Je suis moi aussi très inquiète pour l'Europe de la défense qui, si elle a connu les développements récents qu'a rappelés M. Morin, est une idée relativement ancienne, qui reste fragile. Les moyens qui seront affectés par la France à l'OTAN nous auraient donc paru bien mieux utilisés pour l'Europe de la défense. Cela est d'autant plus vrai que la France va rejoindre le commandement intégré de l'OTAN sans la moindre garantie quant à d'éventuelles contreparties. En tout état de cause, celles que vous avez évoquées comme hypothétiques, messieurs les ministres, sont très insuffisantes, car notre pays ne se situera pas au coeur du dispositif de décision.
Surtout, le gain militaire très marginal de cette opération aura un coût symbolique et politique majeur. Tout d'abord, la France perdra le rôle très particulier qu'elle jouait vis-à-vis des pays non alignés – arabes et au-delà –, ce qui nous privera d'une carte majeure dans le monde. En outre, en réponse à une question du président Poniatowski, le secrétaire général de l'OTAN a déclaré la semaine dernière qu'il faudrait attendre avant de s'accorder sur les nouvelles fonctions de l'Alliance car cela ne se ferait pas au sommet de Strasbourg-Kehl, début avril, mais peut-être au sommet suivant.
La France, qui pouvait jouer un rôle de médiateur dans de nombreuses régions du monde, va désormais apparaître comme alignée sur la politique des États-Unis, quelles que soient par ailleurs les améliorations de celle-ci à la suite de l'élection de Barack Obama. Par ailleurs, nous ignorons quelles seront les missions de l'Alliance atlantique : s'agira-t-il de défendre la famille occidentale, ou encore la « famille démocratique » évoquée par M. de Hoop Scheffer et dont la définition n'est pas claire ? Cela suscite bien évidemment des interrogations et des réactions très fortes.
L'absence de définition du concept stratégique et le flou qui entoure, messieurs les ministres, vos réponses sur l'élargissement et celles du secrétaire général de l'OTAN sont très inquiétants. Sans aller jusqu'à l'adhésion de la Russie à l'OTAN, on ne peut pas traiter de la même manière les pays d'Europe centrale et orientale, tels que la Pologne, même s'ils appartenaient au pacte de Varsovie, et l'Ukraine et la Géorgie, qui sont d'anciennes républiques de l'Union soviétique. La Russie n'a pas réagi négativement à l'élargissement de l'OTAN aux pays d'Europe centrale et orientale, même s'il est vrai qu'elle était à l'époque plus faible qu'aujourd'hui, mais c'est une agression caractérisée que d'imaginer l'adhésion automatique de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN. Nous n'avons aucune réponse sur ce point, qui pose un problème majeur tant pour les relations intra-européennes que pour l'image de la France, et même de l'Europe, dans le reste du monde.