Il est évident, Madame la vice-présidente, que les historiens sont confrontés à une manière de censure, qu'elle soit de leur fait ou de l'état de la société à un moment donné. Jusqu'ici, ils n'avaient par exemple que fort peu investi le champ de la violence – torture, viols – en ce qu'il peut avoir d'immédiat, de proche, de local presque. Or, nous nous demandons aujourd'hui si l'historien doit « entrer » dans la chambre à gaz ou dans la chambre de torture. Certes, il est toujours possible d'identifier des « trous » mais le débat autour des questions mémorielles a sans doute restreint notre champ de réflexion : d'une part, je ne suis pas certain qu'il ait été très fructueux au sein de la corporation ; d'autre part, il faut bien se rendre compte que nous ne sommes pas les seuls à nous poser ce genre de questions, comme en témoignent les exemples espagnols – loi de réconciliation –, latino-américains ou Est européens. Néanmoins, compte tenu de l'ancienneté de la tradition démocratique dans notre pays, je considère que ce débat a été une régression : faut-il encore insister autant sur la distinction entre l'histoire et la mémoire alors que tout l'enjeu était de déplacer cette alternative ? L'histoire, en effet, est un vecteur de mémoire : pas de construction identitaire d'une nation sans les historiens ! La notion de devoir de mémoire, issue des réflexions autour de la Shoah, est née de leurs travaux ! Les revendications des victimes n'auraient pas abouties sans eux !
Enfin, le problème n'est pas de savoir si l'histoire est une science dure ou molle : ce n'est pas une science expérimentale et elle n'est pas reproductive, voilà ce que l'on peut en dire sur le plan épistémologique. La vraie question consiste à déterminer la frontière entre l'intervention publique et la production de connaissances et il est à ce propos naïf de croire que le public ou les élèves auront un jour la science historique infuse ! L'enjeu : que chacun, dans notre société démocratique, trouve sa place par rapport au savoir.