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Intervention de Rama Yade

Réunion du 16 juin 2009 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Rama Yade, secrétaire d'état chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme :

Monsieur Remiller, une entreprise installée dans un pays est contrainte d'entretenir des relations avec lui. Ce qui est sûr, c'est que le consortium dont fait partie Total verse des royalties à la junte. Il a été demandé à Total de tenir compte de l'environnement et de ne pas exploiter les sous-sols à n'importe quel prix. L'entreprise a donc entrepris des actions humanitaires, mais cela ne résout pas le problème symbolique : la présence de Total, entreprise porteuse du drapeau français, pose bien entendu un problème à tous les défenseurs des droits de l'homme. C'est précisément l'objet de notre réflexion.

Même après la chute du Mur de Berlin, des régimes totalitaires et autistes demeurent, à commencer par ceux de la Corée du Nord et de la Birmanie. La démocratie n'a pas saisi le monde entier comme une valeur incontestable. C'est regrettable mais c'est la réalité. La junte birmane refuse d'engager un dialogue diplomatique classique car elle a fait le choix de prendre le pouvoir et de s'y maintenir par la force et la terreur après les élections de 1990, qui avaient été remportées par la LND avec un score de 80 %. Quelles sont les solutions ? Les enquêtes, l'envoi d'émissaires, les pressions diplomatiques, les condamnations du Conseil de sécurité, l'évolution des pays asiatiques ne suffisent pas.

Toutefois, l'envoi d'une force internationale n'est pas dans la tradition française. Lorsque les États-Unis, sous George Bush, ont défini un « axe du mal » et sont intervenus en Irak, la France a estimé que ce n'était pas sa manière d'opérer. Comment envoyer une force internationale dans un pays dirigé par un pouvoir militaire au comportement autiste voire paranoïaque ? N'existe-t-il pas un risque que la junte se retourne contre la population à titre de représailles ? Si vous sondiez les voisins asiatiques directs de la Birmanie, vous constateriez qu'ils sont hostiles à une intervention de ce type. L'escalade peut aller très vite et le succès d'une telle opération n'est jamais garanti. Nous poursuivons vaillamment notre action, faite de pressions diplomatiques et économiques, en réfléchissant à l'opportunité de les recalibrer.

Monsieur Lecoq, la Chine va mieux, mais c'est le pays du monde qui procède au plus d'exécutions capitales. La Chine va mieux mais les inégalités n'y ont jamais été aussi profondes. À la télévision, vous voyez les touristes chinois qui achètent chez Vuitton mais pas les millions de paysans qui n'ont pas de quoi manger. Il faut distinguer propagande et réalité. Le taux de croissance y est certes élevé mais le régime est autoritaire, dirigé par un parti unique. Mais peut-être vous sentez-vous solidaires parce que c'est le Parti communiste ! Je m'efforce de ne pas schématiser, sans ignorer les faits relatés par les dissidents chinois, sans ignorer que les manifestants arrêtés place Tiananmen il y a vingt ans sont encore emprisonnés, que les chars ont sans doute laissé un millier de morts derrière eux, que les mères de Tiananmen existent, que des bloggeurs sont jetés en prison, que la liberté d'expression est limitée, notamment pour les acteurs des luttes sociales. Le dire n'empêche pas de balayer devant sa porte. Sinon, nous n'accepterions pas que la Cour européenne des droits de l'homme puisse nous condamner ni que les Nations unies nous envoient des enquêteurs. La différence entre la France et la Chine, c'est que nous, nous l'acceptons et ne crions pas à l'ingérence, parce que nous avons signé des conventions internationales et parce que nous avons intégré l'Union européenne. Ce « plus » démocratique est la meilleure manière de préserver les libertés publiques. C'est tout ce que nous demandons à la Chine, pour le bien de ses propres ressortissants. Nous souhaitons qu'elle fasse son chemin sur le plan économique et qu'elle assume les responsabilités politiques inhérentes à son statut de grande puissance économique. Pour notre part, nous les assumons, notamment en payant le prix du sang comme en Afghanistan. La Chine étant aussi membre permanent du Conseil de sécurité, son veto compte, ce qui lui confère des obligations. Sur le reste, nous ne portons pas de jugement, tout comme nous n'avons pas permis à l'ambassadeur de Chine à Paris de dicter l'agenda présidentiel lors de la visite du Dalaï-lama.

À propos des territoires palestiniens, la position européenne est équilibrée. L'Union européenne n'a pas la réputation d'être pro-israélienne ; c'est l'entité qui apporte le plus gros financement aux territoires palestiniens, mais elle ne possède pas une voix politique portant aussi fort que celle des États-Unis. Lors de l'attaque contre Gaza, la nouvelle administration américaine n'était pas tout à fait installée et la présidence française a été à la hauteur de la situation en prononçant une condamnation ferme. L'aide humanitaire française et communautaire a considérablement augmenté et le Président de la République a accompli deux tournées au Proche-Orient pour mettre autour de la table tous les acteurs concernés par le conflit. Au-delà, lors du lancement officiel de l'Union pour la Méditerranée, les responsables israéliens et palestiniens se sont retrouvés autour d'une même table. Les événements de Gaza ont un peu ralenti le processus, mais nous nous efforçons de le relancer avec des réunions ministérielles. Le problème est lié à l'émergence d'une Europe politique, qui arrivera un jour, je n'en doute pas.

Monsieur Rochebloine, les échanges commerciaux sont soumis à des règles communautaires comportant des normes sanitaires. D'autres normes sont définies par l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce. La qualité sanitaire et la sécurité des produits chinois sont expertisées. En cas d'alerte sur l'origine ou la fiabilité d'un produit, la réactivité européenne et française est bonne.

Le comportement de la junte birmane relève de l'autisme. Le dialogue est actuellement impossible mais nous laissons toujours ce canal ouvert, et il m'arrive régulièrement de me retrouver aux côtés du ministre birman des affaires étrangères. Le relativisme culturel consiste à penser que les droits de l'homme doivent être adaptés à une tradition, à une culture, à une religion, à des coutumes. Cette logique ne pose pas de problèmes dans certains cas mais seulement quand elle conduit à des attitudes attentatoires à la dignité humaine. Le relativisme culturel ne saurait justifier, par exemple, les statuts d'infériorité de la femme. La Déclaration universelle des droits de l'homme a été signée en 1948 par presque tous les pays du monde, hormis ceux du bloc soviétique et l'Afrique du Sud. Toutefois, des résistances apparaissent dans la pratique. Mais l'attitude de la junte n'a rien à voir avec cette problématique : il s'agit d'un pouvoir militaire qui ne veut rien entendre.

En matière de droits de l'homme, il s'agit plutôt de voir que de faire. Avant d'envisager la restauration de la dignité humaine, il faut faire prendre conscience de leurs actes à ceux qui portent atteinte à cette dignité. Ensuite, il ne faut pas forcer mais parler, comprendre et convaincre. Il y a quelques semaines, j'ai reçu une personnalité de la famille royale saoudienne, militante des droit des femmes, qui m'a suppliée : « S'il vous plaît, ne nous imposez pas la démocratie ! Privilégiez l'écoute plutôt que la provocation ! ». Monsieur Terrot, la Chine est en phase d'urbanisation rapide et peu contrôlée. L'exode rural, dû aux inégalités entre zones rurales et urbaines, provoque une croissance annuelle de la population urbaine de 13 à 15 millions d'habitants. Le déferlement de migrants représente un tiers de la population pékinoise. L'écart entre les niveaux de vie s'est accru dans les villes, provoquant un essor de la mendicité, de la délinquance, de la précarité et des violences urbaines. La canalisation, l'intégration des migrants constitue un défi considérable pour le régime, tout autant que les contestations liées à ces phénomènes migratoires internes.

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