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Intervention de Jacques Toubon

Réunion du 30 septembre 2008 à 15h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Jacques Toubon :

Plus encore que par la commémoration devant des monuments, la réponse aux problèmes qui nous occupent aujourd'hui passe par l'institution culturelle et éducative à fondement scientifique. Je citerai l'exemple américain du Musée national de la liberté, dans l'Ohio. À Cincinnati se trouvait une rivière séparant les États esclavagistes des États ou les esclaves en fuite n'étaient pas poursuivis. Là passait une route que l'on appelait l'Underground railroad. Or le centre créé à cet endroit parle de l'histoire de l'esclavage et de la libération des esclaves, mais aussi de toutes les questions de liberté et d'oppression. Voilà le genre d'institution qui serait, pour atteindre les objectifs fixés par cette mission, d'une plus grande efficacité que nombre de commémorations.

En ce qui concerne l'Europe, les clivages historiques existent, bien entendu, mais c'est d'autant plus vrai depuis l'élargissement aux pays qui ont connu, pendant quarante ans, le régime soviétique, et dont les repères, notamment s'agissant de l'histoire récente, sont tout à fait différents. En 2005, on s'est demandé comment commémorer le cinquantième anniversaire du 8 mai 1945. À cette occasion, tous les représentants des pays de l'Est ont fait observer que, pour eux, cette date ne signifiait pas la liberté, mais au contraire le début de l'oppression.

L'étude évoquée par M. Eric Lucas devrait à cet égard se révéler très utile. Le 8 mai 1945 est certes une date importante pour l'Europe, celle de la fin d'un des totalitarismes les plus barbares ayant existé. Mais on pourrait également retenir le 9 novembre 1989, date de la chute du Mur, le 9 mai 1950 – déclaration de Schuman et Monnet – voire le 27 mars 1957, jour de la signature du Traité de Rome.

La rédaction de manuels d'histoire par des historiens français et allemands est certes une tentative imparfaite, mais c'est le genre d'initiatives qu'il conviendrait de développer.

Toujours en ce qui concerne l'Europe, je rappelle qu'une décision-cadre du Conseil européen a été prise le 20 avril 2007 pour recommander aux différents États membres de pénaliser la négation des crimes contre l'humanité et des génocides. Que l'on trouve cela bien ou mal, c'est une réalité. Et s'il y a divergence sur l'histoire, on assiste à une convergence s'agissant de la lutte contre un certain nombre de fléaux tels que le racisme.

Sur « l'autonomie de l'histoire », je vous invite à méditer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme : « La recherche de la vérité historique fait partie intégrante de la liberté d'expression. »

Je terminerai par mon expérience récente au sein de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration. Il faut d'abord définir les objectifs à atteindre. Nous nous intéressons à l'immigration, c'est-à-dire aux étrangers venus s'installer en France et qui sont devenus citoyens de notre pays. La reconnaissance de l'histoire de ces personnes au sein de l'histoire de France est, certes, une oeuvre de vérité, de connaissance et d'éducation. Mais cela a aussi un objectif précis, celui de contribuer à l'intégration en modifiant le regard contemporain sur l'immigration. Pour atteindre cet objectif, il fallait mettre en valeur une perspective historique auparavant négligée, en particulier dans l'enseignement officiel. Nous sommes, dès lors, partis de l'histoire : tout ce qui est dans la Cité provient de ce que les historiens ont dit et écrit. Sur ce sujet, le corpus est considérable – et je regrette de ne pouvoir en dire autant d'autres sujets tels que la colonisation.

Nous nous sommes ensuite demandés comment mettre en scène ce matériau historique et comment constituer un patrimoine, l'idée étant que l'histoire des immigrés faisait partie du patrimoine national et des lieux de mémoire. Le musée, dans son acception contemporaine, nous est donc apparu comme une bonne formule.

Nous avons beaucoup de matériau, mais il faut aller plus loin, et c'est pourquoi nous remplissons également une mission de recherche. Nous avons ainsi lancé des études sur le thème de l'immigration au plan régional.

Enfin, la vulgarisation est une des missions de la Cité. Nous utilisons l'art comme vecteur – théâtre, musique –, nous faisons des publications et nous avons un site Internet. Nous essayons aussi d'avoir une influence sur l'enseignement, afin que l'histoire de l'immigration soit enseignée comme une matière historique et non simplement comme un matériau de mémoire.

Nous collaborons en particulier de manière fructueuse avec l'académie de Créteil – qui englobe le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis. Nous avons ainsi élaboré un programme de formation des enseignants, de visite des élèves, etc., qui donne certains résultats.

L'année dernière, M. Benoît Falaise de l'Institut national de recherche pédagogique, a publié un rapport sur la façon dont est enseignée l'histoire de l'immigration. Il lui semble noter que grâce aux actions conduites par la Cité nationale de l'histoire de l'immigration dans le domaine éducatif, un changement est en train de s'opérer dans ce domaine : l'immigration n'est plus envisagée seulement à partir du vécu des élèves, notamment dans les classes où un grand nombre d'entre eux sont d'origine étrangère. On est passé des histoires familiales à une vraie histoire, avec des références. Cet exemple illustre l'effort majeur que doit fournir notre système d'enseignement, car si nous voulons construire l'avenir, cela passe par l'école.

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