Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Pierre-Alain Muet

Réunion du 7 novembre 2008 à 15h00
Commission élargie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Alain Muet, rapporteur spécial de la Commission des finances, de l'économie générale et du plan, pour les programmes « Stratégie des finances publiques et modernisation de l'état » et « Conduite et pilotage des politiques économique et financière :

Je concentrerai mon intervention sur la RGPP, avant d'évoquer le projet CHORUS.

Un an après son lancement, la RGPP ne m'apparaît pas à la hauteur des enjeux de la modernisation de l'État. Elle m'inspire six remarques.

D'abord, l'objectif de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux me semble avoir conduit à un dévoiement de la politique de réforme de l'État : la RGPP aurait dû être une réflexion sur les missions de service public et sur les évolutions à apporter, sans être ainsi contrainte par cet objectif quantitatif. Cette suspicion généralisée à l'égard des fonctionnaires a été fortement ressentie par eux ainsi que par les chefs d'équipe de la RGPP. L'un d'entre eux me disait : « Il est extrêmement difficile de dialoguer avec l'administration quand on part du principe de non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux, même s'il y a la promesse de rétrocéder la moitié des économies réalisées ».

Ensuite, la culture du secret a conduit à un gaspillage de la réflexion publique. La première condition pour réussir une réforme, c'est la transparence, donc la publication des travaux. Or là encore, les personnes que j'ai auditionnées ont été claires : « Le fait qu'aucun document n'ait circulé a entretenu les fantasmes », a dit l'un ; « Tout ce qui va mal dans l'administration est maintenant attribué à la RGPP », a souligné un autre ; « Le fait de savoir que le document sera publié rend plus attentif au contenu des mesures », a indiqué un troisième. Au sein de la RGPP, les vingt équipes d'audit ont généralement mobilisé quatre ou cinq fonctionnaires ainsi qu'un consultant extérieur, pendant dix mois en moyenne, durée beaucoup plus longue que celle de la plupart des missions demandées aux corps d'inspection : il est vraiment dommage que les résultats de ce vaste travail n'aient pas été publiés. Il eût été préférable, monsieur le ministre, de vous inspirer de la démarche conduite par votre prédécesseur, qui avait systématiquement publié les audits de modernisation.

Troisième remarque : on ne réforme pas sans concertation avec les citoyens ni appropriation de la réforme par les agents publics. À cet égard, je ne suis pas très convaincu par une réforme conduite uniquement sous la houlette des cabinets du Premier ministre et du Président de la République. Le dialogue et la concertation ont été pratiqués dans tous les pays qui ont conduit des réformes ambitieuses de l'État ; en France, non seulement il a fallu reculer sur la suppression de la carte de famille nombreuse, mais le Président de la République a renvoyé à une date indéterminée toutes les RGPP concernant les politiques d'intervention. Que deviennent-elles, monsieur le ministre ?

Le Gouvernement a beaucoup fait référence à la politique canadienne : il est vrai que, dans une première phase, certains ont pu à cet égard parler de « coupes à la hache » dans les dépenses publiques et que le gouvernement canadien s'est lui aussi défaussé sur les collectivités locales. L'effet de cette politique sur la réduction du déficit a néanmoins été plus visible que chez nous. Quoi qu'il en soit, dans une deuxième phase, après que l'on se fut aperçu que cette démarche démotivait les fonctionnaires et en avait conduit beaucoup parmi les plus jeunes à quitter l'administration, le Canada est revenu à une politique centrée sur la concertation. Si l'on veut s'inspirer du modèle canadien, il faut aller jusqu'au bout.

Les autres pays qui ont conduit des politiques du type de la RGPP l'ont fait avec des Livres blancs et en lançant des discussions. En Australie, par exemple, chaque haut fonctionnaire en charge de l'un des chantiers a animé des tournées en régions, des débats, des colloques ; la réforme a pris plus de trois ans. L'expérience des pays nordiques me paraît à peu près identique.

Ma quatrième remarque concerne le recours systématique aux cabinets d'audit privés, qui ne me paraît guère justifié, et mériterait en tout cas d'être évalué. Je ne suis pas opposé par principe au recours aux cabinets privés, qui peuvent apporter un regard extérieur et une compétence appréciables, mais le coût de ce recours me paraît excessif dans le cas de la RGPP. Voici, là encore, ce que disait un chef d'équipe : « L'apport des consultants privés a été quasiment nul sur le fond. On a donc payé cher une formation accélérée, que les cabinets en question pourront faire valoir après ».

Sur le plan financier, les économies attendues de la RGPP – sept milliards sur trois ans – sont une goutte d'eau dans l'océan des déficits.

Enfin, dernière remarque, la RGPP ne comble pas l'absence d'une politique d'évaluation. Celle-ci demeure le parent pauvre de l'action publique en France. Or une véritable révision des politiques publiques ne peut ignorer l'évaluation de ces politiques, même si le temps de l'évaluation est beaucoup plus long que celui de la RGPP. Il y a là une lacune qui n'est pas comblée, même si l'évaluation figure dans l'intitulé d'un secrétariat d'État. L'efficacité des différents dispositifs – audit de modernisation, RGPP – mériterait elle-même d'être évaluée.

En ce qui concerne CHORUS, je renouvelle la remarque que j'avais faite l'an dernier : il aurait été utile de disposer d'un indicateur sur l'état d'avancement du projet et sur son coût. J'ai cru comprendre qu'il y aurait un décalage de près d'un an : il faut nous éclairer sur ce délai. Concernant le coût, la Cour des comptes mentionne un dérapage, mais il est difficile d'en avoir une idée précise, le Gouvernement nous ayant toujours donné une évaluation partielle de ce coût. Là encore, nous aimerions être éclairés.

Par ailleurs, la gouvernance de CHORUS me paraît un peu trop technique ; il manque sans doute un pilotage politique.

Je terminerai en rendant hommage à la qualité des agents. Nous avons en France une fonction publique remarquablement formée et performante, que de nombreux pays nous envient ; et autant je suis partisan d'une gestion rigoureuse des finances publiques, autant je trouve absurde de conduire la réforme de l'État avec comme seul objectif le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux : c'est à la fois choquant et inefficace.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion