Il ne fait pas l'ombre d'un doute que les États-Unis portent une responsabilité importante dans la crise actuelle. Si la régulation hypothécaire s'effectue au niveau des États, la Réserve fédérale avait la possibilité de tirer la sonnette d'alarme. Ce qui semble ressortir des débats internes à cette dernière, c'est qu'Alan Greenspan aurait refusé de le faire au motif, d'une part, que le rêve de tout Américain est de posséder une maison et, d'autre part, que l'octroi de prêts aux plus pauvres est un moyen de les responsabiliser. Or, en Californie par exemple, la capacité de remboursement des emprunteurs n'était même pas examinée : les intermédiaires étaient rémunérés par les établissements prêteurs en fonction du nombre de contrats conclus, la signature de ces derniers étant facilitée par l'effet « teaser », à savoir un taux fixe de 2 % pendant les deux ou trois premières années. Seulement, la variabilité des taux n'était pas ensuite liée aux taux de la Réserve fédérale, mais à des augmentations de primes additionnelles. C'est ainsi que, voilà un an et demi, des emprunteurs ont vu leurs charges passer de 2 à 16 %. La régulation s'impose donc.
Les Américains ont d'ailleurs cette qualité d'intervenir rapidement quand c'est nécessaire – il suffit de se rappeler la crise Enron. Il y aura d'autant plus de réaction de leur part qu'ils en sont déjà à un million de saisies de maisons, qui touchent déjà entre 4 et 6 millions de personnes. Encore faut-il par la suite, ne pas oublier. Or la capacité d'oubli en la matière est extraordinairement rapide, comme j'ai pu le constater récemment en discutant avec un de mes étudiants de Louvain, devenu banquier sur la place de Londres, qui avait déjà oublié la débâcle du fonds spéculatif Long Term Capital Management, laquelle ne remonte pourtant qu'en 1998 et a fait courir le danger d'illiquidité d'une partie des certificats du Trésor américain, marché réputé le plus liquide !
Si Bâle I incitait à la titrisation, en permettant la mise hors bilan des créances originellement consenties, l'accord Bâle II constitue, pour sa part, une amélioration. Cependant, il ne deviendra effectif que dans quelques mois auprès des banques européennes, sans que cela soit le cas aux États-Unis. Selon moi, la mise en application la plus rapide possible de Bâle II passe par le G7, avec une participation active de la Banque centrale européenne et de la Commission, car c'est dans cet environnement que se trouve le monde bancaire qui compte aujourd'hui. Une telle proposition ne satisfera bien sûr pas tous les pays, dont le mien, qui n'y sont pas tous représentés, mais au moins constitue-t-elle un point de départ. Toutefois, comme il est à craindre également un impact sur l'économie réelle, il conviendra d'élargir ce noyau à la Chine, au Brésil, aux producteurs de pétrole et à la Russie.
S'agissant de la Chine, ce pays a aujourd'hui des responsabilités énormes avec ses participations dans le marché de la dette publique américaine mais aussi européenne. Or le système bancaire chinois est fragile, car un taux d'expansion économique aussi rapide que celui de la Chine ne va pas – l'histoire le démontre – sans erreurs de gestion et d'investissement – comme, par exemple, la construction de quatre usines de production d'aluminium en même temps – avec des répercussions sur la stabilité financière du pays. Or la simple diminution du taux de croissance de l'économie chinoise de 13 à 10 % pourrait entraîner, du fait des mauvaises dettes des banques, une crise bancaire interne pouvant elle-même avoir une influence très forte sur nos économies, tant sur le plan financier qu'en termes d'économie réelle. Ce deuxième cercle, au-delà du G7, est plutôt macro-économique.
Quant au Fonds monétaire international, dont le nouveau directeur général a toute notre confiance, il peut, du fait de son caractère global, faire la jonction entre ces différentes activités.
Pour ce qui est de l'impact possible de la crise financière actuelle sur l'économie réelle, il ne fait aucun doute que l'impact premier a eu lieu aux États-Unis, son accélération dépendant de l'ajout ou non aux effets des subprimes de ceux d'autres produits complexes, tel le financement de l'achat d'automobiles. Les prêts personnels qui sont considérés comme relativement sûrs en Europe, ne le sont en effet pas aux États-Unis, ne serait-ce que par la montée des saisies et des ventes forcées des maisons par les banques.
En Europe, tout n'a pas mal marché, y compris dans le monde financier.
Pour ce qui est, d'abord, des faits positifs, je relève, d'une part – et c'est important pour l'avenir –, le bon fonctionnement des systèmes de paiement, de compensation et de règlement, ainsi que celui du marché des devises et du marché de titres réglementé – les bourses – et, d'autre part, l'assainissement des bilans des entreprises au cours des cinq dernières années.
S'agissant, ensuite, des dangers qui nous guettent, la question est d'abord de connaître l'ampleur de la recapitalisation qui sera imposée aux banques une fois la totalité des pertes connue, et de savoir si cette recapitalisation pourra alors se faire rapidement. Si elle ne se fait pas, le danger est en effet qu'elles ne distribuent plus de prêts – ce que l'on appelle le credit crunch. Pour l'instant, ce danger qui pourrait nous affecter n'apparaît pas encore, compte tenu du bilan assez solide du secteur réel. Le rachat des titres, qui a été massif aux États-Unis et qui a diminué la solidité du bilan des entreprises, n'a pas été effectué dans les mêmes proportions en Europe.
On ne peut savoir quelle sera la facture finale car, à partir du moment où il n'existe pas de véritable marché, l'évaluation des actifs s'effectue sur la base de modèles qui, pour la plupart, ne permettent que des extrapolations à partir du flux des paiements sur les créances. Mais si l'on a soit l'apparition d'un marché qui donne des indications moins favorables, soit l'absence de marché et l'indication que le cash-flow commence à s'assécher, on doit faire un ajustement dans l'évaluation des créances. C'est la raison pour laquelle les dirigeants des banques centrales et ceux qui sont en charge de ces problèmes souhaitent que les banques publient le plus vite possible des chiffres fiables et, pour que cela soit durable, il faudrait que le fonctionnement des marchés se rétablisse et que les prix deviennent de plus en plus significatifs, jusqu'à une activité à nouveau normale des marchés, qui marquerait la fin de la crise.