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Intervention de Jacques Bouchez

Réunion du 3 juin 2009 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Jacques Bouchez, directeur-adjoint à la sécurité et à la non-prolifération au Commissariat à l'énergie atomique, CEA :

Pour surveiller et détecter d'éventuels essais nucléaires, le CEA, comme l'ensemble de la communauté internationale, utilise plusieurs types de méthodes. Les méthodes géophysiques, la sismologie en premier lieu, permettent de détecter principalement les essais nucléaires souterrains. Des microbaromètres permettent d'analyser les ondes acoustiques engendrées au moment de l'explosion. Enfin, des appareils spéciaux de prélèvement d'air et d'analyse permettent de mesurer, sous forme soit de particules, soit de gaz, les retombées radioactives éventuelles. Tous ces équipements peuvent être situés à de grandes distances du lieu de l'explosion. Les données qu'ils fournissent sont complétées par l'analyse d'images prises par des satellites d'observation. Aujourd'hui ce travail s'effectue dans le cadre de la mise en place progressive du système de surveillance international prévu par le Traité d'interdiction complète des essais (TICE). Ce système comportera 321 stations ; 80 % d'entre elles sont opérationnelles aujourd'hui. L'objectif est que le système soit complet le jour où le traité entrera en vigueur, lorsque les 44 pays mentionnés à son annexe 2 l'auront ratifié. A ce jour manquent notamment les ratifications des Etats-Unis, de la Chine, de l'Iran et d'Israël. Certains Etats, comme la Corée du Nord, n'ont pas signé le traité.

Ce système de surveillance international repose sur les contributions des Etats membres. La France y contribue par 16 stations, situées dans les départements et territoires d'outre-mer ; elle construit aussi des stations pour le compte de pays avec lesquels elle a passé des accords de coopération, et qui ne disposent pas des technologies nécessaires pour assurer leur contribution ; au total la France construit 24 stations.

Le CEA exploite ces moyens, ainsi que des moyens nationaux que je ne présenterai pas aujourd'hui, 24 heures sur 24 et 365 jours par an. Le système international a été conçu pour être capable de détecter tout essai dégageant un kilotonne d'équivalent TNT, où qu'il se produise, sur terre, dans les airs, ou dans les océans.

Notre travail consiste à observer, détecter, caractériser et prévenir. À partir des moyens que je vous ai présentés, nous avons détecté le 25 mai dernier un événement géophysique. Il a ensuite été caractérisé très rapidement, au moyen de données fournies par plusieurs dizaines de stations sismiques. Il a été possible de déterminer que cet événement avait eu lieu à environ un kilomètre de l'explosion qui s'était produite en 2006 en Corée du Nord. Les tirs souterrains ont été réalisés dans des galeries creusées dans une montagne, sous une couverture relativement importante, ce qui laisse supposer qu'ils ont été bien confinés.

La magnitude – c'est le terme utilisé pour caractériser l'énergie libérée par un événement géophysique – de l'explosion que nous avions détectée en 2006 était évaluée entre 3,6 et 4, ce qui correspond à un petit séisme tel qu'il s'en produit régulièrement sur le territoire métropolitain français. La magnitude de l'événement sismique enregistré en 2009 se situe entre 4,4 et 4,5, correspondant à une libération d'énergie environ cinq fois supérieure.

Les différences entre le spectre des signaux enregistrés en mai 2009 et en 2006 et celui d'un signal de magnitude similaire correspondant à un séisme naturel montrent que ce que nous avons enregistré est bien une explosion. Cette explosion est-elle de nature nucléaire ? Si l'événement observé avait été de magnitude très importante, nous aurions pu dire que cette explosion n'avait pas pu être réalisée avec des explosifs conventionnels, et nous aurions conclu à son caractère nucléaire. La magnitude que nous avons détectée est celle d'une explosion d'environ deux kilotonnes d'équivalent TNT. Si l'énergie dégagée est plus forte que celle définie en 2006, elle peut encore être obtenue par l'usage d'explosifs conventionnels. Les moyens géophysiques ne permettent donc pas de trancher définitivement sur la nature nucléaire ou non de cet événement.

Ce qui le permettrait serait la détection de radionucléides : même dans le cas d'une explosion souterraine, certains radioéléments peuvent finir par s'échapper dans l'atmosphère, par les fissures du milieu géologique, en très petite quantité et sous forme de gaz. La détection de radionucléides est un élément de confirmation du caractère nucléaire d'un événement.

Le système international dispose de stations dédiées à leur mesure. En l'occurrence, ces éléments sont les isotopes radioactifs d'un gaz rare, le xénon. Les stations les plus proches de l'événement, celles d'Usurisk, en Russie, de Takasaki, au Japon, et deux stations en Chine situées près de Pékin et de Canton, n'ont pas à ce jour détecté d'isotopes radioactifs du xénon qui fourniraient la preuve irréfutable du caractère nucléaire de l'explosion.

En conclusion, nous ne disposons pas à ce jour de certitude sur le caractère nucléaire de l'explosion enregistrée en mai 2009.

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