Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Henry Rousso

Réunion du 8 juillet 2008 à 15h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Henry Rousso :

Dans les années 1970, l'intérêt du métier consistait précisément dans la visibilité de l'historien. Cette visibilité était bien sûr médiatique, mais elle se situait surtout dans un certain registre culturel : on admirait de grands historiens comme Le Roy-Ladurie, Georges Duby, etc. L'histoire était une préoccupation culturelle. Par la suite, dans les années 1980-90, avec l'émergence des débats autour de la Shoah, de Vichy, du colonialisme, plus généralement des débats sur les pages noires de l'histoire, les attentes à l'égard de l'histoire et donc de l'historien ont changé. On acheta alors les livres d'histoire pour des raisons d'angoisse personnelle, identitaires ou autres, liées à certains épisodes récents et faisant par ailleurs problème. La visibilité de l'historien changea de registre. Aujourd'hui l'historien, dans le débat public, se trouve confronté en permanence à d'autres paroles.

Je répondrai à Olivier Pétré-Grenouilleau que la séparation entre la mémoire et l'histoire est connue des historiens et que ce n'est pas eux qui l'ont livrée au débat public. Mais il me semble surtout regrettable d'accuser à ce point une telle différence. Et je rejoins là les propos de Suzanne Citron.

La première chose que l'on apprécie en histoire contemporaine, c'est la présence de témoins vivants. On est donc immédiatement confrontés à cette question de la mémoire. Dès lors qu'elle prend une tournure problématique, ce qui fut le cas dans les années 1990, la place de l'historien se modifie : il devient un expert. On en a une preuve éclatante avec l'appel aux historiens au moment des procès.

Aujourd'hui, le discours que les historiens peuvent véhiculer sur le plan culturel est un peu abandonné au profit du divertissement : il suffit de voir les grandes émissions que des chaînes publiques, pour ne pas citer France 3, font sur l'histoire, et à laquelle certains de mes collègues participent. C'est affligeant, mais cela plait au public.

J'en retiens personnellement que le discours que nous pouvons porter d'une histoire « savante » fondée sur une connaissance est de moins en moins audible, que ce soit auprès des journalistes ou des militants de la mémoire. Aujourd'hui, la légitimité d'un discours savant apparaît infiniment moins importante que la légitimité de revendications identitaires. D'où cette question, qui ne vaut pas que pour les historiens : quel est aujourd'hui le statut d'une parole savante dans une société démocratique et plurielle ?

Je crains une disparition relative de l'influence de la parole savante auprès du public et des politiques. On a envie que certaines prises de position concernant l'histoire soient un peu informées ou documentées. Mais, encore une fois, la question n'affecte pas tellement les historiens. Nous serons moins aimés ? Ce n'est pas grave. En revanche, elle intéresse la société tout entière.

Il y a une différence entre dire « nous devons commémorer un événement parce que c'est pour le bien social et que c'est notre vocation de politiques et de parlementaires de le faire », et dire : « nous donnons par la loi une interprétation de l'histoire, par exemple de l'histoire de l'esclavage. » Mais dénoncer la judiciarisation de l'histoire par les lois mémorielles après avoir accepté que des historiens aillent témoigner devant une cour d'assises me semble poser problème. La judiciarisation de l'histoire a commencé bien avant les lois mémorielles. Nous sommes tous entrés dans une vision juridique de l'histoire, dans une vision où l'interprétation de l'histoire passe par des catégories juridiques. Le cas le plus emblématique est celui du crime contre l'humanité et du génocide. Les lois mémorielles n'ont fait que durcir un processus qui avait commencé ailleurs, et qui était précisément lié à la question du devoir de mémoire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion