Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Laurent Toulemon

Réunion du 26 mars 2009 à 9h15
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Laurent Toulemon, responsable de l'unité de recherche fécondité, famille, sexualité à l'INED :

La France est considérée comme la championne de la fécondité et il nous est parfois demandé de dévoiler nos secrets. Nous répondons toujours de manière très prudente – si bien que notre discours peut paraître un peu négatif – car il est important de prendre la mesure des limites de l'évaluation que nous pouvons faire de l'impact des mesures politiques sur la fécondité.

Un premier point à remarquer est que les effets directs que l'on peut mesurer de façon claire sont très faibles. La méthode de mesure repose, dans ce cas, sur des comparaisons internationales. Or, comme il y a relativement peu de pays comparables et énormément de différences entre eux, il est très difficile de faire la part des choses.

La méthode la plus « sûre » pour estimer l'effet d'une politique consiste à comparer, quand il y a un changement de dispositif, les évolutions temporelles observées chez les personnes concernées et les personnes non concernées par ce changement. Dans cette méthode dite des « différences des différences », on regarde si les personnes qui bénéficient d'une mesure nouvelle modifient leur comportement. Les effets directs ainsi estimés sont très faibles, voire négligeables.

L'impact sur la fécondité de la politique familiale française est estimé, selon les auteurs procédant à des comparaisons internationales, entre 0 et 0,2 enfant par femme. C'est peu, mais c'est loin d'être négligeable sur le long terme. Par contre, les mesures directes en « différences des différences » font apparaître des effets vraiment très faibles, voire impossibles à mettre en évidence.

La troisième méthode, que l'on utilise plus souvent à l'INED, consiste à faire ressortir des effets dilués dans le temps. Elle permet de mettre en évidence certains points, mais il est très difficile de remonter des effets à leur cause, du fait, notamment, des nombreux changements intervenus dans la législation.

Il existe des impacts indirects nombreux et importants mais difficiles à mesurer.

Un « effet de halo » s'observe quand une nouvelle mesure modifie le comportement non seulement des personnes concernées, mais également de celles qui ne sont pas touchées directement mais qui soit espèrent pouvoir l'être plus tard, soit sont influencées par le climat nouveau généré par la nouvelle mesure. La méthode des « différences des différences » diminue l'effet mesuré, mais l'effet global est supérieur à celui mesuré uniquement sur les personnes concernées du fait d'un effet d'entraînement.

L'effet de halo n'est qu'un élément d'un effet de contexte plus général, l'ensemble des mesures pouvant entrer en synergie de façon importante. Deux aspects sont importants à ce sujet en France.

Le premier est l'apparition répétée de nouvelles mesures. Comme celles-ci sont en général indexées sur les prix et non sur les salaires, elles viennent compenser l'érosion du montant de chaque mesure. L'effort total reste à peu près constant, mais il y a un effet d'affichage qui crée une confiance dans la pérennité et dans la durée de ces aides : les familles ne sont pas seulement aidées à la naissance comme dans certains pays où est accordé un bonus à ce moment-là. La crédibilité de l'État est très forte sur ce point.

Le second aspect important est la complémentarité de diverses aides. Bien que les objectifs soient parfois très différents et même contradictoires – ce qui rend leur évaluation difficile –, cette complémentarité a entraîné l'idée, très forte en France, de l'universalité des aides et du fait que l'État aide et aime toutes les familles. C'est un aspect auquel la population est très attachée : la remise en cause de l'universalité des aides afin de limiter les aides en direction des ménages les plus aisés a entraîné un tollé général tandis que le plafonnement des avantages liés au quotient familial – ce qui, d'un point de vue macroéconomique comme micro-économique, revient au même – a été mieux accepté. En France, les aides sont considérées comme continues et universelles.

Les politiques familiales n'ont pas pour seul objet aujourd'hui d'augmenter le nombre des naissances. Elles poursuivent de nombreux autres objectifs tels que l'augmentation de l'activité professionnelle des femmes, la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes, et la lutte contre le chômage, la pauvreté et les inégalités sociales.

