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Intervention de Pierre Graff

Réunion du 15 juillet 2009 à 17h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Pierre Graff :

Ma présidence s'est en fait exercée pendant six ans puisque j'ai assuré la fin du mandat de mon prédécesseur.

Comme vous m'y avez invité, je vous présenterai d'abord le bilan d'Aéroports de Paris.

En 2003, il s'agissait d'une entreprise régie par un statut d'établissement public, mais dont la situation était préoccupante puisqu'elle était endettée à hauteur de 150 % alors que la norme dans cette activité se situe plutôt entre 50 et 70 %. Elle ne payait donc pas de dividendes à son actionnaire, l'État, et se contentait de rechercher un équilibre comptable. Par ailleurs, elle manquait cruellement non pas de pistes mais d'aérogares. En fait, il s'agissait alors surtout d'une entreprise de construction et son personnel avait davantage le sentiment d'appartenir au BTP qu'à une entreprise de services. Du coup, son activité commerciale était très faible au regard de celle des autres grandes plates-formes comparables : Francfort, Londres, Madrid et Amsterdam. Relevant de la comptabilité publique, sa gestion ne correspondait pas aux réalités du marché et les tarifs étaient fixés par le ministre en charge des transports, en fonction de considérations relatives à l'équilibre global du secteur. L'urgence était bien évidemment de rétablir la solidité financière, donc de désendetter l'entreprise, car on sait qu'une entreprise publique endettée ne maîtrise ni ses tarifs, ni ses investissements, ni sa masse salariale.

J'ai eu l'honneur de me voir confier cette tâche par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Dans ma lettre de mission, on me demandait de transformer l'établissement public en une société anonyme de droit commun en vue de la recapitaliser sur le marché, de lui permettre de faire face aux besoins et de faire tout cela dans la paix sociale.

Dans la préparation, en étroite concertation avec les services de l'État, de la loi adoptée le 20 avril 2005, nous avons été obligés de court-circuiter les syndicats avec lesquels il était impossible d'envisager un accord quant à la modification du statut du personnel. Nous avons tenu de très nombreuses réunions pour expliquer aux salariés pourquoi il fallait changer de statut et pourquoi on avait besoin de capitaux propres. Au final, beaucoup de syndicats, y compris la CGT, se sont ralliés à notre position tandis que ceux qui s'y opposaient ne parvenaient pas à mobiliser le personnel.

En transformant l'établissement public en société anonyme de droit commun, à laquelle tous les actifs ont été transférés, la loi n'a pas modifié le régime juridique des personnels. Société privée, ADP n'en continue pas moins à exercer toute une série de missions de service public définies dans un cahier des charges. La loi pose également le principe d'une régulation économique non plus fondée sur l'équilibre comptable mais sur la rémunération des capitaux. Les décrets d'application ont suivi très vite, dès le mois de juillet 2005.

Nous avons ensuite dû discuter avec l'État un premier contrat de régulation économique car il n'était pas question d'aller sur le marché sans indiquer quelles seraient les règles du jeu et comment pourrait évoluer la rémunération. Passé en février 2006, ce contrat fixe un montant très ambitieux d'investissements de 2,7 milliards d'euros pour les cinq années suivantes ; il arrête les critères de qualité du service devant être respectés sous peine d'un malus ; il envisage l'évolution des tarifs appliqués aux compagnies aériennes, à partir du principe que les prix sont libres sauf pour les redevances dues par les compagnies pour service rendu, qui sont arrêtées par l'État à l'inflation + 3,25 %. En fait, afin d'attirer les investisseurs, l'État a souhaité que la rémunération rejoigne progressivement le coût moyen pondéré du capital.

L'entrée en bourse a été réalisée le 16 juin 2006, l'État a vendu une partie de ses actions à hauteur de 670 millions d'euros tandis que nous procédions à une augmentation de capital de 600 millions, permettant de garantir la solidité financière de l'entreprise et de la désendetter de façon remarquable.

À la fin de l'opération, l'État demeurait propriétaire de 68,4 % du capital et 2,4 % étaient réservés au personnel – aujourd'hui encore, 80 % du personnel est actionnaire ce qui a considérablement modifié les rapports sociaux –, le reste étant introduit en bourse. À un prix de 44 euros pour les particuliers et de 45 euros pour les institutionnels, l'introduction en bourse a été tout de suite un succès. L'action a atteint 90 euros en un an avant de se stabiliser à un cours de 65 à 70 euros que j'estime proche de sa vraie valeur. Même avec le contrecoup de la crise, la valeur reste aujourd'hui supérieure de 15 % au prix de l'introduction tandis qu'au cours de la même période le CAC 40 a baissé de 32 %.

Cette réforme a été menée dans les temps, sans une seule grève. Tout ceci s'est fait au prix d'un travail très important : il n'est ainsi pas facile de passer en six mois d'une comptabilité publique à une comptabilité aux normes IFRS (International Financial Reporting Standards). Il a aussi fallu adopter des processus rigoureux là où les investissements étaient jusqu'à présent décidés par des architectes. Nous avons également dû nous attaquer à la question de l'escale, secteur déficitaire et qui est maintenant au sein d'une filière qui ne perd plus que quelques millions d'euros par an et non plus quelques dizaines de millions.

Alors qu'on avait largement délaissé les activités commerciales, nous nous sommes attachés à répondre à la demande des clients en partant de l'idée que nous étions très bien placés pour vendre des produits parisiens particulièrement renommés. Le commerce rapporte beaucoup et son développement a conduit à de nombreuses embauches.

Nous avons par ailleurs créé des services fonciers pour valoriser les terrains dont l'État avait accepté de nous transférer la propriété.

La qualité du service rendu reste à mes yeux un point négatif, en dépit des nombreuses opérations conduites. Le nombre de clients satisfaits est passé de 78 à 85 % – 80 % au départ, 90 % à l'arrivée –, mais je suis persuadé qu'une entreprise de services doit être plus proche de 92 % et nous avons donc encore des efforts à faire.

Nous avons par ailleurs, ce qui n'était pas prévu, considérablement développé l'activité internationale, le chiffre d'affaires de l'ingénierie étant ainsi triplé.

Enfin, nous avons noué avec l'aéroport Schiphol d'Amsterdam une alliance stratégique pour douze ans, qui a pris la forme d'un échange de capital à hauteur de 8 %. Il s'agissait pour nous de développer des synergies, de réaliser des économies d'échelle et de bâtir un véritable réseau.

Nous avons respecté l'ensemble des indicateurs chiffrés que nous avions donnés aux marchés et qui fondent l'appréciation des analystes financiers. Nous avons ainsi réalisé les 2,7 milliards d'investissements annoncés. Alors que nous avions dit que nous augmenterions de 34 % les surfaces de commerce et de 40 % en zone réservée, l'augmentation sera en fait de 34 % en moyenne et de 70 % en zone réservée, le chiffre d'affaires ayant progressé de 28 % en trois ans. Pour l'immobilier, nous commercialiserons 59 hectares, comme nous l'avions annoncé, même si, en raison de la crise la commercialisation de surfaces hors sol nettes sera de 285 000 et non de 315 000 m².

Nous espérions faire progresser de 50 % notre EBITDA (Earning before interest, taxes, depreciation and amortization) ; compte tenu de la crise, nous étions fin 2008 à 41,6 %. Mais nous sommes quand même passés en trois ans de 800 à 848 millions.

Notre taux d'endettement était tombé de 150 à 60 %, mais il est remonté à 70 % lorsque nous avons pris 8 % du capital de Schiphol. Nous n'avons pas de problème de trésorerie ; la notation AA- (AA moins) nous permet d'emprunter sans difficulté.

