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Intervention de Philippe Séguin

Réunion du 15 juillet 2009 à 10h45
Commission des affaires sociales

Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes :

Je vous remercie de m'avoir invité, avec Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre, et M. Jean-Philippe Vachia, conseiller maître et rapporteur général sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale, à vous présenter les opinions émises par la Cour dans son rapport sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale. Conformément à la loi organique de 2005, le rapport a été publié le 30 juin dernier, suivant ainsi de quelques semaines la publication de l'acte de certification des comptes de l'État.

Avant de vous présenter nos positions sur les comptes 2008, je crois utile de vous dire quelques mots sur le sens de l'exercice de certification. Je vous parlerai enfin des questions de trésorerie et de financement de la sécurité sociale.

La certification consiste à donner l'assurance raisonnable que les états financiers, en l'occurrence ceux du régime général, ne comportent pas d'anomalies significatives. Pour ce faire, la Cour a apprécié les risques et l'évaluation des dispositifs de contrôle mis en place pour s'assurer que l'information financière est régulière, que les comptes sont sincères et qu'ils donnent une image fidèle du patrimoine et de la situation financière des différentes branches du régime général.

En d'autres termes, la certification des comptes apporte une garantie sur la fiabilité de la situation financière et patrimoniale du régime général et une information sincère sur le montant du déficit, mais elle ne dit pas ce qu'il y a derrière les chiffres. Il ne faut donc pas en attendre plus qu'elle ne peut apporter – mais je suis convaincu de l'utilité de l'exercice.

Parce qu'elle nous conduit à analyser systématiquement les procédures de contrôle du régime général et à en évaluer l'efficacité, la certification a aussi pour intérêt d'amener les caisses de sécurité sociale à prendre conscience des risques que génère leur activité – risques d'erreurs de liquidation ou risques de fraudes aux prestations et aux cotisations par exemple. La dynamique créée par la certification a contribué à accélérer la mise en place de dispositifs de contrôle interne efficaces. Ainsi, c'est dans le cadre des contrôles liés à la certification que la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) a repéré, il y a quelques mois, une erreur systématique liée aux informations envoyées par l'Unédic sur les périodes de chômage assimilées à des trimestres de cotisations retraite et qui concerne des millions de retraités. La certification peut donc être un moteur puissant de développement du contrôle interne et, par là même, d'une meilleure maîtrise des finances sociales et de la qualité du service rendu aux assurés.

C'est la troisième fois que nous procédons à la certification des comptes du régime général, et cette année achève donc pour nous un premier cycle triennal. Comme nous l'avons dit à l'occasion de notre rapport sur les comptes de 2006, nous avons, en effet, décidé d'adopter une approche pluriannuelle qui nous a conduit à déployer sur trois ans la révision des principaux processus et opérations conduisant à la production des comptes, ainsi que la réalisation d'un audit complet des systèmes d'information. L'achèvement de ce cycle nous permet d'avoir une vision globale des principaux dispositifs participant à l'établissement des comptes. Cela ne signifie pas, tant s'en faut, qu'il n'y ait plus rien à faire. D'une part, il nous faudra examiner les suites données à nos opinions quand elles ne sont pas sans réserves, ce qui est le cas. D'autre part, la sécurité sociale est un domaine mouvant et, étant donné les risques qu'elles comportent, les mesures nouvelles et les évolutions des systèmes d'information requièrent une attention soutenue.

Les comptes des autres régimes de sécurité sociale ont été soumis pour la première fois cette année à une certification par des commissaires aux comptes. Étant donné les relations financières complexes entre le régime général et les autres régimes, la Cour a défini avec leurs commissaires aux comptes un cadre contractuel d'échanges d'informations. La Cour a aussi pris en compte les opinions de ces commissaires aux comptes – et notamment le refus de certification des comptes de la Mutualité sociale agricole (MSA) –, dans l'élaboration de ses propres positions.

C'est ainsi que la Cour a arrêté ses positions pour 2008. Avant de les détailler, je voudrais apporter un éclaircissement sur nos critères d'appréciation.

La décision prise par la Cour – certifier avec des réserves ou sans réserves, ou ne pas certifier, soit par refus soit par impossibilité – est fondée sur un faisceau de critères qui vont bien au-delà du simple constat d'un pourcentage d'anomalies comparé à un plafond à ne pas dépasser, fixé a priori. Par ailleurs, il appartient au seul certificateur de fixer ce seuil car il doit se réserver la marge d'appréciation que requiert l'exercice de son jugement professionnel, élaboré, je l'ai dit, à partir d'un ensemble d'éléments dont certains sont quantifiés et d'autres ne le sont pas, soit parce qu'ils ne peuvent pas l'être, soit faute d'éléments suffisants.

Nos positions sont donc fondées, quand elles sont négatives, sur la conjonction de nombreux problèmes comptables et de contrôle interne.

J'en viens aux neuf opinions de la Cour relatives aux cinq branches – maladie, accidents du travail, famille, retraite, recouvrement – et aux quatre caisses nationales – Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).

Cette année, la Cour a refusé de certifier les comptes de la branche famille – et, logiquement, ceux de la CNAF –, ainsi que les comptes de la branche vieillesse et ceux de la CNAVTS. Elle certifie avec réserves les autres comptes. Ces positions appellent de ma part quelques précisions.

Concernant la branche famille et la CNAF, la Cour n'avait pas été en mesure d'émettre une opinion sur les comptes 2006 et 2007 en raison de trop grandes incertitudes sur le contrôle interne. Cette année, en collaboration avec l'agence comptable de la caisse nationale, nous avons pu évaluer beaucoup plus précisément les défaillances du contrôle interne et cette analyse nous conduit à refuser de certifier les comptes. En effet, le dispositif de contrôle interne souffre, en lui-même, de graves insuffisances qui ne lui permettent pas de maîtriser les risques de fraudes ou d'erreurs de calcul. Ainsi, a-t-on pu constater que plus de 4 % des dossiers d'allocations familiales présentaient une anomalie financière, pour un montant en valeur absolue significatif. Par ailleurs, nous avons observé d'importantes sous-estimations des provisions et des charges à payer enregistrées au moment de l'inventaire ; à la suite de nos observations, des corrections ont été apportées mais elles restent insuffisantes. Enfin, comme l'an dernier, le suivi comptable des flux liés à l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) n'est toujours pas fiable.

Tout, cependant, n'est pas négatif concernant la branche famille. Un fichier national des allocataires – le « répertoire national des bénéficiaires » – que nous appelions de nos voeux depuis plusieurs années est en cours de déploiement. Les caisses d'allocations familiales (CAF) ont par ailleurs une connaissance un peu plus sûre des ressources des allocataires, données qu'elles obtiennent désormais directement auprès de l'administration fiscale. Mais, cette réforme ne produira ses effets que sur les comptes de 2009. Enfin, la CNAF a prévu de revoir complètement son dispositif d'analyse des risques de contrôle interne en 2009. Ces progrès sont d'autant plus indispensables qu'avec l'entrée en vigueur du Revenu de solidarité active (RSA), la branche est confrontée à un défi de grande ampleur. Il existe donc un espoir de progrès mais, pour les comptes de 2008, la Cour ne pouvait pas ne pas prendre la position que j'ai dite.

Nous avons aussi refusé de certifier cette année les comptes de la branche retraite et de la CNAVTS. L'an dernier, la Cour avait certifié ces comptes avec réserves. Notre réserve principale portait sur le caractère potentiellement significatif des erreurs affectant le calcul des pensions de retraite. Les travaux d'audit que nous avons menés depuis lors, avec le concours de la CNAVTS, nous ont permis de constater que ces erreurs étaient effectivement significatives, et nous en avons relevé un très grand nombre dans les pensions de retraite, pour un montant cumulé trop élevé. D'une part, il existe des erreurs dans la liquidation des pensions par la branche : plus de 5,4 % des pensions de retraite calculées en 2008 présentaient une anomalie financière, ce qui représente des montants importants en valeur absolue. Ces erreurs sont liées à des lacunes du contrôle interne, qui doit être resserré.

