Pour en revenir à nos échanges démocratiques habituels au sein de l'institution parlementaire, je ferai d'abord remarquer à nos collègues de la majorité que si la France surnage un tant soit peu aujourd'hui, c'est bien parce que les transferts sociaux fonctionnent à plein. Ils l'ont d'ailleurs si bien reconnu que la majorité a anticipé le remboursement de TVA pour les collectivités locales qui le souhaitaient. Voilà confirmées – malheureusement seulement pour la période de crise, peut-on craindre – les thèses que nous défendons depuis des années s'agissant de la place essentielle du secteur public dans la société française !
Dois-je en effet rappeler que les collectivités publiques contribuent aux dépenses d'investissement à hauteur de 75 % ? On peut se gausser des augmentations d'impôt dans les régions et les départements, mais c'est grâce aux investissements des collectivités qu'aujourd'hui la France s'en sort peut-être un peu mieux que cela n'aurait été le cas si le secteur public avait été beaucoup plus faible. Il en est d'ailleurs de même des prestations sociales en général que l'on a beau jeu de critiquer quand les choses vont bien, mais que l'on est bien content de rétablir quand les choses vont mal. J'en veux pour preuve les emplois aidés, supprimés à grand renfort d'idéologie, mais restaurés face au péril social et sécuritaire – on peut en effet craindre le pire dans les quartiers les plus défavorisés, frappés de plein fouet par la crise.
Une fois de plus, deux conceptions non pas de la société, voire de l'homme, mais de la politique, au sens noble du terme, apparaissent. D'un côté, celle d'une opposition qui veut remettre l'égalité au coeur de la société, de l'autre celle d'une majorité qui veut faire de la liberté le vecteur économique essentiel permettant à chacun de s'enrichir – sachant toutefois qu'il est plus facile de devenir plus riche quand on est riche que quand on est pauvre ! Aussi comprendra-t-on que le groupe socialiste soutienne la proposition de loi en se fondant sur des thèmes qui lui tiennent à coeur – le partage, la solidarité, la redistribution – et concrets.
Comment la majorité peut-elle, par exemple, vouloir maintenir les franchises médicales – instaurées au faux prétexte d'un déséquilibre qui serait aggravé entre 1997 et 2002 – alors que la crise frappe, que le pouvoir d'achat est en chute libre, que les gens souffrent, que certains ne peuvent plus se soigner ? En tant qu'élu d'Alsace-Moselle, je suis bien placé pour savoir que le système le plus redistributif est celui où les gens cotisent dans l'intérêt de l'ensemble des citoyens – principe même de la solidarité inventé à l'époque par Bismarck.
Quant à l'éducation, qui est au coeur de l'ascenseur social, ce sont une fois de plus les plus défavorisés qui, en cette période de crise, n'y auront pas accès, car aujourd'hui il leur faut avoir un travail pour étudier. Voilà d'ailleurs pourquoi nous sommes favorables à une certaine forme de discrimination positive, faute de quoi les jeunes des zones urbaines sensibles ne s'en sortiront pas – je le dis d'autant plus que je suis maire d'une commune qui bénéficie d'un partenariat avec Sciences-Po Paris.
Concernant les mesures visant à prévenir les licenciements et à sauvegarder l'emploi, nous partageons l'essentiel des mesures du titre Ier tout simplement parce que l'histoire nous donne raison. À maintes reprises, la majorité a critiqué les 35 heures. Mais dans ma région, par exemple, où la sidérurgie est encore puissante, les 35 heures – dont la mise en place n'a d'ailleurs posé aucun problème aux grands groupes du secteur – sont un formidable amortisseur social !
Aujourd'hui, ceux qui souffrent ce sont les sous-traitants car les grandes entreprises estiment avec cynisme qu'elles n'ont pas à s'occuper de ceux qui ne sont pas suffisamment protégés par le droit du travail. À cet égard, nous nous opposerons à la proposition de loi tendant à faciliter le maintien et la création d'emploi, dont le rapporteur est notre collègue M. Jean-Frédéric Poisson – qui sera examinée dès lundi soir prochain puisque l'on a cru bon une fois de plus de bouleverser l'agenda parlementaire. Elle vise en effet à plus de flexibilité alors qu'au quotidien c'est souvent plus d'insécurité qui attend déjà les salariés. Mettre l'homme au coeur du système, c'est avant tout mettre en place des dispositifs qui le protègent.