissance, environ 2 kilotonnes équivalent TNT comme l'indique le CEA. L'essai précédent, en octobre 2006, n'avait mis en oeuvre que 0,4 kilotonnes ; il s'agissait donc sans doute soit d'un échec soit d'une explosion non nucléaire. L'essai du 25 mai est lui-même de faible énergie : l'explosion d'Hiroshima a représenté 15 kilotonnes.

Cet essai nucléaire s'est accompagné de l'essai de six missiles sol-air et sol-mer de courte portée. Surtout, il avait été précédé le 5 avril d'un tir d'un missile Taepodong-2 de longue portée. Ce tir, prétendument à des fins de lancement spatial, a permis à la Corée du Nord de qualifier des technologies très sensibles, notamment la séparation d'étage : c'est la séparation d'étage qui permet aux missiles d'atteindre des portées intercontinentales.

L'essai nucléaire du 25 mai s'inscrit dans une logique d'escalade de la part de Pyongyang, et constitue une violation de la résolution n° 1718 du Conseil de sécurité, adoptée en octobre 2006, après le premier essai.

Quelles sont les motivations du régime nord-coréen ? Quoique ce régime constitue une sorte de boîte noire, très difficile à percer, des hypothèses peuvent être esquissées. C'est un régime avant tout obsédé par sa survie, dans un monde qu'il perçoit, non sans raison, comme hostile. Il joue depuis vingt ans, avec un certain succès, de son pouvoir de nuisance pour extorquer divers avantages à la communauté internationale. C'est dans cette logique que se situe l'essai.

La Corée du Nord a probablement voulu mener trois actions. D'abord, avec le lancement du missile de longue portée du mois d'avril et cet essai nucléaire, elle démontre ce qu'elle appelle sa capacité de dissuasion.

Ensuite, elle a peut-être voulu se mettre en situation de force en vue d'une éventuelle négociation avec l'administration Obama. Plusieurs cycles ont déjà eu lieu selon le même schéma. La Corée du Nord fait monter les enchères avant d'accepter le dialogue et d'en tirer des bénéfices ; puis, au moment d'exécuter ses engagements, elle retourne dans un cycle de provocation. Les Sud-Coréens considèrent que c'est là le cinquième ou le sixième cycle de ce type. L'inconvénient est qu'entre-temps la Corée du Nord a accompli des progrès techniques.

La troisième action, la plus difficile à décrypter, pourrait être liée à des préoccupations internes. Le régime nord-coréen est le premier régime communiste pourvu d'une succession dynastique. Kim Jong-Il, qui a succédé à son père Kim Il-Sung, est affaibli et malade. Selon des échos parus hier dans la presse coréenne, il aurait désigné pour successeur son troisième fils Kim Jong-Un, qui serait né en 1982 ou 1983. La colonne vertébrale du régime est l'armée. La politique officielle du régime, c'est « l'armée d'abord ». En poursuivant cette stratégie de la tension, Kim Jong-Il donnerait des gages aux militaires. C'est cependant là pure spéculation : personne n'est capable de savoir ce qui se passe à Pyongyang.

Le comportement de la Corée du Nord appelle de la part de la communauté internationale une réponse très ferme. Il faut d'abord lui faire savoir qu'elle doit cesser l'escalade. La prochaine étape, une escalade conventionnelle, assortie d'incidents, maritimes, aériens ou terrestres, pourrait présenter des dangers en cas de dérapages. Ensuite, l'attitude de la Corée du Nord constitue un défi lancé au Conseil de sécurité, du fait de l'adoption en octobre 2006 de la résolution n° 1718, placée sous le régime du Chapitre VII de la Charte, ainsi qu'au régime de non-prolifération nucléaire et aux efforts de lutte contre la prolifération. Il nous faut aussi rassurer nos partenaires dans la région. Depuis plusieurs années, on voit émerger au Japon un débat sur les capacités de défense. Il est important de montrer au Japon et à la Corée du Sud que leurs alliés sont à leurs côtés face à la menace nord-coréenne. Enfin, il faut « faire un exemple » à l'attention d'autres pays proliférants. L'Iran observe les événements avec beaucoup d'attention. La façon dont nous répondrons à l'essai nord-coréen y sera attentivement suivie. Il existe aussi entre la Corée du Nord et des pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient ou d'Asie du Sud des coopérations proliférantes dans les domaines balistique et nucléaire.

Pour ces raisons, au Conseil de sécurité, nous préparons avec nos partenaires américain, britannique, sud-coréen et japonais un projet de résolution très ferme, qui comporterait des sanctions supplémentaires. Nous travaillons sur l'inspection des cargaisons et sur des mesures financières, ces dernières ayant fait leurs preuves contre ce régime en 2005. Nous allons aussi proposer des mesures contre les exportations d'armes vers la Corée du Nord : la première préoccupation des militaires nord-coréens est en effet leur équipement en armement conventionnel. L'inconnue est l'attitude de la Chine : bien qu'elle ait réagi de façon bien plus forte qu'à l'habitude à l'essai nord-coréen, nous ne savons pas si elle acceptera ou non des sanctions robustes. Nous espérons que cette résolution sera adoptée très rapidement.

Nous savons par expérience qu'après un cycle de provocations la Corée du Nord accepte de reprendre le dialogue. La question est celle de son cadre. Les « pourparlers à six » ( Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Japon, Russie et Etats-Unis ), cadre de ce dialogue depuis quatre ans, pourront-ils reprendre ? L'administration Obama acceptera-t-elle d'entamer un dialogue direct avec la Corée du Nord ? Quels en seront les objectifs ? Le premier est, à terme, le démantèlement du programme nucléaire nord-coréen, prévu par la résolution n° 1718. Il faut aussi tenter de contenir la prolifération qui a pour origine la Corée du Nord. Il est enfin essentiel de disposer d'un processus politique, de façon à apaiser la tension dans la péninsule, qui inquiète fortement le Japon.

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