L'enjeu consiste à repenser et mieux articuler deux notions essentielles : la satisfaction des besoins de santé de la population et son accès effectif aux soins, qui se posent dans des termes nouveaux, notamment du fait de la démographie médicale ; la soutenabilité de l'assurance maladie, garante de la pérennité de l'assurance maladie. Les difficultés financières ne sont pas conjoncturelles mais bien structurelles : chaque année, à ressources constantes, nous devons trouver 2 à 3 milliards d'économies, pour compenser la dérive liée à l'augmentation de la demande. Il est irréaliste au regard de la situation des finances publiques et des autres besoins sociaux de penser que 2 ou 3 milliards d'euros supplémentaires peuvent être injectés chaque année dans le système.
La notion de gestion du risque est utilisée à tort et à travers. C'est Gilles Johanet, alors directeur de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, qui l'a mis en évidence au début des années quatre-vingt-dix, en partant du principe qu'il ne fallait plus seulement accroître les cotisations ou dérembourser mais également travailler sur l'efficience du système, dépenser mieux, ne plus être payeurs aveugles. La question, presque politique, qui a donné naissance au concept de maîtrise médicalisée, impose de repenser l'organisation des soins. Je pense que cette voie mérite d'être poursuivie et que la marge de progression reste énorme.
La problématique se pose aujourd'hui moins en termes de légitimité qu'en termes de professionnalisme et de bonne organisation. La légitimité de la gestion du risque a en effet été tranchée par le législateur avec les réformes de 1995 et de 2004. Au début des années quatre-vingt-dix, les partenaires sociaux revendiquaient l'assurance maladie comme étant de leur ressort. La réforme Juppé a clairement établi que le Parlement vote les grands objectifs de santé publique et d'assurance maladie à travers la loi de financement de la sécurité sociale. La loi de 2004 relative à l'assurance maladie en prévoyant que les partenaires sociaux ne négocient plus directement avec les professionnels de santé a été plus loin. Si les partenaires sociaux ne remettent plus fondamentalement en cause cette évolution, il n'en demeure pas moins qu'il faudra toujours leur accorder une place dans le système, notamment lorsqu'il s'agira d'examiner si les tarifs opposables pourront varier d'une région à l'autre, car c'est à eux qu'échoit le rôle de défendre les droits sociaux des assurés.
Notre système présente des carences d'organisation et je ne suis pas sûr que la France forme des organisateurs et des régulateurs de santé ; en tout cas, pas à l'ENA. Dans quels viviers les responsables des ARS seront-ils recrutés ? Pour être franc, je considère qu'un sous-préfet ne présente pas forcément le profil professionnel pour ce poste. Il existe quelques personnes, qui se sont formées sur le tas, mais pas tellement.
Certains sujets, en particulier la permanence des soins, peuvent être mieux gérés au niveau territorial, où il est plus facile de trouver les bons compromis et de travailler avec les acteurs. Ce n'est cependant pas le cas de tous les sujets. Conserver une organisation nationale pour l'assurance maladie ne me semble pas totalement absurde. Par exemple, la gestion du risque commence par le contrôle des droits et la lutte contre les fraudes, ce qui n'est pas simple. On évalue, par exemple, à 1 ou 1,5 million l'excédent de cartes Vitale en circulation et ce domaine de la lutte contre la fraude me semble relever du niveau national, ne serait-ce qu'en raison des systèmes d'information qu'il nécessite. Même si elle a tardé et si cela reste limité, l'assurance maladie s'est engagée dans la voie de la gestion du risque avec un certain professionnalisme, en mettant notamment en place ses délégués. Le pire serait de lui donner l'impression qu'elle doit se désinvestir et redevenir un payeur aveugle. À cet égard, les systèmes d'information, le data mining, si importants pour l'aide à la prise de décision opérationnelle, restent sous-utilisés et doivent être rénovés. Je suis donc totalement favorable à l'idée des ARS, mais ne lâchons pas la proie pour l'ombre !
Il faut aller beaucoup plus loin sur l'hôpital. Le bilan des ARH est mitigé. Elles ont plutôt investi dans les restructurations que dans la recherche de l'efficience de la gestion hospitalière. La part des dépenses de santé affectée à l'hôpital est beaucoup plus grande en France que dans les autres pays. Quelles sont les perspectives à dix ou vingt ans ? Il faut recentrer l'État sur sa fonction de stratège et confier la gestion à des opérateurs efficaces, qu'il s'agisse de professionnels territoriaux ou de l'assurance maladie.
Il restera une assurance maladie, chargée de négocier avec les professionnels de santé. La maîtrise médicalisée passe par un engagement des professionnels de santé et des leviers sont nécessaires, au niveau national, pour négocier et agir. Il faudra que la CNAMTS conserve une vraie autorité sur le réseau de l'assurance maladie, tout en établissant un plan régional de la gestion du risque, négocié entre l'ARS et les caisses primaires d'assurances maladie, les CPAM.