Le rapport d'information sur les ARS souligne la nécessité de réformer la gouvernance du système de santé, aujourd'hui piloté de manière segmentée, en tuyaux d'orgue, sans cohérence ni efficience. Un premier constat peut être tiré : les objectifs et les propositions du rapport semblent faire l'objet d'un large consensus. D'autre part, ces travaux ont bénéficié du soutien appuyé des administrations centrales. L'ensemble des acteurs attend de la régionalisation une meilleure efficacité de l'organisation territoriale du système de soins. Le Conseil de modernisation des politiques publiques du 4 avril dernier a retenu cette réforme dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
Nous sommes convenus qu'il faut conférer aux ARS un périmètre de compétences large, afin de mieux articuler les soins de ville, l'hôpital, le médicosocial et la santé publique. Il y va de la qualité des soins, de leur accessibilité pour tous nos concitoyens mais aussi de l'optimisation de la dépense publique.
Les modalités de la gestion du risque font débat. Compte tenu de la difficulté à contenir les déficits, la question n'est pas subalterne. Le maintien d'un haut niveau de solidarité face à la maladie dépend de la soutenabilité financière du système, ce qui requiert une régulation des dépenses et conduit, pour certaines prestations, à envisager des régimes de solidarité plus individualisés.
La problématique ne saurait être réduite à un antagonisme entre l'État et l'assurance maladie, même si les administrations centrales refusent a priori une gouvernance de type agence nationale de santé (ANS), essentiellement par crainte d'être dépassées par l'assurance maladie. Le débat déborde de notre commission ; le Gouvernement lui-même s'en est emparé.
En France, nous attendons toujours beaucoup des solutions organisationnelles. Les ARS semblent intéressantes mais ne constitueront pas le remède miracle. Je me méfie de la pensée unique qui nous est régulièrement administrée et des modèles d'organisation définitifs plaqués sur des réalités complexes. Plus clairement, je me méfie d'un modèle d'administration de la santé qu'aucun autre pays n'a choisi. La réponse aux problèmes sanitaires doit être apportée, plus près des Français et des territoires, mais cette réponse n'implique pas automatiquement une confusion entre organisation et régulation des risques. Aucun pays – ni l'Allemagne, ni la Grande-Bretagne, ni la Suède, ni le Danemark – n'a choisi de modèle aussi intégré ; tous ont conservé un certain degré de dissociation entre la fonction d'organisateur et celle de payeur. Comment s'assurer que la gestion du risque ne sera pas sacrifiée au profit des exigences d'organisation ?
Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), publié en janvier 2008 sur le contrôle des mesures prises dans le cadre du contrat de retour à l'équilibre financier (CREF) par des hôpitaux « perdants » à la tarification à l'activité (T2A) permet de mesurer les difficultés rencontrées par les administrations responsables pour imposer une meilleure efficience de la dépense au regard d'un pilotage « soft », voir absent.
Les contours du futur pilotage national ne sont pas clairs actuellement. Comment les acteurs de cette révolution administrative doivent-ils faire pour améliorer leur coopération ? Ne faut-il pas aller plus loin en créant une agence nationale de santé ou un conseil national de santé, au sein duquel l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, (UNCAM), pourrait se dissoudre ? Mais cela supposerait de tenir compte de la RGPP et d'engager une réflexion sur la future répartition des administrations centrales entre l'État stratège, l'État organisateur et l'État financeur.
La régionalisation ne sera pas un long fleuve tranquille. Pour passer du concept à la réalisation, il faudra gérer des hommes et des femmes, unifier des cultures administratives. En Bourgogne, par exemple, les représentants des directions DDASS et de la DRASS – les directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales – ont fait état de leur soutien à la réforme tout en affichant une vision très étatiste et frileuse. En tout cas, il est clair que l'on ne fusionnera pas la culture de l'Etat et celle de l'assurance maladie par décret.
Les options que je défends dans le rapport d'information sur les ARS ne doivent pas être caricaturées. Il n'est pas question d'installer ou de maintenir deux pouvoirs au niveau régional. Il n'est pas question non plus d'exonérer l'assurance maladie des mesures réformatrices que l'État s'impose à lui-même. L'assurance maladie doit amplifier le mouvement actuel : départementaliser les caisses primaires départementales tout en conservant plusieurs établissements ; supprimer les unions régionales des caisses d'assurance maladie, les URCAM ; supprimer les caisses régionales d'assurance maladie, les CRAM, en intégrant dans les ARS leurs agents en charges de l'organisation ; créer des directions régionales de la gestion du risque.
J'ai entendu dire que le Conseil de modernisation des politiques publiques aurait définitivement tranché en faveur de la fusion intégrale sans laisser la moindre place au débat. La réalité qui ressort de la réunion du 4 avril est moins catégorique : la création des ARS doit se faire selon « un format large intégrant le médicosocial et associant État et assurance maladie » et il y aura une « possibilité de contractualisation entre les ARS et les caisses primaires d'assurance maladie ». Les mots ont un sens et il demeure donc bien plusieurs options possibles pour conjuguer les différentes possibilités de gestion.
Je mets à votre disposition plusieurs schémas synthétisant les différentes options de gestion du risque.
Au sommet de l'édifice, quel est le rôle du Parlement ? Le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le PLFSS, a été dénaturé en perdant son essence financière ; le Parlement doit de nouveau prêter attention aux questions de régulation. Toutefois, concomitamment au PLFSS, il apparaît nécessaire de voter chaque année une loi d'organisation du système de santé, comme en Allemagne et dans d'autres pays, afin de régler finement le dispositif en fonction des difficultés. La dernière loi d'organisation de notre système de santé remonte à 2004 et il n'est plus possible aujourd'hui d'attendre aussi longtemps avant de se repencher sur des questions d'organisation de la santé. Le Parlement doit aussi être mieux éclairé sur la gouvernance nationale.
Concrètement, trois options sont possibles.
La première est défendue par le rapport de M. Philippe Ritter sur la création des ARS : la signature de conventions pour la gestion du risque entre l'ARS et les caisses primaires d'assurance maladie, la mutualité sociale agricole (MSA) et le régime social des indépendants (RSI). Mais cette intégration forte de la gestion du risque au niveau régional présente peut être le risque d'une double commande.
La deuxième option consiste à mettre sur pied une direction régionale de la gestion du risque, regroupant l'ensemble des services de l'assurance maladie et passant directement convention avec l'ARS, sous le regard attentif des instances de coordination nationales.
Troisième possibilité, cette direction régionale de la gestion du risque serait intégrée dans l'ARS et placée sous l'autorité directe de son directeur. Ce modèle intégré d'un pilotage au sein de l'ARS de l'ensemble de la politique de la gestion des risques satisferait à la fois les partisans d'un pilotage par l'ARS et ceux qui s'inquiètent légitimement d'un risque de déstabilisation de l'assurance maladie au moment même où elle entame une dynamique vertueuse.
Pour que les tâches essentielles d'organisation et de gestion du risque soient traitées conjointement, nous sommes condamnés à trouver des solutions pragmatiques. Un système qui échapperait à la maîtrise et à la régulation financière finirait par mettre, à terme, en cause la solidarité. C'est bien cela qu'il faut éviter !