Par ailleurs, certaines mesures ont un impact temporaire. La question se pose dès lors de savoir si l'objectif est d'augmenter le nombre de naissances dans les proches années ou la descendance finale, c'est-à-dire le nombre moyen qu'ont les femmes ou les couples à la fin de leur vie féconde. Il en est ainsi des avantages en termes de congé de maternité. En Suède, si les femmes avaient un autre enfant avant la fin de leur congé de maternité, elles pouvaient continuer de bénéficier de leur congé avec leurs anciens revenus, alors que, si elles reprenaient un travail, par exemple à temps partiel avec un revenu plus faible, et qu'elles s'arrêtaient ensuite pour avoir un autre enfant, le deuxième arrêt n'était financé qu'à hauteur du nouveau salaire. Il s'en est suivi un raccourcissement très important des intervalles entre les naissances, donc une augmentation temporaire très importante du nombre de naissances, mais l'impact a été quasiment nul sur la descendance finale.

Des mesures qui ne relèvent pas a priori de la politique familiale mais répondent à des objectifs d'égalité des chances, comme la présence d'une école maternelle ou des politiques du logement ou de lutte contre la pauvreté, ont un impact très important sur la fécondité. On peut se poser la question de savoir s'il faut les intégrer quand on évalue l'impact de la politique sur cette dernière.

Le niveau élevé de la fécondité en France assure une certaine stabilité de sa population. Comme les baby boomers vont remplacer des générations moins nombreuses, le nombre de personnes de plus de soixante ans va augmenter de façon très importante, mais celui des personnes de moins de soixante ans – c'est-à-dire la population active et les enfants – va rester à peu près constant. Cette situation nous différencie d'autres pays d'Europe qui voient le nombre de naissances diminuer et anticipent une poursuite de ce mouvement du fait de la diminution des personnes en âge d'avoir des enfants. Ils recourent donc à des politiques volontaristes pour maintenir la fécondité à son niveau et même l'augmenter.

Le niveau actuel de la fécondité française est probablement dû aux mesures de politique familiale, ce qui peut justifier la continuité des efforts. On peut craindre, si ceux-ci diminuent, de se retrouver dans la situation de nos voisins. Cependant, comme on le voit depuis au moins une dizaine d'années, la politique familiale s'est fixée d'autres objectifs que l'augmentation du nombre de naissances : la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes, la mise au travail des femmes, la lutte contre la pauvreté des enfants ou des ménages qui ont des enfants. Toutes ces mesures peuvent avoir des impacts indirects sur le niveau de la fécondité, comme la Suède nous en fournit un exemple.

La politique familiale suédoise s'est construite dans les années 1960 avec un double objectif : d'une part, la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes en faisant disparaître le quotient conjugal et en instituant l'imposition individuelle et, d'autre part, la facilitation de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Bien que l'enjeu fût de mettre les femmes au travail et non de permettre aux femmes qui travaillaient d'avoir des enfants, la Suède se trouve aujourd'hui dans le groupe des pays où la fécondité est la plus élevée parce que, en permettant aux mères de travailler, on permet aussi aux couples qui se forment d'envisager d'avoir des enfants.

Mme France Prioux a indiqué que, en France, le désir d'enfant reste fort. Ce désir, qui s'exprime dans les enquêtes, est largement contraint. En effet, tout en ayant envie d'avoir des enfants, on peut aussi avoir d'autres objectifs dans la vie. Les choix s'opèrent donc selon que ses aspirations apparaissent comme conciliables ou inconciliables avec le fait d'avoir des enfants. Dans les pays d'Europe du Sud, il y a à la fois moins de femmes qui travaillent et moins d'enfants. Mme Françoise Prioux a également cité l'exemple du Royaume-Uni : quand les femmes sont obligées de choisir entre maternité et carrière, cela fait à la fois moins de femmes qui travaillent et moins de naissances – c'est un peu une réponse de normand que je vous fais.

En résumé, si l'on essaie de mesurer précisément l'impact de chacune des mesures, on obtient des résultats assez décevants. Par ailleurs, on observe un effet de contexte qui doit être très important mais qui, par construction, est très difficile à mesurer. L'affichage des politiques familiales, leur visibilité, a, à mon avis, un impact très important : il nourrit l'idée, d'une part, que l'État est légitime en aidant les familles et, d'autre part, qu'il le fait de façon crédible sur le long terme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion