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Intervention de Jean-Pierre Jouyet

Réunion du 2 décembre 2008 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

Je vais essayer d'être digne de la confiance que vous m'avez manifestée. Sachez que j'ai toujours eu plaisir à venir devant votre commission. Nous avons entretenu d'excellentes relations et ce n'est pas sans regret ni sans émotion que je vis ces moments. Mais, vous le savez, je reviendrai à l'Assemblée dans le cadre de la préparation du Conseil européen qui fera l'objet d'un débat le 10 décembre.

En ce qui concerne les priorités que nous nous étions fixées dans le domaine « Justice et affaires intérieures », les résultats sont satisfaisants, voire très satisfaisants. Le pacte sur l'immigration et l'asile a été adopté par le Conseil européen les 15 et 16 octobre derniers, et une large majorité du Parlement européen s'est exprimée en sa faveur et pour la « carte bleue » européenne destinée aux immigrants qualifiés. De même, un plan d'action destiné à accueillir 10 000 réfugiés irakiens a vu le jour, avec le soutien de l'Allemagne, ce qui n'était pas évident. Une conférence euro-africaine a été organisée sur la gestion concertée des migrations. Dans ce domaine, les objectifs ont été atteints. Toutes sensibilités confondues, un consensus s'est fait jour sur ces questions.

Nous avons également enregistré des progrès dans la protection des données. On a réussi à définir une architecture harmonisée, respectueuse du droit. Des plates-formes ont été conçues, destinées au signalement des infractions commises sur Internet, ce qui constitue un progrès de l'Europe au quotidien. L'organisation de la sécurité civile a été améliorée pour renforcer la solidarité devant les catastrophes naturelles.

Michel Barnier a obtenu, au terme de discussions difficiles, un bon accord sur le « bilan de santé » de la politique agricole commune. Nous sommes arrivés à faire accepter une agriculture qui soit durable tout en préservant la sécurité alimentaire, les équilibres alimentaires mondiaux et l'aménagement du territoire. Nous avons eu gain de cause, et c'est une bonne chose pour la France, sur le maintien de mécanismes d'intervention et de stabilisation des marchés face à ceux qui les tenaient pour inutiles. De même, le principe d'une production agricole européenne efficace au-delà de 2013 a été acquis : même si ce domaine sera affecté par le débat budgétaire de 2009, nous avons posé les fondements pour l'avenir de la PAC.

En matière de défense, les conseils des ministres des affaires étrangères et de la défense qui se sont tenus les 10 et 11 novembre derniers se sont mis d'accord sur des programmes opérationnels : forces héliportées, transport aérien, amélioration de la concertation sur la planification des opérations civiles et militaires, renforcement des capacités opérationnelles qui nous font si cruellement défaut, notamment en République Démocratique du Congo. Nous devrions, lors du prochain conseil des ministres « affaires générales et relations extérieures », lundi, aboutir à un accord sur la nouvelle stratégie européenne de sécurité sur la base des propositions du Haut représentant, Javier Solana, qui intègrent désormais la lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité, l'impact du changement climatique sur les préoccupations géostratégiques – en particulier l'accès aux ressources naturelles – et l'évolution de nos relations avec tout à la fois les États-Unis, la Russie et les grands pays émergents. Notre objectif, qui était de fixer des orientations en matière de politique européenne de défense et de sécurité et de créer une dynamique avant le sommet de l'OTAN qui aura lieu à Kiel et à Strasbourg, sera tenu.

Dernières priorités : la lutte contre le changement climatique, et la politique énergétique – qui ne sont pas strictement synonymes. En matière énergétique, le Conseil européen des 15 et 16 octobre a fait des progrès, que les médias n'ont pas assez soulignés. Nous avançons dans la convergence des priorités énergétiques – même si nous n'en sommes pas encore à l'Europe de l'énergie –, sur la nécessité des interconnexions électriques et gazières. Un accord a été trouvé sur la troisième voie, c'est-à-dire pour éviter la séparation patrimoniale et conserver des opérateurs énergétiques intégrés. La gestion des stocks de ressources pétrolières se fait désormais au niveau communautaire, ce qui n'était pas évident il y a encore quelques années. Chacun convient aussi qu'il faut un dialogue plus structuré entre l'Union et les principaux pays producteurs d'énergie. Il reste beaucoup de progrès à accomplir ; néanmoins, les avancées ont été significatives.

