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Intervention de Didier Galibert

Réunion du 6 mai 2009 à 11h30
Commission des affaires étrangères

Didier Galibert :

Il convient de garder à l'esprit que les violences concernent presque uniquement la capitale, à l'issue d'une phase de pillages qui a fait tache d'huile en province pendant quelques jours seulement.

La crise malgache peut être lue, à un premier niveau, comme une rivalité factionnelle articulant deux conflits. Deux notables se disputent l'espace médiatique et les opportunités d'enrichissement : l'événement initial de la crise est la fermeture, le 13 décembre dernier, d'une station de télévision appartenant à celui qui n'est alors encore que le maire de Tananarive, Andry Rajoelina, surnommé « TGV ». Comme Marc Ravalomanana, « TGV » est originaire des Hautes Terres et appartient au milieu entrepreneurial de la capitale. Comme l'avait fait son adversaire en 2002, il se présente comme un homme nouveau, porté par l'esprit d'entreprise et le culte de la réussite individuelle, ce qui constitue une innovation culturelle.

Leur rivalité s'inscrit dans un système de réseaux très personnalisés et aux contours instables, adoptant des mots d'ordre et des objectifs inspirés par des cultures politiques étrangères sans incidence sur leur fonctionnement. Les réseaux évincés par Marc Ravalomanana en 2002 sont venus s'agglomérer à la contestation menée par Andry Rajoelina, dans le cadre d'une alliance très fragile.

Par ailleurs, un fossé s'est creusé entre Marc Ravalomanana et son armée : l'arrêt de la multiplication des hauts grades, la distorsion entre les salaires de l'armée et ceux de la police et, peut-être, un fléchissement du niveau de formation des officiers et des sous-officiers lié aux difficultés du système éducatif depuis les années 1980 ont rendu l'armée moins légaliste et moins respectueuse de ses chefs.

Derrière cette dimension clientéliste ont joué des évolutions plus profondes, comme l'explosion du nombre des jeunes. Dans une société qui reposait sur le principe de séniorité et sur une implacable hiérarchie de la naissance selon les ordres sociaux, les initiatives d'Andry Rajoelina peuvent apparaître comme un triomphe de la jeunesse, dans un amalgame sans doute provisoire entre l'impatience des cadets de la bonne société et l'appétit des jeunes déshérités de la ville basse, protagonistes des grands pillages de la fin janvier. La capitale, seule grande ville du pays, est le creuset de cette force et de ces frustrations.

Les projets de concession de terres à des entreprises de pays industrialisés et émergents – une logique globale également à l'oeuvre en Afrique et en Amérique du Sud – ont certainement constitué une erreur politique majeure, dans un pays assimilable tout entier à un vaste sanctuaire habité par les ancêtres. Il n'y a pas eu d'émeutes rurales significatives en janvier mais cette violence symbolique contre le droit au sol traditionnel a fourni une occasion politique aux salariés urbains, manifestants pacifiques des premiers meetings.

Beaucoup plus profondément, la crise dénote une nouvelle impasse sur le terrain de la légitimité politique, qui explique le renversement du président et le surgissement de la violence dans l'espace public de la capitale, en contradiction avec un passé récent de conflits pacifiques et fortement ritualisés. Pour les manifestants des mois de janvier et de février, Marc Ravalomanana a trahi le contrat moral qui le liait à son peuple, sous le couvert des Églises chrétiennes. Tout son combat contre le président Didier Ratsiraka se résumait à l'instauration d'un État religieux, faisant fi d'un idéal laïc assimilé à l'héritage colonial et tourné vers une appropriation effective des valeurs de la citoyenneté. Son mandat de vice-président de la principale Église protestante – la FJKM – était perçu comme une garantie de cette réconciliation de la nation avec le développement.

Mais les Églises ont été prises à contre-pied par l'enrichissement du président – le chiffre d'affaires de son groupe industriel aurait été multiplié par quatre, sans aucune retombée sociale en milieu urbain, tandis que les dépenses de prestige s'accroissaient –, ce qui a eu deux conséquences. D'une part, les Églises n'ont pu jouer efficacement leur rôle d'encadrement et de médiation, du fait de la proximité de l'une d'elles avec le pouvoir ; d'autre part, la faillite du seul modèle national de légitimité politique a laissé un vide béant.

Pourquoi la crise dure-t-elle ? La nouveauté réside dans le caractère massif des pillages des 26 et 27 janvier, lorsque la quasi-totalité du secteur marchand moderne de la capitale a été désossée par une marée humaine venue de la ville basse, dans une sorte de réappropriation sociale effaçant les signes les plus visibles d'une croissance non partagée. Un tel déferlement démontre l'absence d'alternative à la stricte ritualisation religieuse des conflits politiques et pèse désormais sur les actes du gouvernement de transition.

En outre, les violences – massacre du 7 février contre les partisans d'Andry Rajoelina, fusillades sporadiques dirigées contre ses adversaires « légalistes » – se sont banalisées. Le nombre des morts paraîtra faible au regard d'hécatombes africaines, mais c'est le code traditionnel, assimilant l'ordre social et politique des vivants visibles au cosmos tout entier – comme si l'affichage de l'usage de la force mettait en péril la totalité de la vie sociale, publique et privée –, qui a été violé.

Inversement, la logique traditionnelle des palabres et du pourrissement délibéré des situations perdure. On songe à la participation des protagonistes à d'infructueuses réunions de conciliation ou au dosage de répression et de tolérance caractérisant l'attitude du pouvoir de transition à l'égard des médias et des manifestants restés fidèles à Marc Ravalomanana.

Il serait erroné de ne voir dans ces demi-concessions que des précautions à l'égard des bailleurs de fonds et des partenaires africains, tant l'histoire malgache paraît démontrer une capacité d'influence assez faible des acteurs étrangers. J'explique ce fait par la conjonction d'un sentiment insulaire puissant, d'une conscience nationale ancrée dans l'unité linguistique et religieuse – en amont du travail des missionnaires – et d'un héritage culturel privilégiant la non-responsabilité des puissants à l'égard du bien-être populaire. Ceux qui exercent le pouvoir basculent encore dans une véritable surnature, éloignée de ce que l'on appellerait en Occident un simple égoïsme social.

Seule notre capacité de compréhension de la distance culturelle nous fournira la clé d'analyse. Les contradictions de la société malgache concernent à la fois le règlement des conflits politiques et la définition de la légitimité. Le court-circuitage du sommet de la chaîne de commandement dénote une crise profonde de l'institution militaire. Il débouche sur un usage erratique de la violence. À Tananarive, la frontière est poreuse entre les partisans de la démocratie et un peuple misérable en quête de sens, à l'affût d'un homme providentiel qui reprendrait une partie de l'héritage symbolique des anciens rois tout en respectant les apparences de la modernité.

Aussi la crise de leadership peut-elle avoir des conséquences redoutables. Le recul du modèle démocratique des Églises et la pérennité de cette crise culturelle me paraissent conduire à l'accroissement de l'instabilité et à la multiplication des aventures politiques. En revanche, l'attractivité des ressources de prestige et de richesse que représente le pouvoir national plaide en faveur du maintien de l'unité de l'État. Tout compte fait, je ne suis guère optimiste.

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