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Intervention de Jean-Marc Jancovici

Réunion du 8 octobre 2008 à 11h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Marc Jancovici, ingénieur conseil :

Pour me présenter brièvement, je vous indique que je suis ingénieur de formation et que j'ai fait pendant 15 ans du conseil en organisation, avant de m'intéresser, depuis maintenant une dizaine d'années, à la contrainte « carbone ». Auteur du bilan « carbone » pour le compte de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, j'ai également des activités d'enseignement et j'ai participé à la rédaction du « pacte écologique » de la fondation Hulot sur la question de la taxe carbone.

Le fait d'exercer des fonctions politiques n'impliquant pas que l'on ait des connaissances en physique très précises, je voudrais rappeler que l'énergie est la grandeur caractérisant le changement d'état d'un système. Il y a ainsi création d'énergie quand on change la température ou la vitesse d'un objet, quand on modifie une forme ou une composition chimique, quand on déplace un corps, quand on modifie une composition atomique ou quand un rayonnement apparaît ou disparaît.

Vous comprendrez donc que l'énergie est ce qui permet de transformer le monde : il est équivalent d'affirmer que l'on consomme de l'énergie ou que l'on modifie l'environnement. En d'autres termes, il n'y a pas d'activité de transformation des ressources naturelles sans création d'énergie : elle est au centre de toutes les activités.

L'énergie que nous consommons provient à 80 % des hydrocarbures, le reste étant produit pour moitié à partir de bois, et pour moitié par des technologies nucléaires et hydroélectriques. Il faut ajouter que les trois quarts du charbon extraits dans le monde servent à faire tourner des centrales électriques dont dépendent 40 % de l'électricité mondiale. Cela fait du charbon la première source d'énergie utilisée aujourd'hui.

Utilisés de façon croissante depuis le début de l'ère industrielle, les hydrocarbures ont en commun deux caractéristiques : ils sont disponibles en quantité finie, et leur emploi produit des émissions de CO2 qui perturbent les échanges d'énergie entre l'espace et le sol, ce qui a pour effet de modifier le climat.

Pour ce qui est des énergies renouvelables, il faut savoir que leur importance est inversement proportionnelle à la place que la presse leur accorde. Comme vous le voyez sur le graphique que je vous présente, les deux principales énergies renouvelables sont le bois et l'hydroélectricité, dont la contribution est considérablement plus importante que celle des éoliennes. Quels que soient les investissements réalisés, le développement des éoliennes et de l'énergie photovoltaïque ne modifiera en rien le prix de l'énergie dans les années qui viennent.

S'agissant des hydrocarbures, cela fait plus de trente ans que nous avons atteint la quantité totale du pétrole extractible, qui est probablement comprise entre 2 000 et 3 000 milliards de barils. Le fait que les « réserves prouvées » continuent à s'accroître n'est que le fruit d'un artefact comptable.

Or, quand il y a un stock donné, la production annuelle atteint un maximum, puis tend vers zéro à l'infini – c'est un théorème. Le seul point qui fait débat, c'est de savoir quand on atteindra le maximum de production, dont l'existence a été déjà été constatée dans certains bassins pétroliers.

À ce jour, environ 1 150 milliards de barils de pétrole ont été produits, et la production a été multipliée par huit depuis 1950 – tout va donc très vite. S'il existe 1 500 milliards de barils extractibles, la production devrait se stabiliser autour de 90 millions de barils par jour au cours des 15 prochaines années, avant de décliner. Tel est le scénario retenu par M. Yves Mathieu de l'Institut français du pétrole. Par contre, si la quantité totale est de 2 000 milliards de barils, le pic devrait avoir lieu en 2020.

Nul ne peut savoir quel prix on atteindra alors, mais il est certain que les marchés devraient se comporter de façon erratique : le coût du baril pourrait atteindre 300 ou 400 dollars, avant de redescendre à 40 dollars à la suite d'une récession. En tout cas, il est probable que les prix deviennent très volatiles et dépassent des niveaux inenvisageables aujourd'hui.

Dans ces conditions, tout plan de développement fondé sur une courbe croissante de production est voué à l'échec. Selon M. Claude Mandil, ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie et auteur d'un rapport remis au Premier ministre en avril dernier, il est erroné de croire que la tendance actuelle peut se prolonger.

Il en résultera naturellement des conséquences économiques, comme on peut déjà le constater aux États-Unis, où la courbe représentant le prix des hydrocarbures présente une corrélation avec celle du taux de chômage depuis que ce pays a cessé d'être auto-suffisant. Dès 2006, il était évident que le taux de chômage augmenterait et que le déficit de l'État se creuserait : le prix de l'énergie influe beaucoup plus sur l'économie que les programmes politiques, car les infrastructures, l'emploi et l'aménagement du territoire en dépendent.

Si l'on utilisait toutes les ressources énergétiques disponibles, le pic de production serait seulement repoussé de 2010 ou 2020 à 2050. Contrairement à une idée répandue, ce n'est pas parce que les réserves de charbon sont égales à 300 fois la production annuelle que l'on dispose de trois siècles de réserves exploitables en toute tranquillité.

Le problème ne concerne donc pas les générations futures, mais les générations actuelles. Nous en sommes au calme avant la tempête ! Si l'on choisit de basculer du pétrole vers le charbon et le gaz, le pic des émissions de CO2 se prolongera jusqu'en 2050 et, dans ces conditions, la planète ne se réchauffera plus de 2 ou 3, mais de 5 à 6 degrés.

Si l'on souhaite en revanche que le pic de CO2 ne se prolonge pas, il ne faudra pas émettre plus de carbone que la quantité contenue dans les réserves prouvées de pétrole et de gaz. Il ne faudra pas produire d'énergie en utilisant du charbon sans recourir à des techniques de capture et de séquestration du CO2.

Que signifient par ailleurs trois degrés de plus ? De 1860 à 2000, la moyenne des températures estivales en Suisse a été comprise entre 15 et 20 degrés, avec 5 degrés de plus en 2003. Étant donné que les continents se réchauffent plus vite que les océans, la température d'été pourrait augmenter de 4 à 5 degrés si la température moyenne s'accroît de 3 degrés. L'été 2003 sera donc considéré comme « normal » au sens statistique du terme, et un été sur deux sera jugé plus chaud.

Notre écosystème français en pâtira naturellement : il faudra dire adieu aux hêtres, aux épicéas et aux chênes, et s'attendre à de très vives tensions sur les productions agricoles. Cinq degrés, c'est en effet ce qui nous sépare d'une ère glaciaire. Les sociétés actuelles seraient incapables de faire face à un tel changement sans de grandes violences, de véritables bains de sang. Le risque n'est pas que les pingouins meurent sur la banquise ; le problème, c'est nous.

Compte tenu de l'inertie du climat, il sera bien trop tard pour revenir en arrière lorsque nous commencerons à souffrir des conséquences néfastes du réchauffement climatique. Du fait de la limitation des stocks d'énergie, les émissions de CO2 vont certes décroître, mais la quantité présente dans l'atmosphère ne se stabilisera pas au moment du pic de production. Ce gaz très inerte reste en effet très longtemps dans l'atmosphère. Pour que la quantité totale diminue, il faudra attendre que les quantités émises soient deux fois inférieures à celles de 1990.

Si l'on attend d'être au-delà du pic des émissions pour agir, parce qu'il n'y aura plus assez de combustible fossile à ce moment-là, nos enfants auront à gérer un problème environnemental qui ira en s'aggravant, avec des moyens d'adaptation décroissants. L'énergie, c'est en effet ce qui permet de transformer le monde, c'est notre capacité d'adaptation. La climatisation, le transport, le système de soins, tout dépend de l'énergie.

Le coeur du problème, ce sont les prix. De 1880 à 1970, le prix du baril de pétrole est resté aux environs de 20 dollars en termes constants, alors même que le pouvoir d'achat augmentait dans le même temps. Le vrai prix de l'énergie, à savoir le temps qu'il faut travailler pour acheter un kilowattheure, a été divisé par dix en un siècle. Le coût de l'énergie n'ayant fait que baisser, il a été possible d'en consommer de plus en plus, et l'inversion de cette tendance posera bien des difficultés.

Peut-on anticiper le problème en donnant un signal prix à l'énergie ? C'est la position que je défends. En 1979, c'est-à-dire en plein choc pétrolier, on constate ainsi que la consommation des véhicules neufs a baissé dans tous les pays du monde. Bien que l'effet de cette évolution ait été masqué par l'augmentation du parc automobile, le consommateur a réagi à un signal prix. Et dès le contre-choc pétrolier, il s'est à nouveau adapté en cessant d'acheter des véhicules plus économes en pétrole.

En France, la courbe des émissions par secteur d'activité depuis 1960 offre un autre exemple de cette sensibilité aux prix, puisque l'on remarque une rupture de pente au moment des deux chocs pétroliers. La première réaction, c'est la récession, puis les programmes d'économie d'énergie finissent par produire leurs effets à terme. On constate par ailleurs que les particuliers s'adaptent moins vite que l'industrie : les plus réticents à réagir ne sont pas les industries, mais les consommateurs.

Un autre exemple, cette fois plus durable, nous est offert par la comparaison internationale des politiques de prix. Ainsi, la consommation annuelle de carburant par personne est cinq fois plus élevée aux États-Unis qu'en Europe, où les taxes sont historiquement plus élevées, ce qui reflète un signal prix de long terme. La diésélisation du parc automobile français est également très révélatrice.

On peut donc espérer réduire la consommation d'énergie fossile au moyen d'une augmentation du prix du CO2, que ce soit en taxant les émissions ou bien l'énergie elle-même. En revanche, tant que la loi sur le Grenelle de l'environnement ne fera pas place à la notion de signal prix, on n'avancera pas, quels que soient les bonus et les malus ou le montant de la TGAP. Le vrai courage consiste à augmenter durablement et de façon prévisible le prix de l'énergie.

À cet égard, je signale que la prévisibilité de cette augmentation compte sans doute beaucoup plus pour les acteurs économiques que son ampleur.

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