D'autre part, à ces erreurs internes s'ajoutent des défaillances dans le flux d'informations provenant des employeurs et des organismes sociaux. Ce problème est à l'origine d'un taux d'erreurs important au détriment de la branche. En 2007, la Cour avait recommandé à la CNAVTS de formaliser dans une convention avec l'Unédic les modalités de calcul des données adressées par cet organisme, qui n'étaient fixées par aucun document. La caisse nationale a ainsi découvert, en novembre 2007, que le nombre de « périodes assimilées » notifié au titre du versement d'indemnités de chômage était majoré à tort, depuis 1992 au moins. Cette erreur systématique ne résulte pas d'un « bug » informatique, comme on l'a lu dans la presse, mais d'un manque d'attention porté à la nature et à la qualité des données adressées par les organismes sociaux. En 2008, ces anomalies se sont cumulées avec celles que l'on connaissait déjà et dont je viens de parler.

Nous avons également constaté qu'il n'est pas fait de rapprochement entre le montant des salaires déclarés par les employeurs – qui sert notamment à alimenter en trimestres les comptes individuels des assurés – et le montant des salaires sur la base desquels ils versent leurs cotisations. Il en résulte que des cotisations payées peuvent ne pas ouvrir de droits à la retraite et que des droits peuvent être ouverts sans que les cotisations correspondantes aient été payées. Là encore, on peut espérer des progrès en 2009 puisque, grâce aux efforts conduits en matière de contrôle interne, la CNAVTS connaît mieux les risques encourus. Plusieurs mesures, dont nous attendons beaucoup, prendront effet cette année ; elles devraient lui permettre d'agir sur les causes de ces erreurs dans le montant des pensions.

J'en viens à l'ACOSS et au recouvrement. L'an dernier, nous avions refusé de certifier ses comptes en raison d'un désaccord sur un montant de 980 millions d'euros qui minorait d'autant le déficit affiché par le régime général. Le désaccord a été levé cette année. Tous les problèmes relevés par la Cour pour les comptes de 2007 ont fait l'objet d'un plan d'action de la part de l'agence. Des progrès sont néanmoins encore possibles et nous formulons plusieurs réserves qui concernent, comme pour la branche famille, les écritures d'inventaire et l'insuffisance des provisions pour contentieux notamment.

Par ailleurs, la mise en place de l'interlocuteur social unique a constitué un défi majeur pour le recouvrement en 2008. Comme vous le savez, depuis le 1erjanvier 2008, les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) recouvrent toutes les cotisations des artisans et commerçants pour le compte du Régime social des indépendants (RSI). La montée en puissance de ce dispositif a entraîné des difficultés de gestion importantes. Les conséquences financières de certains dysfonctionnements ont pu être chiffrées et intégrées dans les comptes. La Cour a été amenée à formuler une réserve générale pour les autres, telles les pertes de recettes liées à l'absence de recouvrement forcé des cotisations ou aux difficultés de rapprochement des fichiers de cotisants.

Enfin, comme nous l'avions fait l'an dernier, nous certifions la CNAMTS, la branche maladie et la branche accidents du travail et maladies professionnelles avec réserves. Des progrès notables ont été réalisés depuis 2006 dans la performance du dispositif de contrôle interne des branches et de la caisse nationale, mais nous avons relevé des lacunes, qui concernent par exemple les provisions relatives aux paiements aux hôpitaux, les flux d'informations avec les mutuelles ou les règlements aux établissements sociaux et médico-sociaux.

