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Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 9 décembre 2008 à 11h15
Commission des affaires étrangères

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

Avant d'aborder ces sujets, je souhaiterais évoquer les affrontements en Grèce. Je ne dispose pas d'informations particulières à l'exception de celles que ma collègue grecque a données hier au conseil Affaires générales et relations extérieures : elle a souligné sa préoccupation et a indiqué que l'on ne pouvait rien augurer de la suite des événements. À Athènes, les affrontements ont l'air quelque peu planifiés, ce qui inquiète les autorités. Celles-ci ont très fermement condamné le geste du policier. Nous suivons ces événements avec beaucoup d'attention et nous nous efforçons de manifester notre solidarité envers les Athéniens.

Parmi les crises que vous avez mentionnées, monsieur le président, celle que subit la République démocratique du Congo est la plus ancienne et nous laisse, là aussi, quelque peu désarmés. Les événements remontent aux années 1994 : après le génocide perpétré en 1994 dans le Rwanda voisin, certains responsables hutus et une partie de l'armée ont fui au Nord-Kivu. Au cours des dix dernières années, on a vu beaucoup d'incidents, beaucoup de violences et beaucoup de victimes. L'accord issu de la conférence de Nairobi de 2007 – dit « Nairobi 1 » –, puis l'« acte d'engagement » pour la paix adopté à la conférence de Goma au début de 2008, ont fait naître un peu d'espoir. Pendant trois mois, on a tenté de désarmer et d'intégrer les différentes milices. Les deux plus importantes sont les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), dont le noyau initial est formé par d'anciens militaires hutus qui poursuivent toujours de leur vindicte la minorité tutsie congolaise (celle-ci compte 300 000 à 400 000 personnes), et le Congrès national pour la défense du peuple, appellation politique de l'armée du général Nkunda, lequel est un Tutsi congolais. Il faut y ajouter les groupes armés dits « maï-maï » et bien d'autres encore. Tous se caractérisent par une violence terrible, agressive et assassine.

Ayant appuyé les accords de Goma, nous avons cru à une certaine détente. Mais les affrontements ont repris alors même que nous acheminions des secours. Nous avions détaché un diplomate de Kinshasa à Goma : bien nous en a pris car celui-ci a donné l'alerte et nous a été très utile pour protéger les quelques Français présents dans la région (entre 100 et 200) et, à notre petite mesure, les femmes et les enfants congolais. Les violences commises sur les femmes ont atteint un degré de cruauté inimaginable. Les forces congolaises régulières, qui se débandent périodiquement, y participent. Nous apportons une aide financière aussi importante que possible à l'hôpital Heal Africa. Cet établissement, un des rares à prendre en charge des mutilations aussi effrayantes, est dirigé par un chirurgien et sénateur congolais à qui son dévouement exceptionnel devrait valoir, selon moi, le prix Nobel.

Les troubles ont donc repris. Il faut bien entendu une solution politique : personne n'imagine que la solution à une crise qui dure depuis quatorze ans puisse être purement humanitaire ! Cela étant, si l'on n'apporte pas un secours circonstancié aux réfugiés et déplacés, dont le nombre se situe entre 1 et 1,6 million, on se condamne à l'inaction : la deuxième conférence de Nairobi du 7 novembre n'a pas permis d'avancer. L'armée nationale congolaise, qui a participé aux violences de Goma, est désormais quasi absente de la région. Les forces de l'ONU s'élèvent à 17 000 hommes répartis sur l'ensemble de l'immense territoire de la RDC. Au Nord-Kivu, les effectifs sont passés de 4 000 à 9 000 hommes. Nous avons en effet beaucoup insisté pour que le responsable des opérations de maintien de la paix de l'ONU, notre compatriote Alain Le Roy, se rende immédiatement sur place pour décider d'une répartition différente des Casques bleus.

Comment expliquer l'inaction de ces forces ? Elles devaient être commandées par un général qui a renoncé, estimant qu'il ne pouvait rien faire avec les troupes à sa disposition. Ce n'est un secret pour personne : certaines troupes envoyées sur place n'ont pas l'autorisation de combattre hors de leurs frontières ; d'autres sont plus pacifistes que la morale ne le permet dans de telles circonstances !

La deuxième conférence de Nairobi est malgré tout un succès politique qui fait suite à la visite que j'ai effectuée en RDC avec mon homologue britannique David Miliband. Nous avions alors vu M. Kabila, nous avions visité certains camps de réfugiés – la grande majorité restant toutefois inaccessible –, puis nous nous étions rendus au Rwanda pour rencontrer le président Kagamé et en Tanzanie pour discuter avec le président Kikwete, qui est aussi président de l'Union africaine. C'est ainsi qu'a été lancée l'idée d'un"Nairobi 2", que réclamaient aussi bien l'ONU, par la voix de M. Ban Ki-moon, que l'Union européenne et l'Union africaine.

Face à une situation qui ne s'arrangeait guère, le Conseil de sécurité a adopté une résolution – initiée par la France – autorisant l'ONU à affecter 3 000 hommes supplémentaires en RDC. Malheureusement, la réponse européenne n'a pas été positive. Certains pays souhaitent un dispositif inspiré de l'opération Artémis, menée avec succès en 2003 sous commandement militaire français. On dit beaucoup de choses, on parle de l'envoi de Gurkhas, mais pour l'instant rien ne se passe. Les trois réunions du Comité politique et de sécurité (COPS), pour la tenue desquelles la présidence française de l'Union européenne a beaucoup bataillé, n'ont abouti qu'à de bonnes paroles, le seul engagement éventuel portant sur la sécurisation d'un des aéroports pour faciliter la distribution de la nourriture stockée par le Programme alimentaire mondial. Pourtant, la lettre de M. Ban Ki-moon évoque clairement des troupes européennes supplémentaires.

La discussion d'hier au conseil Affaires générales et relations extérieures a été difficile et a fait apparaître des positions assez tranchées sur la nécessité d'intervenir ou non. Si l'Union européenne ne répond pas à la demande du secrétaire général des Nations unies, qui le fera ? Ce serait à mes yeux une démission morale ! Nous avons chargé M. Javier Solana de rassembler des éléments nous permettant de proposer une réponse que j'ai voulue technique, humanitaire et politique, et qui devrait intervenir après-demain soir, à temps pour le Conseil européen. En tout état de cause, je comprends bien que la France ne veuille pas déployer des troupes à 200 mètres de la frontière du Rwanda. Cela dit, bien que les Belges aient été impliqués comme nous dans ces événements, ils proposent 600 hommes. Les Pays-Bas et la Suède souhaitent également apporter une réponse positive aux Nations unies. La Commission, qui considérait que l'on ne pouvait pas forcer la paix avec des troupes, a fait évoluer sa position depuis que nous avons la lettre de M. Ban Ki-moon. L'Union acceptera-t-elle une solution de transition consistant à sécuriser au moins les chemins d'accès aux camps de réfugiés ? Cela n'a pas encore été tranché.

J'en viens à la situation en Thaïlande. Le mouvement populaire, conduit par les élites urbaines, vise un gouvernement qu'il accuse de corruption après qu'un précédent gouvernement – convaincu, lui, de corruption – eut été renversé par un coup d'État militaire. La communauté internationale avait condamné ce coup d'État et nous n'entretenions plus de rapports officiels avec la Thaïlande. Cela n'a nullement empêché le tourisme de continuer de faire prospérer le pays. Au reste, le gouvernement installé par les militaires a adopté une position beaucoup plus ouverte et progressiste qu'auparavant au sujet de la Birmanie. Comme l'armée s'y était engagée, les Thaïlandais sont retournés aux urnes. Le gouvernement qu'ils ont légitimement élu est encore en place, même si le Premier ministre a dû démissionner à la suite d'une décision de justice, et aucune élection anticipée n'est programmée.

Après de très violentes manifestations – avec plusieurs morts par balles –, le siège du gouvernement a été occupé et le gouvernement s'est déplacé vers l'aéroport, lequel a lui-même fait l'objet d'un siège. Le blocage quasi complet de la circulation aérienne a empêché des milliers de touristes de rentrer chez eux. Les billets de retour, qui sont pour la plupart à date fixe, ne pouvaient plus être utilisés. On a donc vu 500, puis 1 000, puis 1 500 ressortissants français assiéger l'ambassade de France : « Que fait le Gouvernement ? » J'ai si bien compris leur embarras que j'ai décidé de leur envoyer un avion. Mais ce qui est stupéfiant, c'est que les compagnies aériennes qui avaient accès à d'autres aéroports continuaient de déverser des touristes ! Air France, toutefois, a décidé d'affréter des vols pour Phuket afin de rapatrier ses passagers, mais cette station touristique se trouve à dix heures de route de Bangkok. Nous avons pour notre part envoyé un Boeing 747 de 550 places qui a atterri sur un aéroport militaire et a ramené 513 personnes représentant une vingtaine de nationalités européennes, dont une large majorité de Français.

Si nous avons su faire preuve de compassion et d'efficacité en cette affaire, c'est grâce à la cellule de crise du Quai d'Orsay. Les cinquante personnes qui se sont mobilisées nuit et jour pour faire face tout à la fois aux événements de Bombay, à ceux de Thaïlande, à l'enlèvement de deux journalistes en Somalie et à la prise d'un otage français en Afghanistan, ont droit à toute mon admiration.

Pour ce qui est de la Thaïlande, l'impasse politique est presque complète même si les manifestations autour de l'aéroport ont cessé et si le trafic aérien a repris.

Du point de vue du droit des assurances, il ne s'agit pas d'une situation de guerre qui justifierait une absence de prise en charge. C'est pourquoi je fais prendre contact avec les entreprises concernées pour leur demander de rembourser au moins en partie les frais engagés par le Gouvernement.

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