Si je puis ajouter quelques remarques, nous faisons face à un pari de Pascal inversé : soit chacun attend que les autres agissent, et l'on est sûr que tout le monde sera perdant ; soit on agit en acceptant le risque que les autres ne se décident pas assez vite, et l'on engrange immédiatement un bénéficie, notamment en matière d'indépendance.
Je rappelle que l'urgence n'est pas seulement écologique, mais aussi économique, car nous sommes à cinq ans du pic de production du pétrole. À mesure que l'on se rapproche des limites, on se rend compte que l'économie et l'environnement sont une seule et même réalité : toute activité économique consiste en une transformation des ressources naturelles.
Il faut donc se convaincre que la fonction de production reposant sur deux facteurs, le capital et le travail, est erronée : il faut ne pas oublier également de prendre en considération les ressources naturelles. Aujourd'hui, le facteur limitatif n'est plus la quantité de bras disponibles ou le capital. La nécessité de la fiscalité environnementale n'est que la conséquence de la réintégration des ressources naturelles dans la fonction de production.
Il me semble même que les prélèvements assis sur les ressources naturelles doivent être la colonne vertébrale du système fiscal de demain. Étant donné que 99 % des hydrocarbures consommés en France sont importés, on rendra service à nos concitoyens en leur adressant dès maintenant un signal prix.
La hausse des prix du carburant décidée après-guerre dans les pays européens a ainsi permis de limiter à 10 % la chute des ventes des constructeurs automobiles quand le prix du baril de pétrole a été multiplié par cinq, alors que, dans le même temps, la production a été divisée par deux aux États-Unis. C'est le fruit d'une politique intelligente de taxation des carburants : on a construit un appareil industriel produisant des voitures beaucoup plus économes.
En augmentant le prix de l'énergie, de la même façon que nous avons augmenté celui du tabac, nous protégerons nos concitoyens même s'ils n'en ont pas encore conscience. En effet, nous leur donnerons à l'avance le signal dont ils ont besoin.
En matière de redistribution, on peut envisager toutes les solutions, hormis la détaxation de l'énergie pour certains. De son côté, la fondation Hulot a proposé de déplacer les prélèvements fiscaux du travail vers l'énergie, afin d'avantager les industries de main-d'oeuvre, qui sont peu délocalisables. Les industries intensives en capital en pâtiront certainement, mais dans certaines limites : on n'ira jamais produire l'électricité française à Taïwan.
Concernant les ménages, la fondation Hulot a proposé que l'administration fiscale « fasse un chèque » qui corresponde au montant collecté de la taxe carbone ou de la contribution énergétique dans l'année, égal pour tous. À la fin de l'année, ceux qui se trouvent dans le bas de l'échelle des revenus recevront un montant plus élevé que ce qu'ils auront payé au total. Ceux qui gagnent le plus connaîtront un sort contraire. Un tel système serait non seulement redistributif, mais également incitatif d'un point de vue environnemental, puisque les prix de l'énergie augmenteront de façon programmée sans que le pouvoir d'achat soit touché.
J'ajoute que tous les acteurs industriels expriment une préférence pour une contrainte prévisible et progressive par rapport à la volatilité. Le PDG de Total a par exemple indiqué qu'il comprendrait très bien que l'État augmente délibérément le prix de l'énergie. Pour sa part, le PDG de Citroën a déclaré que l'État devait prendre ses responsabilités et que le meilleur l'emporterait alors – il pense en effet que ce sera son entreprise. Quant au PDG de Schneider, il avoue franchement que les entreprises n'innovent que sous la contrainte.
Or on sait très bien qu'une entreprise risque fort de licencier quand elle doit s'adapter rapidement ; quand elle dispose de temps, elle peut au contraire réaliser des investissements productifs. Tous mes clients anticipent déjà des scénarios de rupture pour éviter de subir les événements.
Je le répète : il est possible de mener une politique fiscale intelligente et parfaitement redistributrice. On peut aider ceux qui en ont le plus besoin tout en favorisant l'emploi, même s'il n'est pas du tout certain que le pouvoir d'achat ne pâtisse pas de la hausse du coût de l'énergie. Il faudra donc des élus très intelligents pour gérer une forme de restriction. Cela étant, rien ne peut être pire que la surprise dans ce domaine.
S'agissant des questions de centralisation et de décentralisation de l'énergie, il faut se souvenir que la production ne se stocke pas : une bonne production électrique est centralisée, tandis qu'une bonne production de chaleur ne l'est pas. Les technologies renouvelables qui seraient décentralisées présentent donc un plus grand intérêt en matière de production de chaleur que d'électricité.
J'ajoute que l'énergie photovoltaïque ne représente qu'une part infime de l'énergie produite dans le monde. Par conséquent, il faut abandonner l'idée de couvrir des besoins substantiels grâce cette technologie dans les dix années qui viennent. Il est certes bon de garder un fer au feu en investissant dans la recherche, dans l'hypothèse où l'on parviendrait à diviser les coûts de production par quatre et où l'on pourrait stocker l'électricité de façon économique, mais il ne faut pas augmenter les tarifs de rachat. Ce serait de l'argent dépensé en pure perte. Mieux vaudrait construire un EPR tout de suite.
Le véritable fondement de la politique de l'État doit être la tonne de CO2économisée. Pour cela, il faut d'abord faire du contrôle de gestion : combien économise-t-on grâce à chaque euro dépensé ? C'est une grille de lecture très structurante pour l'action.
Pour ce qui est de la dimension européenne, la fiscalité demeure une compétence nationale. Attendre que l'Europe légifère sur ce sujet, c'est donc perdre le combat d'avance. Il faudra bien qu'un État se jette à l'eau, en profitant au passage de tous les « dividendes » présentés par Olivier Godard.
L'Union européenne peut en revanche jouer un rôle essentiel en matière réglementaire dans trois domaines : la consommation des véhicules – il faut fixer une obligation de consommation de 50 grammes de CO2 par kilomètre dès 2018 ; la performance thermique des bâtiments, que l'on peut très bien réglementer au moment des mutations de patrimoine ; et enfin le CO2 émis lors de la production électrique – il existe déjà un système de quotas, mais on pourrait très bien interdire l'utilisation du charbon sans capture ou séquestration dans les années qui viennent.