Lutter contre les violences faites aux femmes, c'est refuser l'inacceptable. Que ce soit au sein du foyer, au travail ou en société, la défense de l'intégrité des personnes est un devoir. De même qu'on ne saurait tolérer, au sein des lieux publics, des zones de non-droit, on ne peut tolérer que le domicile familial échappe aux limites posées par la loi. Le droit à l'intimité de la vie privée s'arrête là où commence la violence. Parce que les violences conjugales prennent place là où justement la famille devrait apporter sécurité et protection, elles n'en sont que plus destructrices.
Ce refus de toute complaisance à l'égard des atteintes portées aux femmes, sous toutes leurs formes, s'est traduit dans l'expression politique la plus noble : la loi. Il aura fallu une évolution des mentalités et quelques combats pour y parvenir.
Nous connaissons tous l'engagement, ces dernières décennies, des associations et des professionnels de santé ou du droit en faveur des droits des femmes. Le premier de ces droits, c'est évidemment la protection de l'intégrité physique ; mais lorsque l'agresseur est celui avec lequel on vit, la problématique est beaucoup plus complexe. Il a fallu briser la loi du silence pour pouvoir agir. La dépendance matérielle, mais aussi psychologique, qui peut exister dans un couple est indiscutablement un frein.
Depuis 2004, la spécificité de la situation des femmes victimes de violences conjugales a été reconnue. Le dernier texte adopté était d'origine parlementaire ; c'est la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, dont le rapporteur a été à l'Assemblée nationale Guy Geoffroy, que je tiens à saluer aujourd'hui pour son ardent engagement. Ce texte, qui constitue une réelle avancée, a intégré le fait que les femmes peuvent aussi être victimes de leurs anciens conjoints ou concubins.
En trois ans, les services de police et de gendarmerie ont enregistré une hausse de 31 % des faits de violences conjugales. Plus de 58 000 affaires nouvelles ont été traitées par les parquets en 2007, soit 37 % de plus qu'en 2004. Ces chiffres ne signifient pas que les violences conjugales progressent, mais bien que la lutte contre ces violences progresse.
La part des violences conjugales dans l'ensemble des violences traitées est également en hausse : elle est passée de 6,3 % en 2004 à 8,3 % en 2007. Les condamnations pour ce motif ont augmenté de 19,5 % sur l'année 2007. 8 % de ces condamnations ont été prononcées contre un prévenu en état de récidive, contre 3 % en 2004, et alors que le taux de récidive pour les autres violences est de 5,5 % : c'est la preuve que ces faits sont davantage poursuivis, et par ailleurs que nous disposons avec les peines planchers d'un outil plus adapté.
La loi du 10 août 2007 instituant des peines planchers permet une répression beaucoup plus homogène de la récidive, compréhensible par tous et donc dissuasive. Les auteurs de violences commises en récidive sont plus sévèrement réprimés que les autres récidivistes, et la loi limite davantage pour eux les possibilités de dérogation à la peine plancher encourue. L'application du texte par les tribunaux répond à l'objectif poursuivi. Dans 65 % des cas, les conjoints violents qui récidivent sont condamnés à une peine égale ou supérieure à la peine plancher encourue, et dans 30 % des cas il s'agit d'un emprisonnement ferme.
Je sais combien votre assemblée est attentive à la mise en oeuvre d'une politique pénale adaptée aux violences conjugales et harmonisée sur l'ensemble du territoire. Cette attente m'était déjà apparue très clairement lorsque la commission des lois m'avait entendue, le 11 décembre 2007, sur le bilan de la loi du 4 avril 2006. J'ai donc veillé à ce que les parquets disposent d'orientations précises, afin d'éviter des distorsions injustifiées dans le traitement de ce contentieux. J'ai demandé à mes services de réactualiser le guide d'action publique relatif aux violences au sein du couple, édité en 2004 ; le nouveau guide a été diffusé en novembre 2008. Les directives données aux parquets en matière de violences conjugales sont claires, et je les réaffirme lors de mes déplacements et à chaque réunion des procureurs. J'ai demandé aux parquets qu'une réponse pénale systématique et rapide soit apportée à chaque acte de violence. C'est ainsi qu'en Ile-de-France, le taux de réponse pénale en la matière s'est élevé à 84 % en 2008, alors qu'il était de 69 % cinq ans plus tôt.
Malgré l'augmentation du nombre d'affaires traitées, les parquets ont réussi à faire face et à accroître le nombre des poursuites. A titre d'illustration, sur les sept juridictions franciliennes, le taux de poursuites est désormais de 42,5 % en matière de violences conjugales. Il dépasse le taux de poursuite moyen qui, toutes infractions confondues, est de 39 %.
Les délais entre les faits et le jugement sont très brefs. Les modes de poursuite rapides sont privilégiés, et l'auteur des faits est amené à comparaître dans un délai de quarante-huit heures à deux mois au plus. Comme vous avez pu vous-mêmes le constater à Marseille et Evry, la convocation par le procureur est privilégiée ; elle permet un placement sous contrôle judiciaire, pendant ce délai de deux mois, avec des obligations notamment destinées à protéger la victime, à éloigner le partenaire violent et à le contraindre à se soigner.