La structure du capital a été un peu modifiée : l'État ayant vendu 8 % à l'aéroport d'Amsterdam avant d'apporter très récemment 8 % au Fonds stratégique d'investissement (FSI), sa part est passée à 52,4 %.

Quant à l'avenir, je crois qu'il faut avoir une grande ambition pour cet aéroport et qu'il n'est pas hors de portée d'en faire un champion européen, voire mondial. La France a une tradition aéronautique remarquable. Elle dispose du premier constructeur aéronautique avec Airbus, du premier constructeur d'avions d'affaires avec Dassault. En dépit des problèmes actuels, Air France-KLM est une des toutes premières compagnies mondiales. Pourquoi ne disposerions-nous pas d'un des premiers aéroports au monde ? Charles-de-Gaulle est aujourd'hui le cinquième derrière Atlanta, Chicago, Tokyo et Heathrow. Nous disposons en outre avec Orly d'un actif de qualité qui peut rendre de grands services. Notre infrastructure en pistes est remarquable et nous sommes les seuls à ne pas rencontrer de problème en la matière. Pour les aérogares, nous avons beaucoup construit ces dernières années. À condition qu'il soit modernisé et que la qualité de service soit au rendez-vous, l'outil peut être de premier plan. Nous accueillons les meilleures compagnies du monde et au total 462 compagnies fréquentent nos aéroports. Nous sommes la première nation touristique au monde et le premier pays d'attraction des foires, salons et congrès. Pourquoi ne pas avoir l'ambition de faire de notre aéroport un champion ?

Mais, si nous disposons d'atouts indéniables, rien n'est gagné car tout le monde se bat pour être la grande porte d'entrée en Europe. Francfort va investir pour cela 4 milliards d'euros dans les trois ans qui viennent ; c'est un concurrent d'autant plus sérieux qu'il est totalement désendetté et que Lufthansa paraît plus solide qu'Air France. Les Britanniques viennent d'investir 4 milliards d'euros dans le controversé mais remarquable terminal de l'aéroport d'Heathrow, le « T5 ». A coup de subventions européennes, les Espagnols financent des aéroports neufs à Barcelone et à Madrid. En dépit de mauvais résultats, les Hollandais ont beaucoup investi – c'est d'ailleurs aussi pour avoir un rival de moins et pour que les forces se conjuguent que nous nous sommes « mariés » avec Amsterdam.

Outre cette ambition, nous entendons rester totalement autonomes et donc ne jamais demander un centime au contribuable ; nous montrer respectueux de notre environnement, les contraintes actuelles de protection devant être maintenues voire renforcées ; conserver un certain nombre de valeurs que nous avons héritées de l'établissement public ; accroître notre rayonnement international grâce à nos filiales qui nous permettent de gagner des marchés à l'étranger, non seulement en ingénierie mais aussi en gestion d'aéroports. Nous pouvons en effet faire rayonner notre savoir-faire. Nous sommes très bien implantés dans un certain nombre de pays, notamment au Moyen-Orient. Si nous faisons tout cela, c'est évidemment pour créer des emplois, de l'activité et de la richesse, en ayant présent à l'esprit que la France est trop petite pour avoir plusieurs aéroports comme celui-là.

Pour atteindre ces objectifs, il faut d'abord continuer à investir, certes moins qu'auparavant. Nous disposons de tout ce qui est nécessaire en termes de pistes et les capacités de nos terminaux nous permettent de tenir jusqu'en 2020 voire 2025. Mais il faut moderniser nos plus vieilles installations : Orly-Sud, CDG1, CDG2A, B, C, D. Il faut aussi poursuivre l'effort en faveur des commerces car le chiffre d'affaires par passager est directement lié à leur densité. Grâce aux surfaces créées, leur chiffre d'affaires a augmenté de 18 % en deux ans, c'est ce qui nous a permis de faire face à la crise. On peut encore aller plus loin puisque Paris compte moins de 600 mètres carrés de commerces par passager contre près de 800 à Londres. Nous devons créer une véritable division immobilière : sur les 6 686 hectares disponibles, 1 200 peuvent être consacrés aux commerces : 800 m² mal utilisés qui peuvent être optimisés et 400 m² totalement vierges.

Nous pouvons donc créer de l'activité, comme avec le projet « coeur d'Orly » qui, soutenu par les collectivités locales, peut devenir un véritable centre d'affaires offrant de grandes surfaces modulables, aux normes HQE, à un tarif plus attractif que la Défense. Ainsi, les investisseurs qui ont actuellement du mal à apprécier la valeur de l'immobilier, seraient à même de mieux valoriser Aéroports de Paris.

Nous devons également renforcer nos liens avec Schiphol. Pourquoi ne pas créer aussi un véritable réseau des aéroports où Air France-KLM est présente ? Nous éviterions ainsi que le rachat d'un aéroport comme Marseille-Marignane par celui de Francfort ne conduise à détourner les correspondances de Paris. Nous pourrions mettre un pied à Kennedy Airport à New-York, à Prague, voire au Moyen-Orient ou en Asie.

S'agissant du développement durable, j'ai pris dix engagements précis vis-à-vis de M. Borloo en matière de réduction des nuisances, de respect des normes HQE, de réduction d'au moins 20 % de la consommation interne par passager d'ici 2020, etc. Il est beaucoup plus facile d'agir au sol que de remplacer le kérosène…

Nous devons aussi conserver nos valeurs d'entreprise citoyenne.

Surtout, nous devons améliorer la qualité de service. En la matière, nous avons deux handicaps : d'une part la taille gigantesque et l'éclatement géographique des installations, d'autre part l'importance du hub d'Air France, qui rend les circuits des passagers en correspondance difficiles à organiser. Qui plus est, un certain nombre de choses échappent à Aéroports de Paris : police aux frontières, sûreté et prévention des attentats, déchargement des bagages. Pour autant, nous pouvons progresser fortement dans ce qui relève de nos compétences : qualité d'accueil, qualité des installations et ambiance. Pour cela, il faut changer notre culture : si les anciens sont un peu rétifs, les jeunes ne demandent pas mieux.

Un mot enfin de la crise, dont nous souffrons beaucoup. Alors que le contrat de régulation reposait sur une hypothèse d'un trafic en croissance de 3,75 % par an, nous pourrons-nous estimer heureux si nous atteignons 0,5 à 0,9 % d'augmentation. En dépit de cette déception, nous tiendrons la quasi-totalité de nos engagements économiques. En 2008, alors que nos concurrents ont vu le trafic décroître, celui-ci a progressé chez nous de 0,8 %, mais cela n'a eu d'effet sur aucun de nos paramètres économiques. Les choses devenant de plus en plus difficiles, nous avons été contraints en 2009 de bloquer les recrutements et les salaires. Nous avons réalisé 42 millions d'économies de plus que ce qui était envisagé et nous avons réduit de 100 millions les investissements courants. Si la baisse de trafic est inférieure à 6 %, nous pourrons conserver notre EBITDA.

J'ai pris par ailleurs l'engagement de ne procéder à aucun licenciement économique : l'impact social n'ira donc pas au-delà des mesures de rigueur qui se traduisent en particulier par la compression de toutes les dépenses. Pour 2010, nous avons fait l'hypothèse d'une croissance nulle, qui permettrait de respecter les engagements pris il y a cinq ans. À défaut, nous serions légèrement en deçà, mais uniquement en raison de la crise. Si elle devait perdurer au-delà de 2010, nous commencerions à souffrir.

Je demeure donc raisonnablement optimiste, mais les six premiers mois de l'année sont inquiétants avec une baisse de 6,4 %, certes moindre qu'à Amsterdam, Londres et Francfort où elle est respectivement de 11,7 et 8 %. Je ne sens aucun frémissement : les classes affaires sont vides et le fret est en diminution de près de 20 %.

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