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Intervention de Rama Yade

Réunion du 16 juin 2009 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Rama Yade, secrétaire d'état chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme :

Madame Aurillac, le score très élevé obtenu par le président iranien, 62 %, nous interpelle, au regard de la composition de l'électorat, dominé par la classe moyenne, et du profil du challenger, M. Mir Hossein Moussavi, qui incarne les aspirations réformatrices de la population. Pour autant, il ne faut pas se contenter de regarder ce qui fait plaisir. Sur la question du nucléaire militaire, le candidat démocrate, ancien premier ministre, est issu du même sérail que M. Ahmadinejad, sauf qu'il aurait été davantage ouvert au dialogue. En outre, malgré le mouvement d'aspiration à la liberté, ce « printemps iranien », M. Ahmadinejad bénéficie d'une certaine popularité dans le monde rural, grâce à ses origines modestes, à ses positions sur la scène internationale et aux aides sociales qu'il distribue aux plus pauvres. L'élection peut certes paraître suspecte – le Guide suprême a demandé une enquête. Le président iranien aurait-il pu être réélu sans fraude ? Au fond, certains spécialistes disent que la fraude aurait été motivée par la volonté des conservateurs du régime d'éviter une mauvaise surprise face à la jeunesse urbaine turbulente, et les effets de cette application du principe de précaution auraient été au-delà de leurs espérances. Enfin, il est important que nous ne nous affichions pas comme des partisans de M. Moussavi, qui apparaîtrait alors comme un suppôt de l'Occident. Le peuple iranien, issu d'une civilisation millénaire, tient à la souveraineté nationale et craint les manipulations étrangères. Notre stratégie doit donc être toute en subtilité : appuyer les revendications en faveur des libertés fondamentales, réclamer que la lumière soit faite sur le scrutin, militer contre une répression brutale des violences, mais sans donner le sentiment de porter atteinte à la souveraineté iranienne.

Monsieur Cochet, concernant la Birmanie, les pays européens sont divisés. Certains prônent un renforcement des sanctions pour des raisons symboliques : c'est le cas de la République tchèque, qui, comme les autres pays de l'Est, est très attachée aux droits de l'homme et qui ne transige jamais ; c'est également le cas la Grande-Bretagne, parce que la majorité des exilés birmans en Europe vivent dans ce pays, parce que le mari d'Aung San Suu Kyi était Anglais et parce que la Birmanie est une ancienne colonie britannique. L'autre groupe d'États – Suède, Allemagne, Italie, Finlande par exemple – souligne les limites et l'inefficacité de cette politique qui finit par attenter aux conditions de vie des. Des rapports d'étape ont été rédigés par nos chefs de poste en Birmanie en vue de prendre une décision. La France occupe une position centrale : compte tenu de la détérioration de la situation, elle préconise le renforcement des sanctions mais reste vigilante pour que cela ne touche pas la population.

Monsieur Asensi, notre modèle n'est effectivement pas toujours transposable. Le fait d'être née dans un pays du Sud et de n'avoir accédé à la nationalité française qu'il y a dix ans m'entraîne instinctivement à avoir une double lecture pour juger la situation d'un pays en matière de droits de l'homme et à adopter des positions équilibrées afin d'échapper aux accusations de colonialisme. Chaque pays a la mémoire de sa civilisation, et tout jugement extérieur peut être perçu comme une agression culturelle. Néanmoins, quand la dignité humaine est en jeu – mariage forcé, excision, etc. –, il n'y a pas deux lectures possibles mais une seule, universelle.

Depuis le général de Gaulle, la position de la France à propos du Tibet est constante : nous ne demandons pas l'indépendance, pas plus que le Dalaï-lama, mais seulement le respect de l'identité spirituelle et religieuse des Tibétains. Or l'entreprise de développement de l'Ouest pour intégrer économiquement le Tibet ressemble à une politique d'assimilation. Les moines tibétains ne peuvent plus pratiquer leur religion ni exprimer leur identité. La politique chinoise a engendré une croissance économique forte au Tibet – progression de 12,5 % par an –, a contribué à la construction de grands équipements d'infrastructures, au développement du tourisme, à la création d'emplois, mais tout cela bénéficie aux immigrés han, installés pour occuper l'espace et marginaliser les Tibétains de souche. Réclamer l'indépendance du Tibet serait un acte d'ingérence ; nous demandons seulement que les Tibétains puissent exercer leur religion et exprimer leur identité.

Monsieur Loncle, mon poste au sein du Gouvernement est lui-même singulier car la question des droits de l'homme ne saurait s'accommoder d'un discours diplomatique classique. Ma fonction implique une nuance plus humaniste, sinon vous nous demanderiez à quoi il sert. Les personnalités qui se sont rendues en Chine pour présenter des excuses comme vous dites et rabibocher les deux pays sont des parlementaires, me semble-t-il ! Il s'agit de réitérer notre considération envers la Chine, considération qui a toujours existé, car nous tenons au partenariat stratégique avec ce pays, nous respectons cette civilisation millénaire et nous avons conscience que ce géant économique, appelé à devenir un géant politique, est un peu susceptible sur le thème du Tibet.

Les Britanniques, les Américains et les Allemands ont reçu le Dalaï-lama sans que cela fasse d'histoire. Je ne comprends pas cette susceptibilité particulière à l'égard de la France, si ce n'est que les plus gros désordres au passage de la flamme olympique ont eu lieu à Paris et que le maire de Paris a accueilli le Dalaï-lama et l'a fait citoyen d'honneur de la ville de Paris. Les manifestations olympiques n'étaient pas organisées par le Gouvernement et le maire de Paris administre librement sa collectivité : c'est la réalité, mais nous avons du mal à faire passer ce message aux autorités chinoises.

Quant aux émissaires, je pense qu'ils font du bon travail. Il ne faut pas ranger notre drapeau dans notre poche : des signes mutuels de considération et de respect doivent être donnés mais s'agenouiller serait inefficace. Il faut adopter un discours équilibré en défendant l'idée que l'expression de nos convictions n'est pas insultante.

En Birmanie, les lignes jaunes à ne pas franchir sont symboliques et humanitaires. Des initiatives ont été prises et d'autres suivront. Le Président de la République et son épouse s'impliquent beaucoup sur ce dossier, ce qui rend ma voix moins singulière !

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