Je m'exprime ici essentiellement au nom des rapatriés d'Afrique du Nord – lesquels représentent 95 % des rapatriés – et, plus particulièrement, des rapatriés d'Algérie qui représentent 70 % de ces rapatriés. L'identité algérienne est une identité pied-noire, harkie ou musulmane, et elle est très importante.
Je comprends très bien les propos des Domiens. J'ai moi-même un nom slave, mot qui est très proche de celui d'esclave… J'appartiens moi-même à des tribus qui ont été, si l'on peut dire, « esclavagisées ». Je ne ressens pas la brûlure que ressentent les Domiens, mais je la comprends parfaitement.
Les rapatriés d'Algérie sont très concernés par les commémorations publiques nationales. Cette communauté – essentiellement composée d'immigrés d'Espagne, d'Italie, de Malte ayant rejoint l'Afrique du Nord pour des raisons économiques, et de Français républicains opposés soit à la monarchie, soit à l'Empire –, longtemps stratifiée, s'est unifiée durant ce que l'on a appelé la guerre d'Algérie pour former un bloc très marqué par l'image de la Nation, par le drapeau, par l'armée – notamment les tirailleurs, les chasseurs, les spahis. C'est ce que l'on pourrait appeler une communauté très tricolore.
Nos Français d'Algérie, et plus généralement d'Afrique du Nord, participent bien entendu à toutes les commémorations nationales. Mais ils ont également un calendrier propre et des lieux propres de commémoration. C'est pourquoi l'on peut également parler de commémorations « privées ».
Pour les Français d'Algérie, le 19 mars – en référence à l'année 19621 – n'est pas un jour de commémoration, mais un jour de défaite, de honte et une très grande souffrance. Ce jour-là, ils choisissent le silence. En revanche, le 26 mars, jour de la fusillade de la rue d'Isly par les troupes françaises, faisant une centaine de morts, et le 5 juillet, jour de l'indépendance de l'Algérie, sont des jours de commémoration active, durant lesquels les Français d'Algérie se rendent à des offices religieux, et se remémorent ces événements.
Certes, à l'occasion du 25 septembre, journée nationale de commémoration des musulmans tombés pour la France, et du 5 décembre, journée de commémoration pour les anciens combattants, mais aussi pour les victimes civiles de la guerre d'Algérie, les rapatriés se rendent dans des lieux officiels, comme le Monument du Quai Branly, l'Arc de Triomphe ou La Cour des Invalides qui accueille une plaque en mémoire des harkis, les soldats musulmans tombés pour la France. Mais les rapatriés se rassemblent également dans des lieux particuliers, surtout religieux, tels que Notre Dame de Santa Cruz à Nîmes pour les Oranais, ou Notre Dame d'Afrique à Théoule-sur-Mer pour les Algérois.
Ce calendrier, comme ces lieux, marquent le besoin de commémoration, le besoin d'affirmation d'une identité. Nous sommes en présence d'un peuple « régional » qui, faute de territoire, s'affirme par des commémorations.
S'agissant de la participation aux cérémonies, nos rapatriés souhaiteraient qu'elle soit plus importante et que les thèmes de commémoration soient élargis. En plus d'être reconnus, Ils demandent la poursuite des recherches historiques sur ce qu'a été la présence française en Algérie, sur ce qu'elle représente réellement, et un peu de retenue et de réserve de la part de l'ensemble des médias et des enseignants par rapport à leur histoire. Cette retenue et cette réserve qu'ils demandent à la France, ils les demandent aussi aux autorités étrangères, en particulier algériennes. Ce qu'ils s'efforcent eux-mêmes d'appliquer, ils souhaitent qu'on leur applique.