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Intervention de Rama Yade

Réunion du 16 juin 2009 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Rama Yade, secrétaire d'état chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme :

L'actualité des droits de l'homme en Chine a été marquée au cours des derniers mois par l'organisation des jeux Olympiques à Pékin, le passage de la flamme olympique à Paris, les visites successives du Dalaï-lama en France et le vingtième anniversaire des événements de Tiananmen.

Pour la Birmanie, l'actualité des droits de l'homme a été tout aussi riche, avec les manifestations de bonzes en septembre 2007, le passage du cyclone Nargis et le procès en cours d'Aung San Suu Kyi.

Le bilan de la République populaire de Chine reste insuffisant à de nombreux égards. Les droits économiques, sociaux et culturels se sont indéniablement améliorés, avec l'accès à la santé, à l'éducation, l'amélioration du niveau de vie et de la liberté de circulation. Cependant, les problèmes demeurent pour le volet politique. La Chine reste un État autoritaire, dans lequel le Parti communiste, le PCC, détient le monopole de l'exercice du pouvoir politique. Cette réalité n'a pas connu d'évolution notable depuis la répression violente du mouvement démocratique de Tiananmen, le plus important qu'ait connu la Chine depuis 1949.

Vingt ans après, Tiananmen reste un tabou en Chine. La France, à cette occasion, a appelé Pékin à libérer les prisonniers. Il est temps aussi que la Chine permette aux familles des victimes et aux organisations qui les représentent de faire valoir librement leurs préoccupations et leurs demandes. Le nombre de victimes lui-même fait l'objet de discussions. Une Chine émergente comme puissance économique, de plus en plus intégrée dans le concert des nations, doit être capable d'assumer pleinement son passé et d'engager sa mutation politique.

Les progrès économiques accomplis par la Chine ne sauraient être négligés. Bien que le régime mette fréquemment en avant son bilan réputé favorable en la matière, la situation reste toutefois dans les faits largement perfectible. Le décollage économique a conduit à un enrichissement général – la croissance économique chinoise a atteint 9,8 % en 2005, 10,7 % en 2006, 11,4 % en 2007 et 9 % en 2008 – mais a aussi provoqué un accroissement criant des inégalités sous toutes leurs formes : entre les villes et les campagnes, entre les provinces côtières et celles de l'intérieur, entre les riches et les pauvres. Cette situation contribue à provoquer une fracture sociale et géographique significative. Les questions des travailleurs migrants, de l'accès à l'éducation ou à la santé, de l'organisation syndicale, du respect du droit de propriété ou des discriminations de toutes natures demeurent cruciales pour les autorités chinoises compte tenu de la forte croissance économique et des nombreux conflits sociaux récents, générateurs de désordre public. Outre les manifestations – 60 000 ont été répertoriées en 2006 –, souvenez-vous de la mobilisation autour du cas de la jeune fille ayant tué un cadre qui essayait de la violer ou des révoltes contre les expropriations forcées.

Les améliorations sur le terrain économique et social dépendent fondamentalement du modèle de développement qu'a choisi la Chine depuis 1978, structurellement générateur d'injustices et d'abus de pouvoir, même s'il s'est également traduit par une amélioration des conditions de vie de centaines de millions de personnes.

Le bilan en matière de droits civils et politiques n'est pas satisfaisant, loin s'en faut. Le Parti a certes relâché son étreinte sur une large part de la vie quotidienne de la population chinoise, dans les domaines de la liberté d'entreprendre et de la liberté de mouvement à l'intérieur comme hors des frontières chinoises.

Mais la contestation du monopole du PCC demeure une ligne rouge infranchissable et la situation des droits civils et politiques reste en conséquence problématique. La liberté d'association demeure soigneusement contrôlée. La société civile – organisations non gouvernementales, ou ONG, médias, défenseurs des droits de l'homme, intellectuels et juristes engagés dans des causes sociales – est maintenue étroitement encadrée et surveillée. Les médias chinois restent assujettis à un contrôle très strict. La censure des médias et des publications est très présente, même si Internet offre à la population chinoise la possibilité de s'exprimer, parfois de façon critique à l'égard des autorités, surtout sur les questions sociales. Le bloggeur Hu Jia a ainsi reçu le prix Sakharov du Parlement européen. L'affaire du lait frelaté a aussi été largement commentée sur les sites chinois.

La peine de mort, qui, en raison de réformes judiciaires récentes, aurait connu un recul de 30 %, est toujours appliquée dans des proportions élevées. Les statistiques demeurant secrètes, il est impossible d'obtenir des chiffres officiels. On estime entre 2 000 et 5 000 le nombre annuel d'exécutions, 68 crimes étant passibles de la peine capitale, y compris pour des faits comme la corruption ou le trafic de drogue, qui ne sont pourtant pas des crimes de sang.

La rééducation par le travail est elle aussi encore en vigueur, malgré les appels à son abolition. Les détentions administratives arbitraires, notamment dans les hôpitaux psychiatriques, sont de plus en plus utilisées, en particulier au niveau local, à l'encontre des militants des droits de l'homme. La détention de quelques personnalités emblématiques, comme l'avocat Gao Zhisheng, Hu Jia ou encore Liu Xiaobo, principal coordinateur de la Charte 2008 – texte publié à l'occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme –, montrent l'extrême sensibilité et la fébrilité du régime envers quiconque remet en cause le dogme du monopole politique du PCC.

La France, vous le savez, est vigilante et reste préoccupée par la persistance de la répression au Tibet, sous couvert de lutte contre le « séparatisme », qui frappe en particulier les moines. J'ai condamné la répression de mars 2008 et appelé constamment au respect des libertés civiles et religieuses. Nous exprimons régulièrement notre préoccupation à propos des cas individuels. Malgré les difficultés, il faut continuer à encourager la poursuite du dialogue entre le Dalaï-lama et Pékin. J'ai fait passer ce message au négociateur chinois, que j'ai rencontré à Paris, ainsi qu'à la partie tibétaine. Il faut continuer à appeler la Chine à accepter de travailler sur la base du mémorandum pour une autonomie, remis par la partie tibétaine lors de la dernière session du dialogue. Les manifestations dans la région autonome du Tibet témoignent d'une insatisfaction face à la politique volontariste d'assimilation menée par Pékin. Principalement axée sur le développement économique et matérialisée par la ligne de chemin de fer Lhassa-Pékin, par l'implantation massive de Chinois au Tibet et par le développement du tourisme, elle ne tient pas compte des aspirations de la population en matière de liberté spirituelle et religieuse. La tension reste grande dans la région autonome tibétaine et les autres zones de peuplement tibétain. Les autorités chinoises, depuis avril, ont procédé à une réouverture très progressive de ces régions aux délégations officielles mais elles restent fermées aux médias.

Nous rappelons inlassablement nos attentes aux autorités chinoises. C'est ce qu'a fait le Président de la République lorsqu'il s'est rendu en Chine, en 2007 et en 2008. C'est ce que je fais lorsque je rencontre les autorités chinoises. J'ai écrit personnellement à mon homologue chinois pour demander la libération de prisonniers politiques, parmi lesquels le bloggeur Hu Jia ou l'avocat aveugle Chen Guangcheng. J'ai remis le prix des droits de l'homme de la République française aux avocats aux pieds nus, dont certains font l'objet de harcèlement pour leur engagement sur des cas sensibles.

La Chine a ratifié six des huit grandes conventions des Nations unies relatives aux droits de l'homme. Elle n'est pas encore partie, en revanche, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui date de 1966 et transpose en texte contraignant une partie des droits contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Tant au Conseil de sécurité qu'à l'Assemblée générale des Nations unies, la Chine prône une vision assez relativiste des droits de l'homme, fort éloignée des positions que la France défend avec ses partenaires européens, relevant d'une conception universaliste. De ce point de vue, la coopération de la Chine avec les instances onusiennes demeure insatisfaisante. Par ailleurs, elle n'accepte pas le principe de résolutions visant des pays particuliers comme l'Iran et la Corée du Nord ; elle s'efforce de vider de leur substance les mécanismes existants ou d'en réduire la portée.

L'Union européenne, mais aussi les États-Unis et d'autres pays occidentaux, entretiennent néanmoins un dialogue avec la Chine sur la question des droits de l'homme. La France est à l'origine du dialogue entre l'Union européenne et la Chine, entamé il y a maintenant treize ans. Ce dialogue sert avant tout à faire passer de manière plus apaisée des messages dont l'évocation est souvent sensible pour les autorités chinoises.

Une idée reçue consiste à présenter la Chine à la peine en matière de droits civils et politiques alors que, s'agissant des droits économiques et sociaux, le succès aurait été patent. Cette opposition, n'est pas fausse mais trop schématique.

Les progrès en matière de droits civils et politiques existent mais sont limités car ils se heurtent à l'interdiction absolue de remettre en cause le monopole politique du PCC. Quant au bilan dans le domaine du respect des droits économiques et sociaux, en dépit du discours affiché par les dirigeants chinois, il reste largement perfectible. L'essor de la liberté d'entreprendre et l'émergence d'une classe moyenne urbaine sont des résultats non négligeables. Cependant, alors que le pays connaît depuis des années une croissance à deux chiffres, les inégalités sociales se sont creusées dans des proportions considérables. Les récits d'injustices, d'abus de pouvoir, d'expropriation sans indemnisation juste sont innombrables et déchaînent les passions civiles, de très nombreux faits divers le montrent. N'oublions pas que le mouvement de Tiananmen, avant d'être un mouvement démocratique, fut une protestation contre la corruption.

En cette année 2009 de crise économique mondiale qui n'épargne pas la Chine, les autorités de ce pays restent fondamentalement marquées par un sentiment d'insécurité, notamment vis-à-vis de l'expression du mécontentement populaire. C'est ce qui a motivé les crispations récentes, notamment à la suite des événements au Tibet, du tremblement de terre du Sichuan ou encore des jeux Olympiques de Pékin. La France ne manque pas de rappeler à la Chine que ces retours en arrière ne sont pas à la hauteur de son statut international de pays émergent. Il est dans l'intérêt des autorités chinoises d'accompagner les changements irréversibles intervenus depuis vingt ans dans la société et de répondre ainsi aux aspirations pour plus de justice et de libertés.

Sur le dossier birman, l'exigence de la France et de ses partenaires européens est simple et sans ambiguïté : nous voulons une libération sans délai et sans condition de Mme Aung San Suu Kyi ainsi que des dirigeants de l'opposition et des prisonniers politiques. C'est ce message que je martèle depuis 2007. C'est ce message que j'ai récemment réitéré en Asie du Sud-Est lors de deux réunions avec les ministres des affaires étrangères asiatiques et européens, à Hanoï et à Phnom Penh, où le sujet birman a pour la première fois dominé tous les débats. J'ai interpellé en séance le ministre birman des affaires étrangères pour lui demander de cesser de persécuter Aung San Suu Kyi. Le harcèlement indigne dont elle est victime ne fera que renforcer l'aura de ce prix Nobel de la paix, fille du père de l'indépendance birmane.

J'ai également appelé à un engagement plus actif les pays asiatiques voisins, qui, compte tenu de la vigueur de leurs échanges avec la Birmanie, détiennent la clé et ne sauraient rester ni silencieux, ni impassibles. La crédibilité de l'Asie en général est en jeu, alors que, à l'instar de l'Union européenne, elle essaie de mettre sur pied des processus d'intégration régionale. Le consensus inédit qui s'est dégagé durant ces réunions à propos de la libération d'Aung San Suu Kyi est à cet égard encourageant, de même que la prise de position forte de la présidence thaïlandaise de l'ASEAN, l'Association of Southeast Asian Nations. Cela illustre, comme les voyages récents des autorités singapouriennes et japonaises en Birmanie, une implication plus significative des pays asiatiques. L'Europe peut décider et renouveler toutes les sanctions possibles – gel des avoirs des dirigeants birmans, interdiction d'accéder au territoire européen, embargo sur le bois et les pierres précieuses –, sans les pays asiatiques, elle ne pourra pas, à elle seule, faire évoluer notablement la situation.

Soyez assurés que le Gouvernement continuera de suivre avec la plus grande vigilance la situation des droits de l'homme en Birmanie. Nous maintenons le dialogue avec M. Ibrahim Gambari, envoyé spécial de M. Ban Ki-moon en Birmanie, qui a rencontré Aung San Suu Kyi trois fois, et M. Piero Fassino, envoyé spécial de l'Union européenne, qui n'a pas encore eu l'occasion de se déplacer en Birmanie. C'est plus compliqué pour ce dernier, dans la mesure où son message est essentiellement politique, mais l'invocation de la non-ingérence dans les affaires intérieures ne tient plus vraiment car elle n'est plus relayée par les Asiatiques. Quant à moi, j'ai souhaité me rendre en Birmanie ; Le Président de la République a réussi à m'obtenir un visa mais les conditions de la visite étaient telles qu'elle n'aurait pas été intéressante : je n'aurais pas eu le loisir de rencontrer Aung San Suu Kyi et cela aurait été une visite guidée…

Je n'ai jamais manqué une occasion de soulever la question birmane avec mes homologues européens et asiatiques. J'ai écrit aux ministres des affaires étrangères européens pour demander que la stratégie en Birmanie soit repensée. Les sanctions n'ayant pas fait bouger le régime, ne convient-il pas de tenter autre chose ? De les assouplir ou de les renforcer ? Les Européens, à ce sujet, restent divisés. Mais nous oeuvrons à faire concorder nos positions.

J'ai également écrit aux principaux ministres asiatiques – de la Chine, du Japon, de l'Inde, de l'Indonésie, des Philippines, de la Thaïlande et de Singapour –, pour leur demander de faire pression sur la junte.

Je reste vigilante vis-à-vis de la situation sur le terrain. Avec l'aide humanitaire, nous faisons en sorte que les sanctions européennes ne touchent que les militaires et non la population, qui a déjà suffisamment souffert du cyclone Nargis.

Quelques jours avant son arrestation, j'ai fait état de ma préoccupation face à la dégradation de l'état de santé de Aung San Suu Kyi, indiquant que notre pays était prêt à apporter l'aide matérielle ou médicale nécessaire. Nous avons condamné avec la plus grande fermeté son arrestation et son transfert à la prison d'Insein ainsi que les atteintes répétées des autorités birmanes aux droits de l'homme. J'avais demandé à notre ambassadeur de rendre visite à Aung San Suu Kyi, ce que les autorités birmanes ont refusé ; toutefois, sur mes instructions, il a pu assister à son procès.

Nous ne relâcherons pas nos efforts, à aucun niveau. Sur le plan européen, à la demande de la France, le conseil affaires générales et relations extérieures de l'Union européenne a débattu à nouveau hier de la situation de l'opposante birmane. Nous continuons, avec nos partenaires européens, à nous préparer à réagir rapidement, en fonction de l'issue du procès d'Aung San Suu Kyi, sans relâcher la pression d'ici là.

Nous veillerons à ce que le Conseil de sécurité reste saisi du dossier. Il a déjà adopté, le 23 mai, à l'initiative de la France, une déclaration exprimant sa préoccupation face à l'emprisonnement d'Aung San Suu Kyi et rappelant l'exigence d'une libération de tous les prisonniers politiques ainsi que l'engagement d'un véritable dialogue avec l'opposition et les groupes ethniques. Je rappelle que des élections sont prévues pour 2010. Le référendum organisé en plein cyclone, remporté à 92 % par la junte, prévoyait en effet une feuille de route pour arriver coûte que coûte aux élections. Aujourd'hui, le parti d'Aung San Suu Kyi, la LND, Ligue nationale pour la démocratie, se demande s'il doit participer au processus électoral ou le boycotter. Quoi qu'il en soit, nous nous félicitons de l'expression unanime des membres du Conseil de sécurité.

Enfin, le Président de la République a demandé lui-même à s'entretenir avec Aung San Suu Kyi, mais cette requête a été rejetée par les autorités birmanes la semaine dernière. L'attitude de la junte est inacceptable.

Soyez sûrs que la France restera mobilisée et fera tout son possible pour obtenir la libération d'Aung San Suu Kyi. Pour autant, nous devons avoir conscience que nous ne disposons, à nous seuls, d'aucun moyen déterminant pour précipiter cette évolution. C'est pourquoi il est nécessaire de créer, avec nos partenaires européens, un front commun au sein du Conseil de sécurité et surtout en compagnie des pays asiatiques, afin de pouvoir exercer une pression diplomatique efficace sur le régime.

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