Certains responsables de ce secteur au ministère de la culture ont pris conscience de la nécessité de nommer des femmes aux postes de responsabilités, et un mouvement d'opinion a amené les ministres successifs à aller dans ce sens. C'est ainsi qu'ont été nommées Muriel Mayette à la direction de la Comédie française, Dominique Hervieu à Chaillot et Julie Brochen à Strasbourg. Certes, c'est un peu l'arbre qui cache la forêt, car le bilan est très différent dans d'autres secteurs : alors qu'en 2006, les dix-neuf centres chorégraphiques nationaux comptaient 41 % de directrices, elles n'en représentent plus en 2008 que 32 % et pourraient n'être plus que 25 % en 2009, si elles continuent à être systématiquement remplacées par des directeurs comme cela est le cas depuis quelques mois.
Si l'État est le seul décisionnaire pour les théâtres nationaux, ce n'est pas le cas dans les autres établissements, où il est co-décisionnaire avec les collectivités territoriales. Et là, paradoxe étonnant, si de nombreuses collectivités locales ont adopté des plans en faveur de l'égalité des hommes et des femmes– notamment la ville de Rennes, qui a récemment obtenu le label Égalité –, elles ne se préoccupent pas, au moment de nommer une personne à la direction d'un théâtre, d'un orchestre ou d'un opéra, de cette question dont l'impact n'est visible qu'au niveau national. Le système de codécision, qui ne saurait évidemment être remis en cause, pose donc un problème particulier. Il faut, par conséquent, convaincre les collectivités territoriales de la répercussion de chaque nomination au niveau national (ou régional, éventuellement local mais seulement pour les grandes villes) et de la nécessité de rééquilibrer les réseaux. Actuellement, les réunions de directeurs de centres d'art dramatique d'orchestres ou d'opéras, sont largement non mixtes, presque entièrement masculines.
Par ailleurs, les milieux culturels fonctionnent en réseaux de connaissances et d'affinités – on pense spontanément plus souvent à un homme qu'à une femme, et de ce fait les femmes ont du mal à se porter candidates, à s'imaginer à des places généralement tenues par des hommes.
Autre spécificité, on nomme généralement à la tête de ces établissements des artistes, et cela semble être une raison suffisante pour oublier les bonnes résolutions… C'est un mode de raisonnement qui date du XIXe siècle, car c'est oublier que le talent est lié aux moyens de production, à l'accès aux outils de travail (accueil en résidence par exemple) et de rencontres avec le public (programmation sur de grands plateaux) et à un certain nombre d'actions concrètes propres à favoriser l'éclosion des talents.
Quels sont les objectifs de notre action : la justice sociale, car dans ce secteur les inégalités salariales sont encore très vives, mais également le dynamisme économique. Dans une période de crise financière et économique, il est nécessaire d'utiliser tous les talents disponibles : l'absence de femmes aux postes de responsabilités ne va pas dans ce sens.
En 2006, 92 % des théâtres consacrés à la création dramatique étaient dirigés par des hommes, de même que 89 % des institutions musicales et 86 % des établissements d'enseignement. Dans le même temps, nous disposions de viviers de talents – entre 30 et 70 % selon les réseaux. La non utilisation de nombreuses compétences, essentiellement celles de femmes remet en cause la dynamique économique du secteur, et par là même sa dynamique artistique. Il est dommage de se priver des talents qui existent, que ce soit dans le domaine de la gestion ou dans celui de la création artistique.
Comment remédier à cela ? J'ai défini un ensemble de moyens, qui constituent autant de petits leviers : il faut prendre conscience de ces situations et se fixer des objectifs pour les faire évoluer. Mais comment amener tous les acteurs du secteur à partager cette prise de conscience ? Tout d'abord, en mettant en place des statistiques sexuées, comme le fait la direction des spectacles, qui collationne désormais les chiffres annuels des directions régionales des affaires culturelles, afin de connaître la proportion de structures subventionnées dirigées par des femmes, mais également l'importance des moyens financiers attribués à chacun de ces établissements. On sait désormais que les institutions dirigées par des femmes sont non seulement peu nombreuses mais aussi généralement de petite taille. En 2006, par exemple, les subventions attribuées par la Direction régionale des affaires culturelles de la région Rhône-Alpes profitaient pour 95 % à des structures dirigées par des hommes. C'est un chiffre impressionnant !
Outre la mise en place de statistiques sexuées, associées à la multiplication d'études qualitatives sur ces questions et à leur diffusion dans les milieux concernés, je propose également que l'on veille à ce que la rédaction des textes cadres et des textes législatifs ne se limite pas uniquement au genre masculin, mais introduise l'idée qu'un directeur peut être aussi une directrice. Certes, le masculin est encore considéré comme neutre, mais je pense qu'une telle précision contribuerait à favoriser la mixité en la rendant plus visible.
Il faut ensuite instaurer la mixité dans toutes les instances de décision, notamment au sein des jurys de concours et des jurys de sélection chargés de désigner les directeurs et directrices.Il faut donc se donner pour règle de poser les mêmes questions aux hommes et aux femmes, y compris celles portant sur la vie familiale. Car personne ne pense avoir une attitude discriminatoire à l'égard des femmes, il est clair que l'on pose aux candidates certaines questions que l'on ne pose jamais aux hommes. Par exemple, demande-t-on à un homme s'il a des enfants ?