Je vous remercie, Mesdames, Messieurs, d'avoir répondu à l'invitation de cette mission dont le Président Bernard Accoyer est à l'origine de la création. Il m'a priée de bien vouloir l'excuser pour son absence mais il est en ce moment même requis par les travaux de la séance publique.
Après plusieurs auditions individuelles, nous inaugurons aujourd'hui un nouveau cycle à travers l'organisation de tables rondes sur cette question complexe qu'est l'articulation entre devoir de mémoire, loi, enseignement et commémoration. Les auditions tenues jusqu'à présent nous ont permis de définir les termes du débat : que sont l'histoire et la mémoire, que faut-il entendre par « devoir » ou « travail » de mémoire ? Elles nous ont également donné l'occasion de mesurer les craintes du monde intellectuel à l'égard des lois mémorielles sans que soit pour autant mise en cause la légitimité des pouvoirs publics et des élus à intervenir dans ce domaine. Les six tables rondes que la mission a programmées à partir d'aujourd'hui doivent nous permettre d'approfondir notre réflexion en abordant les questions de manière concrète : notre mission aura en effet d'autant mieux travaillé que son rapport fera état de préconisations précises.
La logique voulait que cette première table ronde soit consacrée à la recherche historique, qui est à la source des travaux et des publications permettant d'aborder de manière scientifique la compréhension du passé. Les autres tables rondes aborderont quant à elles les questions suivantes : la liberté d'expression des historiens, le rôle de l'école dans la transmission du passé, la concurrence des mémoires, le processus commémoratif, le rôle du Parlement. Nous souhaiterions, enfin, que l'ensemble de ces problèmes soit évoqué en tenant compte de leur dimension européenne.
Dans quelles conditions les historiens peuvent-ils travailler sereinement ? Je vous propose d'essayer de répondre à cette question en abordant trois thèmes : les méthodes de travail des historiens, l'implication des pouvoirs publics dans la recherche historique et, enfin, le rôle social de l'historien. En effet, nous lisons, nous entendons les historiens mais nous connaissons mal le travail effectué en amont de la publication. En outre, le mot « historien » n'est pas univoque : quid des chercheurs, des compilateurs, des universitaires, des histoires indépendants et des amateurs ? Comment les historiens travaillent-ils ? Sont-ils solitaires ou solidaires ? Comment choisissent-ils leurs thèmes de recherche ? L'autocensure est-elle une réalité ? Comment s'effectue la collaboration sur le plan international ? Existe-t-il des modes historiques ? Certains domaines de l'histoire de France sont-ils laissés aux seuls chercheurs étrangers ? A l'inverse, les historiens français sont-ils présents dans des secteurs historiques particuliers à l'étranger comme, dit-on, dans le cadre des negro-americans studies ?