Monsieur Boucheron, je vous rappelle ce que prévoit l'article 42, alinéa 7 du traité de Lisbonne : « Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. […] Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre. ». Les Européens considèrent donc que leur sécurité ne dépend pas seulement de la construction de l'Europe de la défense, mais aussi du système de sécurité collective établi par le traité de l'Atlantique Nord, auquel nous participons depuis 1949 et que nous n'avons jamais dénoncé.
Certes, monsieur Garrigue, les Européens se trouvent dans une position de vassalité militaire, parce que, à l'exception des Français et des Britanniques, ils ne consacrent pas à la défense suffisamment de moyens. Toutefois, vouloir construire, par l'Europe de la défense, une alliance de pays européens susceptibles de prendre leurs propres responsabilités n'est pas contradictoire avec une participation à l'Alliance atlantique : le traité de Lisbonne indique clairement que les deux institutions participent d'une démarche conjointe visant à assurer la sécurité collective du continent européen. Il ne s'agit pas de jouer l'une contre l'autre, mais l'une avec l'autre.
Madame Guigou, je suis d'accord avec vous sur certains points. En effet, l'Alliance atlantique n'a pas vocation à s'étendre indéfiniment ; en particulier, si elle continue à se rapprocher des frontières russes, cela risque de renforcer en Russie un sentiment traditionnel d'encerclement. Et en effet, l'Alliance atlantique a besoin, non de se bâtir une frontière, puisqu'elle n'est pas un ensemble politique, mais de s'interroger sur ses limites géographiques.
Elle doit aussi, comme le soulignait Bernard Kouchner, s'interroger sur ses missions. Doit-elle participer à la lutte contre le terrorisme, devenir une organisation globale, s'engager dans l'aide au développement, s'occuper de la défense antimissile ? Ces questions restent ouvertes. L'organe qui, au sein de l'Alliance, s'occupe de la « transformation », c'est-à-dire de définir les concepts stratégiques, la planification et les missions de l'organisation, c'est ACT, à Norfolk. Or c'est précisément l'un des commandements dont nous pourrions hériter. Nous prendrions ainsi la tête de la réflexion sur l'évolution de l'Alliance atlantique suite à la fin de la guerre froide et à la sortie de la logique bloc contre bloc.
Lorsque vous estimez que les moyens que nous mobiliserons en faveur de l'Alliance devraient être affectés à l'Europe, permettez-moi de vous dire que vous commettez une erreur majeure, puisqu'il s'agit d'un même réservoir de forces. Les forces françaises resteront totalement indépendantes et autonomes, sous la seule responsabilité du Président de la République. En fonction des opérations auxquelles nous déciderons de participer, elles seront mises à la disposition de l'Alliance atlantique ou de l'Union européenne. Il n'est pas question de toucher à ce réservoir unique.