Compte tenu de la durée de ces procédures, la Cour européenne, au regard de sa jurisprudence, aurait très légitimement pu alléguer un abus à l'encontre de BTF – Bernard Tapie Finance – et surtout des époux Tapie. Il ne s'agissait donc aucunement de défiance vis-à-vis de la justice mais de trouver rapidement une solution définitive. De fait, si je me souviens bien, la sentence arbitrale a été rendue dans un délai de seulement six mois après la saisine des trois arbitres.
L'arbitrage permettait de clore l'ensemble des neuf procédures en cours, les deux parties stipulant, dans le compromis, qu'elles acceptaient de se désister et renonçaient à toute instance ou action.
Dans le compromis d'arbitrage, les demandes étaient plafonnées à 295 millions d'euros pour les dommages et intérêts, et à 50 millions d'euros pour le préjudice moral. On peut jaser sur ces montants, mais le plafonnement limitait le risque.
D'autres conditions me paraissaient indispensables pour envisager l'arbitrage et donner des instructions positives aux deux représentants de l'État au sein de l'EPFR : que l'arbitrage soit rendu en droit et non en équité ; que les dispositions du code de procédure civile soient respectées ; que la composition du tribunal soit au-dessus de tout soupçon. Les trois arbitres me semblaient et me semblent toujours répondre aux exigences de compétence requises.
On a beaucoup raconté que le CDR se trouvait en bonne situation puisqu'un arrêt d'assemblée plénière de la Cour de cassation avait été rendu en sa faveur, cassant l'arrêt de la cour d'appel de septembre 2005. Il me paraissait au contraire crucial de ne pas en rester à cette décision de la Cour de cassation, même s'il s'agit de la juridiction suprême et si un arrêt rendu en formation plénière revêt des vertus complémentaires. Pourquoi ? Parce que l'arrêt cassé ne l'était que partiellement, laissant ouvert à l'une ou l'autre des parties le moyen de revenir devant la cour d'appel de renvoi en modifiant son argumentation et en révisant ses demandes.
Page 13, l'arrêt de la Cour de cassation est très clair : « Mais attendu que, si l'arrêt relève tout d'abord que les banques ont commis des fautes en se portant cessionnaires des parts qu'elles avaient pour mandat de céder et en manquant à leur obligation d'informer loyalement leur mandant, etc. ». La Cour de cassation déblayait ainsi le terrain et indiquait la voie à suivre pour une procédure devant la cour de renvoi. Si j'avais été l'avocat de Tapie – ce que je ne suis pas, je le précise à l'intention de ceux qui en douteraient –, j'aurais immédiatement fondé mon action sur ces deux moyens : primo, se porter cessionnaire des parts qu'elle avait mandat de céder constitue une violation des dispositions relatives au mandat contenue dans le code civil et entraîne la nullité ; secundo, le manquement à la loyauté dans les rapports avec le client est évident.
Même si le plafond de 295 millions plus 50 millions d'euros était élevé, faute d'arbitrage, nous risquions d'aboutir à la nullité de l'opération, ce qui aurait remis les parties en l'état. Compte tenu des 7 milliards précédemment demandés devant la cour d'appel de renvoi, le risque excédait largement les 135 millions accordés en 1995, d'autant que, dans une autre partie de son arrêt, la Cour de cassation reconnaît la recevabilité des liquidateurs. Voilà pourquoi, en conscience, j'ai jugé l'arbitrage opportun. Je me trompe peut-être mais personne n'est en mesure de le démontrer aujourd'hui.