Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Reza Deghati

Réunion du 25 novembre 2008 à 17h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Reza Deghati :

C'est un grand honneur pour moi de pouvoir vous exposer notre activité en Afghanistan. En ma qualité de reporter-photographe, j'ai travaillé de longues années en zones de conflit. Au fil du temps, ma conviction s'est faite, toujours plus forte : les guerres sont à l'origine de destructions matérielles et de pertes humaines, mais le drame est aussi dans la destruction de la culture des peuples et des relations communautaires. Les peuples qui ont connu une situation de conflit doivent pouvoir se remettre de ce traumatisme, sous peine que les blessures de l'âme, restées béantes, n'empêchent les identités de se reconstruire. À cette fin, il m'a semblé nécessaire de créer une organisation humanitaire visant à former des Afghans et des Afghanes afin qu'ils deviennent eux-mêmes les vecteurs du changement au travers des media. Aina est une organisation humanitaire « de troisième génération », en ce qu'elle a été conçue pour aider la population à prendre sa destinée en main.

La démocratisation est un processus qui prend du temps. Elle suppose en particulier la liberté d'expression et, pour cela, des médias indépendants. Dans la droite ligne de mon travail de journaliste, c'est ce que j'ai cherché à promouvoir en créant Aina en 2001. À cette époque, je travaillais en Afghanistan depuis plus de vingt-cinq ans. J'y ai vu l'invasion russe, la prise de pouvoir par les talibans, l'arrivée des forces de la coalition…

La présentation en images qui va suivre vous expliquera plus sûrement comment se réalise l'idée qui sous-tend « Aina, une aventure humaine », celle du développement par les médias et la culture. (Un court film intitulé « Aina une aventure humaine » est projeté).

Au sortir de vingt années de conflit, il s'agissait de contribuer à la réémergence d'une société civile. C'est ce à quoi nous avons contribué en formant un millier d'Afghanes et d'Afghans, qui réalisent désormais un magazine destiné aux enfants, des publications destinées aux femmes, des revues d'information, des revues de société et une revue satirique. Un certain nombre de nos anciens élèves travaillent aussi aujourd'hui pour d'importantes organisations internationales. Des femmes ont été formées à la vidéo ; ainsi peuvent-elles interviewer et filmer d'autres femmes, et, ce faisant, faire découvrir un autre Afghanistan jusqu'alors occulté. De même, Aina, qui a permis la formation de journalistes radio, soutient La Voix des femmes d'Afghanistan, qui est la première radio de femmes en Afghanistan. L'association forme aussi à la production des médias de l'image. Elle a fondé l'unique école de photojournalisme afghane ainsi qu'une agence de photo. Aina a aussi créé le premier cinéma itinérant, qui projette des films éducatifs jusque dans les villages les plus reculés. Elle organise des expositions de photos et de peinture ainsi que des concerts – bref, tout ce qui peut donner un souffle de vie.

Dans tous ses domaines d'intervention, l'association s'appuie sur des outils technologiques de pointe, qui sont autant d'outils de liberté. Le soutien des acteurs de la vie culturelle participe de l'éducation à la paix – la paix, cette plante fragile, qui puise ses racines dans la riche culture afghane et dont Aina voudrait parvenir à faire un arbre.

Mais l'idéal qui sous-tend Aina vaut pour tous les pays en développement. Au cours des sept premières années d'existence de l'association, l'Afghanistan a servi de laboratoire, dans les conditions les plus difficiles qui soient. Nous avons formé un millier d'Afghans, dont près de 30 % de femmes, à tous les métiers des médias, créant ainsi une armée de journalistes et de techniciens au service de la culture et du savoir. Nous avons aidé les femmes à lancer des projets : le premier magazine afghan pour femmes, la première association des femmes journalistes d'Afghanistan, la radio La Voix des femmes d'Afghanistan… Selon moi, l'époque n'est plus où une ONG peut se satisfaire d'importer des machines à coudre pour inciter les femmes à faire de la broderie, ou proposer aux hommes de se faire menuisiers. Mieux vaut, et de loin, créer une station de radio entendue par cinq millions de femmes. Nous avons aussi distribué 5 000 transistors dans des villages, et permis que la radio devienne un vecteur d'information de premier plan pour les femmes.

