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Intervention de Marc Ferro

Réunion du 29 avril 2008 à 17h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Marc Ferro :

Non. Une vérité singulière non universalisable.

J'ai dirigé Le Livre noir du colonialisme et, au-delà, mes thèses sont connues. Je suis néanmoins opposé aux lois mémorielles. Si les professeurs sont invités, par les programmes, à étudier une période jusqu'alors par trop négligée, ils le feront. S'il est vrai, par ailleurs, que l'histoire de l'Alsace est trop souvent négligée, que souhaitent les Occitans pour commémorer les massacres de Béziers et les bûchers cathares ? Une date. Que souhaitent également les Vendéens ? Je ne suis pas hostile à ces journées dès lors qu'elles ne contribuent pas à attiser la guerre des mémoires mais qu'elles favorisent des rapprochements. Il est toutefois notable que les minorités opprimées sont parfois plus susceptibles que d'autres. J'ai perdu mes papiers à Saint-Germain-en-Laye, où j'habite depuis trente-cinq ans. On m'a demandé le certificat de mariage de mon père, qui est mort en 1930. Tout s'est bien passé, mais que serait-il arrivé si un Maghrébin ou un Antillais avait été à ma place ? La France est le seul pays où la décentralisation est si centralisée que cela peut entraîner des humiliations !

Spécialiste de la guerre de 14-18, je me suis aperçu de l'énorme ressentiment des Poilus à l'endroit des gens de l'arrière. Peu à peu l'ennemi, lui, est devenu le semblable, un pauvre type combattant comme les Français, même s'il ne fallait pas le dire. Ceci est fort bien illustré par un film de 1966 de Daniel Costelle et Henri de Turenne où les anciens combattants ont fini par s'embrasser en pleurant. C'est à ce moment-là qu'a eu lieu la réconciliation franco-allemande et le législateur n'y était pour rien, même s'il est toujours possible d'encourager le processus. La même situation se reproduit plus souvent que l'on ne le croit entre pieds-noirs et anciens du FLN.

Enfin, si la loi Taubira évite de mentionner les victimes de l'esclavage, c'est sans doute parce qu'elle tend principalement à stigmatiser les mauvais serviteurs de la République, comme Pierre Vidal-Naquet a eu raison de le dire à propos de la guerre d'Algérie afin de sortir du conflit opposant ceux qui ne parlaient que du terrorisme et ceux qui ne considéraient que la torture. À cela s'ajoute que Mme Taubira sait fort bien que des Africains ont participé à la traite des esclaves et que parler des victimes, cela reviendrait à opposer en Côte d'Ivoire, par exemple, telles ou telles tribus entre elles. Les Chinois, qui n'ont pas de leçon de démocratie à donner, ont tout de même fait remarquer que la France est un pays où l'on s'occupe beaucoup plus des bourreaux que des victimes.

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