La lutte contre le changement climatique sera le dossier le plus délicat du prochain Conseil européen. Deux points ont été traités : le captage et le stockage du carbone et les énergies renouvelables. Il reste à régler les problèmes liés au respect des objectifs « trois fois vingt » : 20 % d'efficacité énergétique supplémentaire, augmentation de 20 % des énergies renouvelables et, le plus difficile, réduction de 20 % des émissions de CO2. Il faut trouver un compromis satisfaisant avec les pays d'Europe centrale et orientale qui produisent du charbon, notamment la Pologne. Nous n'y sommes pas et ce sera compliqué.

Les imprévus ne nous ont pas été épargnés. De la crise russo-géorgienne, je tire trois constatations. Premièrement, pour la première fois, l'Union européenne a été en mesure d'arrêter une guerre, de faire respecter un cessez-le-feu, de proposer un plan de paix, qui vaut ce qu'il vaut mais qui n'a fait l'objet d'aucune autre proposition alternative. L'Union s'est donc affirmée en tant qu'acteur global, avant même que les outils du traité de Lisbonne sur les instruments de politique extérieure et de sécurité commune soient mis en oeuvre, et sa réactivité a été soulignée par tout le monde.

Deuxièmement, nous avons réussi notre oeuvre de stabilisation à vingt-sept, c'est-à-dire y compris avec des membres issus de l'ancien bloc communiste. L'unité a été maintenue, au delà des sensibilités différentes à l'égard de la Russie. Un équilibre a été trouvé, prouvant par-là même notre capacité de projection à l'extérieur.

Troisièmement, nous avons réussi, dans le cadre du sommet russo-européen, à maintenir nos principes, à condamner la reconnaissance par la Russie de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, à demander le retrait au-delà des lignes du 8 août, à obtenir celui des zones adjacentes et à maintenir un dialogue qui est important pour les deux partenaires : pour la Russie parce que l'Europe reste son principal débouché ; pour l'Europe parce que, contrairement aux États-Unis, la Russie est notre voisine et qu'il existe une interdépendance entre nous. En interne, les débats préparatoires à la rencontre ont révélé des divergences à propos du retrait des troupes, mais aucun État membre n'a remis en cause le principe même du dialogue. Certains États, les Pays baltes et la Pologne notamment, exprimaient des demandes légitimes en matière d'approvisionnement énergétique : elles sont l'un des éléments à négocier dans le cadre du partenariat à conclure entre l'Union et la Russie.

En ce qui concerne la crise économique et financière, l'Europe, là aussi, a fait preuve de réactivité et d'inventivité : le G4 s'est réuni, puis l'Eurogroupe, et le Conseil européen, extraordinaire et ordinaire. La crise a plutôt révélé, contrairement à ce qui a pu s'écrire, que les États avaient bien réagi. Il est normal que les réponses apportées soient diverses, chaque pays ayant ses caractéristiques propres. Ce qui est important, ce sont les principes communs, les lignes directrices autour d'une volonté commune de soutenir l'activité.

La Banque centrale européenne a aussi très bien réagi. Elle s'est affirmée en tant que stabilisateur des marchés, et elle a innové pour remettre en marche le marché interbancaire et assurer le financement de l'économie. Elle a aussi fait preuve de réactivité sur les taux ; il faut d'ailleurs espérer que le mouvement se poursuive.

Face à la réactivité du Conseil et de la BCE, il est vrai que la Commission est restée un peu en deçà des attentes, au moins au début de la crise. Il faudrait que les accords conclus dans le domaine financier dans le cadre de l'Eurogroupe et du Conseil européen du mois d'octobre soient respectés. Les interventions auprès des banques sont en effet un préalable destiné à financer l'économie avant toute mesure de soutien et de consolidation de l'activité. Sinon, la machine se bloque. C'est ce que nous tentons d'expliquer à la Commission. Aux États-Unis qui ont pourtant une législation antitrust et des autorités de la concurrence, les décisions sont arrêtées en huit jours. En Europe, deux mois n'auront pas suffi pour que soient mis en oeuvre les accords politiques passés en octobre… Le Conseil européen va tout faire pour se mettre d'accord, à partir du plan présenté par la Commission, qui comporte un volet communautaire et un volet de niveau national, sur le soutien à l'activité économique. La Banque européenne d'investissement sera sollicitée.