S'agissant des jugements eux-mêmes, le taux d'application des peines planchers est très supérieur à la moyenne et les condamnations sont particulièrement fermes pour les conjoints violents qui récidivent. Mais il demeure indispensable de préserver la faculté de graduer la réponse pénale ; c'est ce que permet tout l'éventail des mesures alternatives aux poursuites. A ce sujet, je souligne que ce ne sont pas seulement les violences les plus graves qui sont poursuivies, contrairement à ce que l'on entend parfois : 90 % des condamnations sont prononcées pour des violences qui ont occasionné des blessures de faible ou de moyenne gravité, justifiant une incapacité de travail de huit jours au plus.
De nombreux critères sont pris en considération pour décider d'une alternative aux poursuites, et il existe autant de configurations différentes que de situations ou circonstances. Pour faire en sorte que les procédures soient à la fois adaptées à chaque cas d'espèce et homogènes entre les juridictions, le guide de l'action publique contient des indications précises. Les mesures alternatives aux poursuites sont très diverses : simple rappel à la loi, pour les premiers faits de faible gravité – mais il faut être conscient que s'il y a un dépôt de plainte pour une gifle, c'est qu'il y a eu plusieurs gifles avant –, prise en charge psychologique ; orientation des conjoints violents vers des structures qui proposent des actions de sensibilisation ou des groupes de parole animés par des travailleurs sociaux, des psychologues ou des psychiatres ; cures de désintoxication ou de sevrage, qu'il s'agisse d'alcoolisme ou de toxicomanie ; enfin, médiation pénale. Toutes ces mesures sont généralement mises en oeuvre par des associations spécialisées ou des délégués du procureur formés spécifiquement à ce type de contentieux.
En matière de violences conjugales, il est demandé, pour recourir à ces mesures alternatives, de tenir compte notamment de la nature et de l'importance des blessures infligées, des antécédents de l'auteur des violences, de sa capacité à progresser dans sa maîtrise de lui-même, de l'existence ou non d'une plainte, de la situation du couple et notamment de la volonté ou non de la victime de poursuivre la vie commune. Evidemment, toutes ces considérations ne sont pas de même niveau. L'absence de plainte et le refus de la séparation ne seront en rien déterminants si les faits sont graves.
S'agissant plus particulièrement de la médiation pénale, je précise que l'objectif n'est en aucune façon de réconcilier le couple. Cette mesure n'a rien de commun avec la médiation familiale. Elle ne doit pas être catégoriquement exclue en matière de violences conjugales car elle peut être appropriée dans certaines situations ; cependant il faut l'utiliser de la manière la plus restreinte qui soit.
J'en arrive à la préoccupation essentielle que constituent pour nous la protection et l'aide apportées aux victimes. Chaque TGI compte depuis le 2 janvier 2008 un juge délégué aux victimes (JUDEVI), afin d'aider les victimes dans leurs démarches. De même, les bureaux d'aide aux victimes ont été généralisés. Et grâce à l'initiative parlementaire, le SARVI – service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions – a été créé par la loi du 1er juillet 2008 ; il est opérationnel depuis le 1er octobre 2008. La Chancellerie participe également, pour plusieurs centaines de milliers d'euros chaque année, au financement de nombreuses actions conduites par les fédérations d'associations d'aide aux femmes victimes de violences.
La grande avancée dans la protection des femmes victimes de violences conjugales est évidemment l'éviction du domicile conjugal de l'auteur des violences. Il a fallu pour y parvenir beaucoup de persévérance, eu égard notamment aux problèmes de constitutionnalité qu'on nous avait d'abord opposés ! Cette éviction peut intervenir, dans le champ pénal, à tous les stades de la procédure : comme alternative aux poursuites, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, comme obligation d'un sursis avec mise à l'épreuve après condamnation ou d'une mesure d'aménagement de peine. Instituée par la loi sur la récidive du 12 décembre 2005, l'éviction du conjoint en matière pénale a été prononcée dans 10 % des affaires en 2006, 13 % en 2008 et plus de 18 % depuis le début de l'année 2009.
En matière civile, l'éviction du conjoint violent est possible avant le prononcé du divorce depuis la loi du 26 mai 2004. Lorsque cette mesure est demandée au juge, elle est de plus en plus souvent accordée – dans plus de 80 % des cas actuellement.
Ces lois ont apporté des réponses spécifiques à un type particulier de violence, et cela grâce notamment à l'action de nombreuses femmes. J'entends poursuivre dans la même voie, et c'est pourquoi le ministère de la justice travaille aujourd'hui sur un projet visant à renforcer leur protection. Son premier volet portera sur les violences liées à un mariage forcé. Le deuxième portera sur les violences psychologiques, forme de violence qu'il n'y a pas lieu de circonscrire au milieu professionnel, car trop de femmes sont terrorisées par leur conjoint. La peine encourue sera modulée suivant les conséquences de ces violences pour la victime – dépression, peur de sortir, hyperémotivité… Le troisième volet, enfin, visera à alourdir les peines contre les violeurs et les auteurs d'agressions sexuelles qui utilisent des produits pour soumettre leurs victimes sans résistance, c'est-à-dire qui pratiquent ce que l'on appelle la « soumission chimique ».
Tout cela donne la mesure des progrès accomplis dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Pour autant, il ne faut surtout pas baisser la garde. La mobilisation des magistrats est sans faille, celle de leurs partenaires, en particulier les associations, également. C'est réellement une lutte de tous les instants qu'il convient de poursuivre contre un phénomène qui, je tiens à le souligner, concerne tous les milieux – même si le fait que les travailleurs sociaux en approchent davantage certains contribue à déformer notre vision.