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Intervention de général d'armée Jean-Louis Georgelin

Réunion du 8 octobre 2008 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

général d'armée Jean-Louis Georgelin :

Monsieur le président, messieurs les députés, le projet de loi de finances pour 2009 s'inscrit dans un cadre particulier.

C'est la première traduction financière des décisions qui découlent des conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et des travaux liés à la révision générale des politiques publiques (RGPP). Sa présentation marque le lancement d'une réforme qui, vous le savez, sera complexe et nécessitera un effort d'adaptation considérable de la part de nos armées.

Il représente ensuite la première étape d'une nouvelle programmation des dépenses de l'État sur trois ans et marque l'entrée en loi de programmation militaire (LPM). Il nous engage dans un processus de douze années, pour lequel le Président de la République a retenu une trajectoire financière de 377 milliards d'euros.

Pour les armées, il se traduit également, en termes d'investissements, par l'entrée dans un cycle de renouvellement de nos équipements majeurs.

Enfin, il intervient dans un contexte économique marqué, sur le plan international par une importante crise financière et, sur le plan national, par la nécessité d'alléger le déséquilibre de nos finances publiques.

Dans ces circonstances, je suis conscient que le projet de loi de finances est la traduction aussi juste que possible de l'effort financier que notre pays peut aujourd'hui consentir en matière de défense. Tel qu'il se présente, il nous permet d'engager le mouvement de réforme qui débouchera à l'horizon 2020.

Premier des militaires, responsable devant le Président de la République de l'efficacité opérationnelle de notre outil de défense, j'assume la mise en oeuvre de ces réformes. Sous l'autorité du ministre, je les conduirai avec loyauté et détermination, avec pour unique ambition de garantir à notre pays de disposer de forces armées capables de relever les défis qui ne manqueront pas de se présenter à nous.

Nous avons devant nous un exercice d'une extrême complexité. C'est pourquoi il me semble essentiel de bien identifier les risques auxquels nous sommes confrontés. À cet égard, mon principal souci est de disposer dans la durée des ressources financières et humaines qui nous permettront de conduire à son terme l'exercice délicat dans lequel nous sommes engagés.

Avant de répondre à vos questions, je veux tout d'abord replacer le projet de budget dans l'environnement dans lequel nous allons conduire nos réformes. Je m'attacherai ensuite à en distinguer les lignes de force et je soulignerai enfin quels sont les risques auxquels nous devons être particulièrement attentifs.

Il me semble tout d'abord nécessaire de porter un regard lucide sur les conditions dans lesquelles s'engage une réforme qui marquera un véritable tournant pour les armées. Il n'est pas exagéré de dire que nous allons conduire cette transformation majeure de notre outil de défense au moment même où l'ensemble des paramètres qui contribuent à définir cet outil sont en pleine évolution.

D'un point de vue stratégique, l'instabilité du contexte international a parfaitement été mise en avant dans le Livre blanc. J'ajoute simplement que les événements survenus en Géorgie illustrent la fragilité de la situation internationale.

D'un point de vue opérationnel, nous sommes confrontés à une véritable transformation du cadre de nos engagements. Nos opérations se caractérisent aujourd'hui par leur durée, leur durcissement, leur diversification et leur dispersion géographique.

Parmi ces quatre facteurs, c'est très clairement la notion de durcissement qui est au centre de mes préoccupations. Comme nous l'ont rappelé les événements récents, nous avons désormais affaire à des adversaires plus durs, plus déterminés, qui se sont adaptés à nos méthodes de combat et qui disposent de moyens susceptibles de contrer notre supériorité technologique.

Ce constat nous renvoie à la réalité des opérations de guerre. Il nous impose de rompre avec cette forme d'inhibition qui a marqué certains de nos engagements durant la décennie qui a suivi la première guerre du Golfe.

Nous devons reprendre nos réflexes de combat, adapter nos conditions d'entraînement et développer les équipements nous permettant de faire face aux menaces auxquelles nous sommes confrontés.

Cette adaptation opérationnelle sera conduite au moment où nos armées sont engagées dans une réforme structurelle sans précédent : la déflation d'effectifs que nous allons mener au cours des sept prochaines années est sans commune mesure avec celle accomplie au lendemain de la professionnalisation. À l'époque, la réduction du format des armées a essentiellement reposé sur la suspension du service national. Ce resserrement n'a alors affecté que 18 000 cadres. Aujourd'hui, la réforme concerne exclusivement du personnel de carrière ou du personnel civil et militaire sous contrat. C'est ce qui la rend particulièrement délicate, notamment dans un contexte économique qui pourrait se révéler peu favorable.

À cette déflation, il convient d'ajouter les tensions que ne manqueront pas d'entraîner la mise en oeuvre de la nouvelle carte des implantations militaires, ainsi que la transformation de l'organisation de nos soutiens et de notre administration générale. Il s'agit pour nous d'un facteur supplémentaire de complexité, même si nous savons que de la bonne exécution de cette réforme dépend la réalisation des marges de manoeuvre financières qui nous sont indispensables.

Enfin, comme je vous l'avais signalé l'année dernière lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2008, nous sommes entrés dans un cycle de « recapitalisation » de notre outil de défense. Cela signifie qu'au cours des prochaines années, nous devrons procéder au renouvellement de nos matériels majeurs. C'est un facteur qui pèsera sur les modalités de construction de nos budgets dans les années à venir.

Je précise par ailleurs que ces évolutions interviennent au moment où le ministère de la défense modifie lui-même ses pratiques de gouvernance.

Ces considérations appellent à mon sens trois remarques.

Au cours de cette période qui sera particulièrement complexe, nous devons impérativement veiller à maintenir au plus haut niveau opérationnel l'efficacité de notre outil militaire. C'est la raison d'être de notre ministère et cela demande, comme toujours, de la constance dans l'effort.

Ensuite, la manoeuvre dans laquelle nous sommes engagés nécessitera de la part des militaires un effort d'adaptation qui s'ajoute aux contraintes inhérentes à leur métier. C'est pourquoi il me semble nécessaire de prendre en compte le besoin légitime de reconnaissance exprimé par les hommes et les femmes qui servent dans nos rangs.

Enfin, la réforme ne peut réussir que si le chef d'état-major des armées dispose des moyens lui permettant d'exercer pleinement ses responsabilités. Dans cette période de transition, les armées auront besoin de se retourner vers le chef qui maintiendra le cap et donnera du sens à leurs engagements.

J'en viens maintenant aux principales caractéristiques du projet de loi de finances.

Les ressources qui nous sont attribuées correspondent à ce que nous avions souhaité pour engager le processus de réforme des armées et du ministère. Conformément aux décisions arrêtées dans le Livre blanc, le projet de loi de finances pour 2009 participe au renforcement de notre stratégie militaire fondée sur la dissuasion, l'autonomie d'appréciation de situation et le choix de rester une puissance militaire complète. Nul ne peut nier que dans les circonstances actuelles, il marque un effort significatif de notre pays à l'égard de sa défense : le budget de la mission défense, hors pensions, est en augmentation de plus de 5 % puisqu'il est porté à 32 milliards d'euros. L'effort de défense est maintenu à 2,3 % du produit intérieur brut.

Le fait que ce niveau de ressource soit atteint grâce à la mobilisation de recettes exceptionnelles, à hauteur de 1,637 milliard d'euros, doit toutefois faire l'objet d'une attention particulière. Ces recettes conditionnent notamment l'effort qui sera consenti au titre des équipements.

Je retiens quatre traits dominants de ce PLF.

Premièrement, il marque l'entrée dans un cycle qui donne une forte priorité à l'équipement de nos forces. Les dépenses d'équipement augmentent ainsi de 10 %, passant de 15,4 à 17 milliards d'euros. Elles permettront de réaliser ou d'engager des commandes portant sur des équipements majeurs qui entreront en service dans les forces au cours de la prochaine décennie tels que : le Rafale, le Tigre, le VBCI, le FELIN, les FREMM, les frégates Horizon, les Baraccuda, mais aussi l'A400M.

Cet effort sur le long terme est complété par la mise en place de procédures accélérées d'acquisition de matériel, destinées à répondre aux besoins urgents des forces engagées dans des opérations de combat sur les théâtres d'opérations extérieures.

C'est dans ce cadre que seront livrés, dès le premier semestre 2009 : 60 tourelleaux télé-opérés pour véhicules de l'avant blindés (VAB) permettant de déclencher un appui feu depuis l'intérieur du véhicule ; 50 cabines blindées pour les camions de transport, afin de renforcer la protection des convois logistiques ainsi que 135 brouilleurs et 250 kits d'intégration, destinés à la lutte contre les engins explosifs improvisés (IED).

Deuxièmement, ce projet de loi de finances traduit la priorité accordée à la préparation opérationnelle des forces. Les crédits prévus pour financer l'entraînement et l'entretien programmé des matériels permettront de maintenir à un niveau satisfaisant le volume des activités nécessaires à la préparation opérationnelle de nos forces. Les objectifs annuels resteront ainsi cohérents avec les standards de l'OTAN.

Nous allons toutefois privilégier une logique d'entraînement différencié. Les unités désignées pour s'engager en opérations extérieures bénéficieront ainsi d'un effort supplémentaire destiné à compléter leur préparation de base.

Nous devons également rester attentifs à l'évolution du prix des carburants. La dotation dans le projet de budget des carburants opérationnels est de 456 millions d'euros, en augmentation de près de 30 %. Elle permet la couverture des objectifs d'activité sur la base d'un baril à 75 dollars. Si le coût moyen du baril se stabilise à 85 dollars, le surcoût annuel serait de l'ordre de 90 millions d'euros. Dans cette perspective, il serait souhaitable de disposer d'un complément de ressources en gestion qui, comme pour les surcoûts OPEX, ne devrait pas être financé à partir des crédits dévolus aux équipements.

Troisième point : le PLF pour 2009 augmente de 50 millions d'euros la provision OPEX, afin d'être en ligne avec l'évolution récente de ces surcoûts. Avec 510 millions d'euros, la dotation prévue pour 2009 représente 60 % du surcoût pour 2008, actuellement estimé à 833 millions d'euros.

Ces surcoûts pourraient toutefois se maintenir durablement à un niveau élevé. Nous observons en effet que les dépenses augmentent avec le degré de violence et l'intensité des opérations, ce qui est la caractéristique de nos engagements actuels.

Enfin, le PLF doit permettre la mise en oeuvre d'un plan d'accompagnement des restructurations et la poursuite de l'effort d'amélioration de la condition du personnel grâce à la diminution de la masse salariale qui résulte de la suppression nette de 8 250 emplois.

Pour conclure, je soulignerai les points qui me préoccupent particulièrement.

Le contexte économique difficile que nous traversons risque de peser sur l'exécution budgétaire 2008. Or, le solde de gestion 2008 représente le point d'entrée du budget 2009, première annuité de la future LPM. Dès lors, seule une exécution budgétaire en 2008 équilibrée peut garantir durablement la cohérence de la programmation, et partant, l'atteinte des objectifs du Livre blanc.

Les risques pesant sur les ressources et leur emploi dépassent 2 milliards d'euros. Le ministère attend notamment le remboursement des surcoûts OPEX, du carburant et de l'accord FREMM à l'occasion du collectif budgétaire de fin d'année.

Deux points méritent un suivi spécifique. Le premier concerne la cadence effective de l'obtention des ressources exceptionnelles qui est un enjeu essentiel du financement de la réforme. Pour 2009, ces ressources, qui s'élèvent à 1,637 milliard d'euros, proviennent pour l'essentiel de cessions immobilières et de fréquences. Le respect de leur montant, ainsi que l'échéancier de mise à disposition seront des facteurs décisifs de succès.

Le second point d'attention a trait aux ressources humaines. Il s'agit d'un facteur essentiel qui garantit la cohérence globale de notre processus de transformation. Le budget 2009 prévoit la suppression nette de 8 250 emplois. Ces suppressions de postes conditionnent les marges financières indispensables à la conduite des réformes.

Pour ne pas remettre en cause notre capacité opérationnelle, il convient d'abord de garantir que cette réduction d'emplois sera répartie sur l'ensemble de la pyramide des grades, ce qui implique que les mesures d'accompagnement et que les mécanismes liés au reclassement dans la fonction publique fonctionnent convenablement. Ensuite, il faut également maintenir au niveau programmé notre flux de recrutement qui est indispensable pour conserver une armée jeune, capable de remplir son contrat opérationnel dans un contexte marqué par un engagement physique de plus en plus exigeant.

Le plan d'accompagnement des restructurations constitue la clé de voûte des réformes ; son succès dépend de la réussite de la transformation dans laquelle nous sommes engagés.

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