Le magazine pour enfants Parvaz est considéré comme un des meilleurs au monde, notamment par le National Geographic. Il est conçu par des Afghans que nous avons formés. La formation est notre oeuvre fondatrice ; ensuite, la population prend les choses en main. En réalité, Parvaz, plus largement, diffuse des informations pour la famille. Les fillettes n'ont pas accès à l'école, mais ce sont les mères de demain. Comment les former ? On peut décider de construire des écoles ; on peut aussi décider de faire entrer la formation à la maison. En Afghanistan, la construction d'écoles connaît un certain échec, car elles sont devenues les cibles des talibans, qui les détruisent, assassinent des enseignantes et harcèlent les filles qui vont à l'école. En revanche, Parvaz entre dans les maisons, ce qui permet de diffuser des informations sur les droits des femmes ou la santé, par exemple.

Le cinéma itinérant est aussi devenu un vecteur d'information important. Dans certains des villages où le camion arrive avec écran et matériel de projection, les gens n'ont jamais vu d'images animées. Tous les films projetés ont été tournés par des Afghans que nous avons formés ; ils reprennent des histoires du folklore local pour essayer de faire passer des messages de l'Unicef ou de l'OMS.

L'idée fondatrice d'Aina -permettre à la population des pays en développement de prendre en main l'information, la communication et la culture est en passe d'être reprise dans d'autres pays. Ainsi, je me suis rendu au Sri Lanka, où un magazine pour enfants a été lancé selon le même mode opératoire. En formant quelques centaines de personnes, on parvient à faire parler bien des gens qui ne parlaient pas.

Certes, la situation se dégrade de jour en jour en Afghanistan, et les talibans sont déjà à Kaboul. L'important, c'est que nous diffusions 300 000 exemplaires d'un de nos magazines ; l'important, c'est que chaque numéro de Parvaz soit vu par 100 à 150 enfants. Ces réalisations s'expliquent aussi par vingt-cinq années passées en Afghanistan, et une grande connaissance de tous les acteurs. Le problème, c'est que la création de médias indépendants et de journaux pour les femmes ne sont pas des initiatives qui attirent particulièrement les donateurs. Notre financement provient pour l'essentiel des ventes de mes photos, de mes livres, et de mes posters que j'organise, et nous tenons bon car il le faut - les Afghans et les Afghanes en ont besoin.

Pendant des années, les journalistes qui venaient en Afghanistan étaient, pour 98 % d'entre eux, des hommes. Ils ne pouvaient filmer que des hommes, si bien que la moitié de la population afghane est restée ignorée des médias. Pourtant les femmes – et les enfants – sont les principales victimes des guerres – c'est à elles qu'il faut donner les moyens de s'exprimer. Nous avons formé un groupe de femmes vidéastes qui réalisent des documentaires. Le premier de la série, Regards d'Afghanes, a été montré dans de nombreux festivals internationaux et sélectionné pour les Emmy Awards en 2005. Farzana Wahidy, une Afghane formée par Aina, est l'une des lauréates du concours photographique « All Roads Festival » du National Geographic. Dans tous les cas, les formations sont très pointues et faites avec les meilleurs équipements.

Voilà ce que nous avons fait et ce que nous comptons faire dans d'autres pays. Je suis convaincu que le XXIe siècle sera meilleur si nous aidons les femmes non seulement à prendre le pouvoir mais aussi à se saisir des médias, de l'éducation et de l'information. Rien de tout cela n'est aisé, singulièrement en Afghanistan ; la fondatrice d'une des premières radios communautaires gérées par des femmes a été assassinée une nuit par des hommes encagoulés qui se sont introduits chez elle. Mais, le lendemain, 300 femmes journalistes se sont réunies pour montrer qu'on ne les ferait pas taire par la terreur. Cela démontre que, quoiqu'il arrive désormais, les Afghanes et les Afghans qu'Aina a formés continueront de se battre contre les ténèbres.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion