Je m'efforcerai de parler franchement afin de démontrer qu'il est effectivement crucial d'associer l'assurance maladie et l'État dans un objectif partagé d'amélioration de la soutenabilité du régime d'assurance maladie, afin que nos concitoyens soient mieux soignés sans qu'il soit nécessaire de recourir à des déremboursements ou à des prélèvements supplémentaires pénalisant dans le cadre de la concurrence internationale.
Les efforts accomplis conjointement par l'État et l'assurance maladie depuis 2004 ont permis de modifier la trajectoire que les services de l'État avaient anticipée : alors que le risque de déficit excédait 20 milliards d'euros pour 2007, les pertes, en exécution réelle, ont été contenues sous 5 milliards.
Sur les soins de ville, les efforts ont été conjugués, hormis un léger désaccord en mars 2007 sur le niveau et le rythme de revalorisation des rémunérations des professionnels de santé.
S'agissant de l'hôpital, force est de reconnaître que nous n'avons pas été aussi efficaces, notamment à cause de la séparation entre le rôle de gestionnaire des soins et d'opérateur de l'hôpital public qu'est l'Etat et la fonction de régulation. Tout le monde a un peu raison : la régulation doit intégrer certains aspects de l'organisation mais la gestion des établissements de santé n'est pas forcément une mission régalienne. La mise en place de la tarification à l'activité, la T2A, invite à réfléchir sur le mode de régulation à mettre en oeuvre, d'autant que des évolutions européennes vont également s'imposer à nous. À terme, nous serons en effet obligés de justifier du financement des missions d'intérêt général et de leur réalité. L'Europe nous impose par ailleurs de plus en plus une certaine liberté de choix du patient. Dans le cadre du new public management, il faudra peut-être opérer une distinction entre l'organisation des établissements de soins et la régulation. Le rapport d'Yves Bur pose bien la question de la gestion du risque et il est effectivement sensé de s'interroger sur la façon de différencier les fonctions de gestion des établissements et les fonctions de régulation.
Le principal enjeu consiste, du point de vue de l'assurance maladie, à rendre soutenable notre système solidaire pour les années à venir. Même si les remboursements se concentrent de plus en plus sur les patients atteints de pathologies lourdes ou chroniques, le taux de prise en charge par l'assurance maladie est à peu près constant depuis quinze ans, aux alentours de 77 %. L'équilibre du système nécessite par conséquent un travail en amont sur l'efficience de la dépense de santé et le basculement d'une vision de dépenses par nature (combien faut-il donner à l'hôpital, aux cliniques, aux médecins …) vers une vision de dépenses par destination (comment évoluent les soins et leur coût par pathologies ? ). Cette révolution n'aura pas lieu sans un rapprochement entre la ville, l'hôpital et le médicosocial.
La gestion du risque ne pourra pas se déployer si nous ne recherchons pas une cohérence entre l'action sur les offreurs de soins et l'action sur les assurés. Les pays européens qui ont réussi à maîtriser leurs dépenses tout en améliorant la qualité des soins ont mis sur pied des organisations permettant aux choix microéconomiques de s'exprimer. Une opération comme « tiers payant contre génériques », qui a tout de même rapporté quelque 350 millions d'euros en trois ans, soit plus que le forfait de 18 €, n'aurait par exemple pas pu être mise en oeuvre sans la participation des pharmaciens d'officine, des médecins, des caisses et des assurés. De la même façon, le dispositif du médecin traitant a nécessité une coordination entre médecins et assurés. La diminution très importante des arrêts de travail, qui a rapporté 1,3 milliard d'euros environ par rapport au point haut de 2003, a été également obtenue grâce à l'action des caisses en direction des assurés mais aussi grâce à l'adhésion des médecins de ville et des partenaires sociaux. Le contrôle des droits des assurés et la lutte contre la fraude sont autant d'exemples qui participent du renforcement de la gestion du risque.
Tous les résultats obtenus depuis 2004 ont permis de réduire le danger qui pesait sur la soutenabilité des régimes. Le redressement du régime général leur est imputable dans une large mesure. Je souhaite que la future réforme de l'organisation territoriale des soins sauvegarde ces acquis, préserve une dynamique positive dans l'ensemble du réseau de l'assurance maladie comme au sein de l'appareil d'État et provoque une addition des compétences, au détriment des oppositions stériles.
Comment faire ? Ce n'est certes pas simple ! Un équilibre doit d'abord être trouvé entre l'État et l'assurance maladie mais aussi entre le pilotage national, le pilotage régional et les actions locales. L'assurance maladie est aujourd'hui responsabilisée à deux niveaux. Premièrement, lorsque les objectifs fixés par le Gouvernement sont significativement dépassés, les régimes sont obligés de proposer des mesures, ce qui est extrêmement dissuasif. Deuxièmement, pour juguler la croissance des dépenses, il faut certes prévenir mais surtout organiser le recours aux soins, ce qui nécessite une mise en mouvement du patient, et accroître l'efficience de chacun des offreurs de soins. De ce point de vue, la T2A interpelle très fortement l'assurance maladie puisque les coûts facturés dans les établissements publics et dans les établissements privés ne sont pas homogènes et ces différences, qui sont certes parfois justifiées par des contraintes spécifiques pesant sur certains établissements de santé devront être un jour analysées soigneusement. Si nous avons une vision européenne, nous devons également anticiper la liberté qui sera donnée à nos concitoyens de choisir l'établissement où ils seront hospitalisés.
Au niveau national, la structuration que j'ai moi-même favorisée en 2004, notamment avec la mise en place du conseil de l'hospitalisation, ne s'est pas avérée optimale, à cause des antagonismes entre l'assurance maladie et la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, qui se sentait en quelque sorte agressée. Je suis persuadé que le Gouvernement trouvera la solution du pilotage national, peut-être en contractualisant par écrit. Je crois qu'il ne sera pas possible de réformer l'hôpital sans réfléchir à une contractualisation pluriannuelle qui donnerait aux ARS une feuille de route claire et correspondant aux anticipations opérées par le Parlement à travers l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM. Cela contribuerait à un pilotage national cohérent. J'exclus l'hypothèse d'une agence nationale de santé (ANS) évoquée par Yves Bur puisque le Gouvernement ne l'a pas retenue.
Au niveau régional, les opérations de gestion constituent l'interstice dans lequel les problèmes peuvent apparaître. Ne serait-il pas possible, dans les ARS, de mieux distinguer ce qui relève de la gestion des établissements (nominations, gestion des restructurations) et de la régulation ? Notre souhait est très clairement de participer positivement à la régulation.
L'efficacité de ces politiques dépendra aussi, comme le souligne justement le préfet Ritter, de la qualité de leur déploiement au niveau local. Même dans les établissements de santé, aucune gestion du risque n'est possible si les internes ne sont pas impliqués car ce sont eux qui prescrivent. La signature de contrats régionaux tenant compte des futures hiérarchisations des prescriptions établies par la HAS ne suffirait pas à faire évoluer les comportements des internes. Tous les pays qui ont avancé sur ces questions ont mis en oeuvre des actions locales. Certains ont parié sur la mise en concurrence des offreurs de soins ; d'autres font intervenir leurs acteurs locaux, comme la Grande-Bretagne avec ses Primary Care Trusts, ou PCTs.
Le véritable enjeu est de trouver une réponse pour éviter le risque de double pilotage évoqué par Yves Bur. Le souci de l'assurance maladie est bien d'intégrer cette réforme et de trouver une réponse…