Les opinions que nous émettons cette année pourront vous paraître traduire une exigence de plus en plus forte de la Cour. Cette exigence, justifiée par une connaissance plus complète des branches, est fondée sur notre capacité à chiffrer les conséquences des insuffisances des contrôles – en d'autres termes, nos incertitudes se sont muées en certitudes quantifiables. En outre, les engagements de progrès pris par les branches sont inégalement mis en oeuvre, en raison de la lourdeur et de la complexité de leurs systèmes d'information.

Pour autant, nous avons constaté cette année de nombreux progrès, qui nous confortent dans la conviction que la certification a permis d'engager une démarche salutaire d'amélioration du contrôle interne comptable et financier et de rationalisation des processus. Nous souhaitons vivement que cette dynamique se poursuive et s'accélère.

Pour conclure, j'évoquerai le déficit et le besoin de financement qu'il engendre.

Notre rapport de certification confirme la fiabilité des chiffres pour 2008. Or, ces chiffres sont très préoccupants. A cet égard, les modalités retenues dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 pour la reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) de 26,8 milliards de déficits cumulés – à savoir l'affectation d'une fraction de CSG retirée au Fonds de solidarité vieillesse (FSV) – n'étaient pas une bonne solution, puisqu'il était évident que le FSV allait lui-même se trouver en déficit dès 2009. Je rappelle que, depuis sa création en 1996, la CADES a repris 134,5 milliards de dettes, dont 37,5 milliards avaient été amortis à la fin 2008.

La question des déficits et de leur financement est abordée dans notre rapport du 22 juin dernier sur la situation et les perspectives des finances publiques, que j'ai eu l'occasion de commenter devant vous il y a peu. Nous y reviendrons dans notre rapport de septembre sur la sécurité sociale mais aussi dans la communication que nous allons vous envoyer pour répondre à la demande d'enquête sur la gestion de la trésorerie de la sécurité sociale que vous m'avez adressée, Monsieur le Président, conjointement avec M. Didier Migaud.

Ces dernières années, la Cour a constamment recommandé de réduire le déficit structurel, qui se maintenait aux alentours de 10 milliards d'euros alors que les recettes étaient plus dynamiques. Le choix affiché d'un retour, que je qualifierai de très progressif à l'équilibre des comptes du régime général, conduit à générer une dette de plus en plus lourde qu'il faut bien financer par un supplément de recettes affectées à la CADES. Certes, on limite ainsi à court terme l'augmentation des prélèvements obligatoires mais, ce faisant, on ne la rend que plus inévitable et importante à plus ou moins long terme. C'est un peu comme une boule de neige que l'on fait grossir en la poussant devant soi.

Le régime général aborde ainsi la crise avec un handicap certain. Le montant du déficit prévisionnel pour 2009 présenté à la commission des comptes de la sécurité sociale est de 20,1 milliards d'euros, hors FSV. En phase avec l'estimation de la Cour, il représente un doublement du déficit structurel de 10 milliards qui ressort en 2008, et un peu moins de 7 % des recettes. Son financement va poser un problème dès 2009, puisque le plafond d'avances de trésorerie fixé à 18,9 milliards pour l'ACOSS au-delà du premier trimestre sera dépassé dès cet automne. Le ministre du budget a annoncé que le Gouvernement relèverait le plafond pour 2009 par décret. En 2010, si aucune autre mesure n'est prise, ce plafond risque d'être très élevé.

Cette situation comporte deux risques, dont le premier est celui de la remontée des taux. L'ACOSS bénéficie actuellement de taux courts très bas, mais cette situation pourrait durer moins longtemps que le portage de déficits croissants. Ensuite, le risque de financement proprement dit n'est pas négligeable, la Caisse des dépôts et consignations ayant annoncé qu'elle limiterait ses concours en deçà du plafond, ce qui contraindra l'ACOSS à émettre des billets de trésorerie, dont le marché est relativement restreint.

Nous reviendrons sur les problèmes de financement dans le rapport sur la sécurité sociale de septembre mais je tenais à rappeler la gravité de la situation.

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