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Intervention de Olivier Godard

Réunion du 8 octobre 2008 à 11h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS :

Depuis l'adoption de la Charte de l'environnement, les politiques publiques doivent viser à un développement durable. Cette notion signifie que les enjeux environnementaux ne doivent plus être traités à côté de la question de la croissance, ou bien par un renoncement à cette croissance, mais au contraire par une action sur les principales composantes physiques du parc productif, qu'il s'agisse des choix technologiques, des ressources exploitées, des structures de consommation, ou encore de l'organisation spatiale de l'activité économique.

L'objet du développement durable est d'assurer la préservation et la valorisation du capital naturel pour le plus grand bénéfice des hommes, et non pour celui de la nature en elle-même. Comme nous agissons au sein d'une économie de marché régulée, la question environnementale doit être placée au centre de la régulation économique, faute de quoi on ne fera que se payer de mots.

Parviendra-t-on au résultat souhaité par une correction spontanée des prix de marché – qui n'intègrent qu'une partie des coûts – ou bien par l'extension de la régulation au moyen des prix ? Selon moi, nous n'atteindrons un développement durable que lorsque la question des ressources sera intégrée de façon routinière dans les mécanismes économiques, comme le sont déjà les autres facteurs de production.

De nombreux travaux théoriques et pratiques ont démontré que les mécanismes de prix ont un grand potentiel en matière d'efficacité économique, c'est-à-dire de maîtrise des coûts. En jargon, on appelle cela une internalisation des effets externes. J'ajoute que les mécanismes de prix sont le meilleur moyen de concilier un impératif collectif avec la préservation des libertés individuelles, lesquelles sont beaucoup plus restreintes lorsque l'on recourt à la contrainte réglementaire.

Afin d'intégrer les facteurs environnementaux dans le système économique sous la forme de prix, on ne dispose en effet que de deux méthodes.

La première est que les autorités publiques fixent un prix quand il n'existe pas, ou bien qu'elles le corrigent quand il existe déjà, avant de laisser les agents s'adapter au signal prix par l'intermédiaire des quantités. C'est précisément ce que permet de réaliser une fiscalité conçue en vue de produire un effet incitatif sur les comportements, et non d'engranger des ressources budgétaires. Le recours à des subventions, qui ne sont rien d'autre que des taxes négatives, peut produire le même résultat, qu'il s'agisse d'un crédit d'impôt ou d'autres formules.

Le deuxième type d'instrument envisageable repose sur une autre variable : les autorités publiques déterminent un plafond quantitatif et organisent une répartition des droits à produire, puis laissent un prix de marché se former. Le système européen des quotas de production de CO2 en est un bon exemple.

Pour ce qui est des marchés de droits, il existe une alternative : soit la répartition initiale des plafonds se fait à titre gratuit, et le mécanisme s'apparente à une aide d'État ou à une subvention du point de vue du droit communautaire ; soit on met ces droits aux enchères, comme le propose la Commission européenne pour les émissions de CO2.

Il n'y a guère de différence entre le recours à une taxe et l'instauration d'un marché de permis, à ceci près qu'on dispose d'une plus grande certitude concernant les quantités dans le deuxième cas, puisqu'il existe un plafond. Le prix final est en revanche plus incertain : il faut se contenter de prévisions économiques sur le prix d'équilibre du marché. Le choix dépend donc du type d'incertitude que l'on accepte le moins volontiers : la question est de savoir s'il vaut mieux être certain des quantités produites, ou bien du prix que paieront les acteurs économiques.

Dans les deux cas, il importe de veiller à la prévisibilité du système : les acteurs économiques doivent connaître le calendrier des restrictions quantitatives ou bien celui de l'évolution du régime de prix. C'est d'ailleurs le principal inconvénient du marché européen de quotas de CO2 : en raison des contraintes internationales, les règles du jeu n'ont valu que pour de brèves périodes, et nul ne sait quelles seront les règles applicables demain. Une telle incertitude nuit fortement à l'effet incitatif de ce type de mécanismes, car on n'investit pas sur une période courte.

Il existe par ailleurs des circonstances plus ou moins favorables à l'instauration d'instruments économiques reposant sur les prix, que ce soit par l'intermédiaire d'une taxation ou d'un marché de permis. Le mieux est de se trouver face à de très nombreux agents placés dans des situations hétérogènes du fait de leur développement technologique ou de la taille de leur activité.

Il importe également que les agents économiques disposent de marges de manoeuvre suffisantes pour répondre aux incitations. En effet, lorsque la demande est absolument rigide, parce qu'il n'existe pas d'autre option, l'instauration d'une taxe ne modifiera pas les comportements. Il faut que les agents puissent recourir à des solutions variées pour réaliser leur activité.

La fiscalité environnementale nécessite donc non seulement que l'on facilite la compréhension du système grâce à des mesures d'information des acteurs, mais aussi que l'on lève les obstacles réglementaires et institutionnels qui contraindraient les comportements.

Il faut en outre prendre en compte les effets induits sur l'offre réelle. Il suffit de songer à ce qui passerait si l'on augmentait la fiscalité des carburants sans qu'il soit possible de développer l'offre de transports collectifs : les agents qui ont besoin de se déplacer perdraient en bien-être, ce qui ne serait guère conforme à l'objectif de développement durable. Il faut au contraire susciter un basculement d'un mode de transport à un autre afin de satisfaire la demande. Tel est précisément l'enjeu des instruments incitatifs.

De façon symétrique, l'expérience a démontré que l'existence d'un signal prix était une condition d'efficacité pour la réalisation d'autres politiques. Lorsque des actions de maîtrise de l'énergie ont été instaurées à rebours du signal prix, notamment lors des contre-chocs pétroliers, les comportements des agents ont été plus sensibles aux prix qu'aux mesures incitatives.

Les politiques publiques ont en outre eu pour effet fâcheux d'amplifier les cycles : on a commencé à démanteler les initiatives de maîtrise de l'énergie à la suite de la détente sur les prix du pétrole, puis on les a renforcées quand les prix ont à nouveau augmenté. Il serait bien préférable d'assurer la pérennité des signaux envoyés aux acteurs économiques.

Après ce rapide tableau des instruments économiques dont nous disposons, j'en viens à la question du changement climatique en elle-même. La fiscalité environnementale peut naturellement concerner la gestion de l'eau, des déchets ou des espaces naturels, mais le changement climatique doit être considéré comme une priorité.

Notre génération porte en effet une immense responsabilité morale. Martin Weissman, un économiste renommé de Harvard, a cherché à traduire sous forme de probabilités les conséquences d'une augmentation de la température : si la concentration de CO2 ne dépasse pas 550 parties par million, objectif sérieux mais difficile à atteindre, la température devrait augmenter de trois degrés ; ce chiffre n'étant qu'une médiane, il existe une probabilité d'environ 5 % que la variation dépasse 11 degrés.

Or, nul ne peut prévoir quelle sera la réaction à un tel changement. On sait seulement que les phases d'extinction massive des espèces vivantes correspondent à des évolutions de moins de 8 degrés. Sans verser dans le catastrophisme, il devrait en résulter un conflit pour la survie entre les espèces, y compris l'humanité.

Il y a bien sûr 95 % de chances que la température n'augmente pas dans de telles proportions, mais il faut bien mesurer ce que cela signifie : en un an, le risque pour un soldat américain de perdre la vie en Irak est dix fois inférieure à cette probabilité de 5 %. Peut-on accepter un risque dix fois supérieur à celui qu'encourt un soldat partant se battre en Irak ?

Il faut être pleinement conscient de la voie dans laquelle nous nous engageons si nous ne réagissons pas de façon énergique. Et c'est pourquoi le recours à la fiscalité écologique, qui est le seul moyen de faire évoluer les comportements, est aujourd'hui une nécessité.

Bien sûr, les catastrophes que j'ai évoquées ne se produiront pas dans dix ou vingt ans, mais dans 150 ou 200 ans. Il n'en reste pas moins que les processus physiques en jeu sont irréversibles et qu'il faudra réduire les émissions de gaz avant 2020.

À cet égard, je rappelle que nous avons commencé à nous préoccuper de ces questions au début des années quatre-vingt-dix, avec la création du groupe interministériel sur l'effet de serre. Depuis cette époque, il y a eu la convention de Rio, le protocole de Kyoto ainsi que plusieurs plans « climat » en France. Si notre pays est parvenu à stabiliser ses émissions au niveau de 1990, nous ne les avons pas encore réduites. Il a tout de même fallu 15 ans pour parvenir à ce seul résultat.

Pour aller plus loin, il faudra changer de braquet. La fiscalité est donc appelée à jouer un rôle éminent, de même que les marchés de droits. L'urgence à laquelle nous devons faire face ne saurait se résumer à la crise financière actuelle : il faut aussi réorganiser notre économie en fonction des nouveaux enjeux environnementaux.

Il nous reste à peu près dix ans pour y parvenir. Or j'imagine mal, en tant que chercheur, comment notre société pourra changer aussi radicalement dans un délai aussi court. Contrairement au problème posé par le trou de la couche d'ozone, il n'y pas qu'un seul secteur industriel concerné. Il faudra au contraire organiser une transformation générale de notre économie.

Chacun sait que la réduction des émissions de gaz par un « facteur 4 » exige une action internationale, mais il ne faudrait pas en faire un préalable. Nous avons besoin d'une mobilisation de grande ampleur, qui doit être une priorité publique. N'oublions qu'il y a deux types de crise : les crises du passé, qui résultent d'erreurs de gestion, à l'image de la crise financière actuelle, et les crises de l'avenir, comme celle du climat, dont on constate seulement les premiers effets.

Bien que les phénomènes observables à l'heure actuelle ne soient pas encore plus épais qu'un trait de crayon, ils auront demain la taille de ma main si nous ne prenons pas nos responsabilités dès maintenant.

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