Il y a trois leçons de méthodologie à retenir. La première, c'est qu'il faut respecter les « tables de la Loi », autrement dit les traités, parce qu'ils sont bien adaptés, mais sans que cela exclue les coups d'épaule ou les adaptations. Les codes sont conçus pour les temps calmes, mais, quand la houle se forme, il faut savoir s'adapter, ce que nous avons fait. La deuxième, Mme Ameline l'a rappelée dans son rapport1sur l'influence européenne au sein du système international, c'est que les modes de gestion doivent rester innovants : les sommets de chefs d'État et de gouvernement de la zone euro, il n'y en avait pas eu avant la crise, non plus que des rencontres entre le président de la Banque centrale européenne et les chefs d'État et de gouvernement. Cela montre au passage la force d'attractivité et de stabilité que représente désormais l'euro. Le gouverneur de la Banque d'Angleterre aurait très bien pu manifester son intention de participer également, mais le président de la Banque centrale européenne s'est imposé comme interlocuteur unique des chefs d'État et de gouvernement. La solidarité envers la Hongrie et l'Islande – qui n'est pas membre de l'Union – s'est exercée à partir de la zone euro. Ce sont des acquis importants qui doivent être consolidés. Troisième leçon : un nouvel équilibre est en train de se créer entre le communautaire pur et l'intergouvernemental, au-delà d'un antagonisme traditionnel. L'Europe va s'appuyer sur un mixte de ces deux méthodes.

Enfin, en ce qui concerne l'avenir du traité de Lisbonne, la situation a évolué puisque vingt-cinq États l'ont ratifié, et qu'un vingt-sixième, la République tchèque, devrait le faire, malgré des difficultés intérieures, au début de l'année 2009. Reste le problème irlandais qui devrait être réglé, espérons-le, d'ici le Conseil européen. Je me suis rendu à Dublin la semaine dernière et le climat économique est plutôt favorable aux pro-européens. Les Irlandais indécis s'aperçoivent en effet que, sans la solidarité européenne, ils seraient dans une situation très difficile, comparable à celle de l'Islande, compte tenu de l'importance des services financiers chez eux. Au moment où l'on va de nouveau débattre des fonds structurels, des marges de manoeuvre du budget, ils se rendent compte que la solidarité européenne a du bon. Les demandes irlandaises sont à peu près identifiées : l'Irlande demande confirmation de sa neutralité, de certains éléments éthiques concernant la Charte des droits fondamentaux, et de la règle de l'unanimité en matière fiscale. La question la plus ardue sera la composition de la Commission parce que les Irlandais en font une question politique. Nous sommes prêts à leur fournir des garanties juridiques dès lors que la procédure de ratification des Vingt-six ne sera pas rouverte, l'objectif étant de parvenir à une mise en oeuvre du traité de Lisbonne avant le 1er janvier 2010.

Pour ce qui est du sommet Union-Chine, son report est incontestablement lié à une mauvaise humeur des dirigeants chinois, qui l'utilisent aussi à des fins intérieures. Elle n'est pas due au seul agenda du Président de la République puisque, en marge de la réunion de Poznan, plusieurs rencontres auront lieu entre des chefs de gouvernement européens et le Dalaï-lama. C'est cet ensemble qui crée des problèmes politiques. Par ailleurs, ce mouvement d'humeur, qui n'est pas bon pour l'Union, ne l'est pas plus pour la Chine : pendant ce temps, le statut de son économie de marché ne progresse pas, non plus que ses demandes à l'OMC ou la question des investissements étrangers, surtout à un moment où ce pays est en proie à la crise économique et où ses régions orientales et côtières connaissent déjà une déstabilisation du système financier. Sur un plan strictement conjoncturel, les rencontres sino-européennes ont été très nombreuses cette année, ce qui a dû peser. Des réunions de l'ASEM, c'est-à-dire du Dialogue Asie-Europe, ont notamment eu lieu. Le retard pris est regrettable, mais ce n'est pas de ce sommet qu'on attendait les avancées les plus importantes.

En ce qui concerne l'Union pour la Méditerranée, la conférence de Marseille qu'a présidée Bernard Kouchner a permis des avancées significatives dans l'organisation institutionnelle : la coprésidence de la France et de l'Égypte, les secrétariats généraux, les secrétariats de projet, les secrétariats généraux adjoints confiés notamment aux Palestiniens, aux Libanais et aux Turcs. La mission confiée à Henri Guaino s'appuiera sur les éléments de structure qui étaient ceux d'Alain Le Roy et de l'ambassadeur en charge de l'Union pour la Méditerranée, Serge Telle.

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