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Intervention de Françoise Vergès

Réunion du 30 septembre 2008 à 15h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Françoise Vergès :

On ne peut assurément répondre à toute demande de commémoration par un décret. Il est des événements que l'on se remémore autrement que par l'instauration d'une date de commémoration. Pour autant, on ne peut pas affirmer aujourd'hui que le nombre de journées nationales de commémoration en France est défini pour toujours. Ce serait, pour la nation et pour le peuple de France, arrêter leur histoire.

Concernant la question des mémoires de l'esclavage, la loi Taubira intégrait l'idée d'une mémoire et d'une histoire partagées, du fait de la mauvaise connaissance de cette histoire et de la nécessité de la faire connaître au plus grand nombre. Le Comité pour la mémoire de l'esclavage oeuvre pour faire comprendre que cette histoire concerne toute la France.

Il y a bien sûr des mémoires de descendants d'esclaves et des vies négrières. On sait que le commerce d'êtres humains a existé en France, et l'on connaît l'histoire de ceux qui ont justifié ce commerce et de ceux qui s'y sont opposés. Cette histoire concerne donc la France elle-même, en particulier parce que les héritages de ce passé sont complexes et multiples : ils sont ceux de la souffrance et de l'exil, mais également des cultures qui ont enrichi le patrimoine culturel français – et mondial. Les musiques, les littératures appartiennent à tous, et pas aux seuls descendants d'esclaves. Nous partageons autant la poésie d'Aimée Césaire que celle de Lamartine, les textes de Condorcet que ceux de Toussaint Louverture.

Pour revenir au problème des dates abordé par M. Romana, c'est un décret de 1983 qui a fait de la date précise d'application dans chaque territoire du décret d'abolition de l'esclavage de 1848 un jour férié. L'explication est donc d'ordre historique : si les dates ne sont pas les mêmes, c'est parce que le décret n'a pas été appliqué à la même date en Guyane, à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Réunion, sachant que des personnes fêtent également le 27 avril, date du décret de 1848.

La loi Taubira demandait une date de commémoration nationale. Le Comité pour la mémoire de l'esclavage avait suggéré le 10 mai, par référence au 10 mai 2001, jour de l'adoption définitive, par le Parlement français, de la loi Taubira reconnaissant la traite et l'esclavage comme « crime contre l'humanité ». C'est donc une date ancrée dans le présent, et non dans le passé, qui n'appartient à aucun territoire – personne ne peut dire : « C'est mon histoire » –, qui n'est liée à aucun moment historique précis et qui se réfère à la notion très débattue aujourd'hui de crime contre l'humanité.

À ce jour, la France est le seul État au monde à avoir voté une telle loi et pris un décret instituant une date de commémoration nationale des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leur abolition. Cette loi a une grande portée en Europe et dans le monde, beaucoup d'États et beaucoup de peuples étant très intéressés par ce geste.

Pour ce qui est des deux dates du 10 et du 23 mai, la première a été instituée par un décret et la seconde par une circulaire de cette année – elle s'adresse aux associations de ressortissants des départements d'outre-mer résidant en France métropolitaine. Elles n'ont pas du tout la même portée et ne s'adressent pas au même public. Le 10 mai concerne la nation française tout entière, et donc tout autant ceux qui s'identifient à ces événements que ceux qui ne s'y identifient pas directement, tout en pensant qu'ils font partie de l'histoire de la France.

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