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Intervention de Jacques Toubon

Réunion du 30 septembre 2008 à 15h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Jacques Toubon :

Je suis un exemple rare d'homme politique passé à la direction d'un musée dont les activités recoupent le sujet qui nous occupe, puisque j'ai conduit, à partir de 2003, le projet de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration.

En ce qui concerne mon expérience politique, il me vient à l'esprit un souvenir précis : en juin 1990, lors d'une nuit de débats à l'Assemblée nationale, je me suis fortement opposé au vote de la loi Gayssot, à laquelle étaient également hostiles, à l'époque, des gens comme Madeleine Rebérioux ou Simone Veil. Mais, devenu ministre, je n'ai pas souhaité revenir sur cette loi, jugeant que les conséquences de son abrogation seraient pires que la loi elle-même.

Parmi les auditions auxquelles vous avez procédé jusqu'à présent, une des plus remarquables me paraît être celle de Marc Ferro. Il développe une idée essentielle, celle du pluralisme et de l'exhaustivité de l'histoire, ce qui implique le refus des tranches et de la partialité. De sa part, et en particulier à propos de la colonisation, il s'agit de fortes paroles.

Le débat histoiremémoire que nous avons n'est pas pur. En dépit de nos tentatives pour qu'il en soit autrement, il est, en effet, presque entièrement dans une relation au présent. On l'a dit : les commémorations servent à la cohésion nationale, elles permettent d'apprendre l'histoire, de tirer les leçons du passé… Mais elles servent surtout à donner une identité aux vivants. C'est tout leur mérite et toute leur difficulté. En démocratie, il n'est pas illégitime que la politique influence cette recherche d'identité, et inversement. Mais cela peut se révéler redoutable. Ainsi, en juin 1940, la naissance du régime de Vichy a tenu en grande partie à ce que le pays comptait des millions d'hommes et de femmes vivant dans la mémoire de la boucherie de la Grande guerre. Cela les a tant obsédés que, dans ce contexte, le renoncement n'était plus le renoncement, le recul n'était plus le recul : quelles que soient les opinions politiques, donner les pleins pouvoirs au maréchal Pétain apparaissait comme une évidence. Nous devons donc faire preuve de modestie, tant il est difficile de trancher alors que nous sommes pleinement concernés.

Par ailleurs, notre société, notamment à cause de la médiatisation, est plus favorable à l'histoire-mémoire qu'à l'histoire-science. Or il faudrait défendre l'histoire-science, qui comprend et explique, tandis que la mémoire, d'une certaine façon, qualifie, juge l'histoire, voire revendique contre elle. D'où l'importance de l'école : si tant de questions se posent aujourd'hui, c'est probablement parce que l'enseignement de l'histoire à l'école n'a pas été suffisant.

Je suis très hostile à l'idée de lier l'existence de toutes ces commémorations à la présence de survivants. Si l'autorité politique décide – et tel est son rôle – que tel événement ou telle commémoration porte les valeurs communes de la citoyenneté républicaine, cela n'a rien à voir avec l'existence de personnes qui en ont la mémoire, ni même avec celle de leurs enfants, petits-enfants ou arrière-petits-enfants.

En ce qui concerne les modalités de la commémoration, le fait d'associer systématiquement celle-ci aux morts empêche, me semble-t-il, que les enfants puissent s'y intéresser. En effet, s'il y a quelque chose que les enfants ignorent, c'est bien la mort. Il faudrait donc que les célébrations – qu'il s'agisse du positif ou du négatif, du glorieux ou du sombre – ne soient pas toujours liées à la mort, que ce soit celle des héros ou des victimes.

Il faut le reconnaître humblement : la reconnaissance d'événements ou de situations significatifs dans l'affirmation des valeurs communes de la citoyenneté républicaine, n'est pas nécessairement la même chose que l'histoire. À cet égard, M. Becker a eu raison de distinguer l'histoire, la mémoire et la commémoration.

Grâce à la réforme de la Constitution qui a été votée voilà quelques semaines, vous disposez aujourd'hui, pour cette reconnaissance, d'un instrument utile : vous pouvez désormais adopter des résolutions, ce qui était interdit par le texte de 1958. Graver le marbre de la loi entraîne en effet trop de questions.

Tout à l'heure, M. Ribbe a mis en cause la Délégation aux célébrations nationales à propos du général Dumas. Il a probablement raison. Mais il convient de souligner le rôle de ces célébrations, qui devraient dépasser les seuls événements politiques et militaires et s'étendre aux événements culturels. Ainsi – et au risque de caricaturer ma pensée –, on peut dire que 1830, c'est la Révolution de juillet, mais n'est-ce pas aussi Hernani et la Symphonie fantastique, c'est-à-dire la fondation du romantisme ? N'est-ce pas aussi important, pour la suite, que l'arrivée de Louis-Philippe au pouvoir ?

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