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Intervention de Marie-Luce Penchard

Réunion du 10 juillet 2008 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Marie-Luce Penchard :

Je remercie la Mission de m'avoir invité. Je considère que c'est à la fois un devoir et un honneur d'être auditionné par elle.

Les ALD sont un des problèmes les plus importants de notre système de santé, du fait de leur explosion quantitative. Elles concernent aujourd'hui 8 millions de personnes et représentent 60 % des dépenses de santé. Les projections de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) à l'horizon 2015 sont un doublement de la population souffrant d'affections de longue durée – soit environ 15 millions de personnes – et un pourcentage des dépenses de plus de 70 %, ce qui ferait de l'assurance maladie l'assureur monopoliste du gros risque. Cela remet en cause la configuration du système. L'assurance publique est-elle faite pour gérer majoritairement une minorité de gens malades ou pauvres, au risque de devoir se désengager vis-à-vis du reste de la population ? L'augmentation de 400 000 ou 450 000 personnes en ALD par an pose le problème de la mission et de la philosophie de l'assurance maladie.

La population ALD étant à peu près assurée d'être prise en charge à 100 % par l'assurance maladie, les complémentaires se retrouvent spécialisées dans le petit risque, avec les risques de « démutualisation » que cela comporte. C'est pourquoi l'idée de les faire participer au risque lourd à 100 % n'est pas nécessairement déplacée.

Le problème de base étant posé, deux pistes peuvent être suivies.

La première consisterait en des réformes « cosmétiques » du système en revoyant les critères d'entrée, de sortie et d'éligibilité ainsi que les modes de gestion. Les bornes mises à la prise en charge des patients en ALD fonctionnent mal, qu'il s'agisse de l'ordonnancier bizone ou du protocole de soins.

La seconde piste, plus radicale, tendrait à remplacer le dispositif des ALD par un autre système, notamment par le bouclier sanitaire dont MM. Pierre-Louis Bras et Gilles Duhamel, que vous avez entendus juste avant moi, sont les avocats et les défenseurs. Je suis également plutôt favorable à ce système car il a, pour les économistes, le mérite de séparer le risque économique du risque médical. Il y a une dissociation entre le dispositif de prise en charge des maladies chroniques au long cours axé sur des protocoles et des suivis, et le traitement des patients qui ont du mal à avoir accès aux soins pour des raisons financières, quelle que soit leur pathologie.

Le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a fait un examen du dispositif des ALD d'où il ressort qu'il demeure un reste à charge très lourd pour les patients en ALD et que les critères d'admission varient d'un département et d'une région à l'autre. Il y a une forte hétérogénéité de la population. Les critères de sortie ne sont pas fixes. Il est, d'ailleurs, assez déplaisant d'annoncer à un patient qu'il n'est plus pris en charge à 100 %. Les critères d'entrée ne sont pas plus définis. Il règne une confusion : le dispositif est-il destiné à favoriser la prise en charge des maladies lourdes ou à aider les personnes les plus défavorisées de la société ? En fait, il fait les deux à la fois. Or, comme il arrive souvent, quand un instrument fait deux choses à la fois, il les fait mal.

Les réponses aux questions que vous avez posées, monsieur le rapporteur, sont positives.

La liste des ALD doit être revue, et doit l'être en permanence. Elle l'a déjà été dans le cadre du plan Séguin en 1985-1986 : on avait alors supprimé la trente et unième pathologie – elle a été réintroduite ensuite – et instauré l'ordonnancier bizone.

Le problème est que le critère des pathologies retenues repose sur la notion de « sévérité ». Que signifie une hypertension sévère ? Soit on donne des normes quasiment de protocole d'essai clinique, un cas étant déclaré éligible si toutes les cases du protocole sont cochées, soit on laisse aux praticiens une marge d'appréciation en fonction de l'état clinique du patient. J'imagine que les médecins souhaitent avoir une certaine latitude pour prendre en compte l'ensemble de la situation du patient.

Cela étant, en dehors du fait que cela ne fera pas plaisir aux patients qu'on supprime leur prise en charge à 100 %, il n'y a aucun problème technique à revoir la liste. Et, sans doute, faut-il le faire.

La grande question est de savoir si l'on conserve ou non les ALD. En toutes hypothèses, on ne peut pas ne pas revoir le dispositif et ce sera fait, d'une manière ou d'une autre, dans le cadre de la gestion du risque de l'assurance maladie.

Je trouve personnellement l'idée du bouclier sanitaire intéressante. Elle a le mérite de s'intéresser, non pas à ce que l'on rembourse mais, au contraire, à ce que l'on ne rembourse pas, c'est-à-dire à ce qui reste. Cela inverse complètement le regard. Au lieu de veiller à bien rembourser, on veille à ce que ce qu'on ne rembourse pas ne soit pas trop élevé.

Le bouclier sanitaire pose toutefois, selon moi, deux problèmes.

Le premier est un problème de définition du champ : qu'appelle-t-on dépenses de santé ? Par rapport à quoi dit-on qu'on est bien ou mal remboursé ? Dans les deux agrégats – la consommation médicale totale et la dépense courante de santé – privilégiés par les comptes de la santé au sein de la Comptabilité nationale – comptes à distinguer de ceux de la sécurité sociale – qui s'élèvent à 100 milliards d'euros, les biens de services médicaux sont considérés comme des biens de service produits par les professionnels : hôpital, médecin libéral, infirmière libérale, sage-femme libérale, transporteur sanitaire, fabricant industriel de médicaments et de matériel médical. Ce champ est à peu près le même que celui reconnu par les organismes internationaux, notamment par l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économique – quand il fait des comparaisons entre les dépenses de santé. C'est par rapport à ce champ qu'on dit que la santé en France est socialisée à 77 % par l'assurance maladie, à 90 % si l'on ajoute les 13 % des mutuelles et que le reste à charge des Français est d'environ de 10 %. Il faut inclure, dans le reste à charge, les dépassements d'honoraires et tout ce qui relève du périmètre de la Comptabilité nationale dépensée pour la santé des Français.

Le second problème est celui de la « désincitation » à la mutualisation. La logique du reste à charge repose sur son auto-assurance. Si on annonce aux assurés sociaux qu'ils ont un risque certain, connu d'avance, de 200 ou 300 euros maximum, la logique veut qu'ils s'auto-assurent, c'est-à-dire qu'ils prennent en charge ce montant. On ne s'assure pas sur un risque certain, contractuel et d'un montant limité, d'où un effet létal vis-à-vis de la souscription d'une assurance complémentaire.

Un autre point, dans lequel je vois plus un avantage qu'un inconvénient bien que, pour beaucoup de personnes, ce soit attentatoire au principe de la sécurité sociale, est la possibilité d'indexer le seuil garanti sur les revenus. Cela me semble assez logique mais c'est contradictoire avec la formule : « chacun contribue selon ses moyens et chacun reçoit selon ses besoins ». Il faudrait la transformer en : « chacun contribue selon ses moyens et chacun reçoit selon ses besoins et ses moyens ». J'ai mesuré, notamment dans les débats sur la franchise, à quel point, pour un certain nombre d'acteurs « historiques » du système, nostalgiques de la « sécu » traditionnelle et « paritariste », l'idée qu'un cancéreux riche puisse être moins bien remboursé qu'un cancéreux pauvre pouvait être « heurtante ». Pour eux, il n'y a pas de cancéreux riches ou de cancéreux pauvres, il n'y a que des cancéreux. Le même raisonnement est appliqué au sujet des allocations familiales : il n'y a pas de familles riches ou de familles pauvres, il n'y a que des familles. Si j'étais malade, je dois avouer que je préférerais être riche que pauvre.

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