Ma société, SODERN, n'est peut-être pas une PME au sens communautaire du terme, puisqu'elle réalise parfois un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros, qu'elle emploie plus de 300 personnes, et que plus de la moitié de son capital est détenue par le groupe EADS. Comme les autres PME, elle connaît pourtant les mêmes mises en compétition, y compris par son propre actionnaire, avec lequel elle entretient avant tout une relation de client à fournisseur. Cela me donne l'occasion de regretter que l'on confonde encore trop souvent PME et équipementier.
SODERN consacre 18 millions d'euros à la R&D et à la R&T, dont 2 millions d'euros en autofinancement de ce qui est considérable compte tenu de son chiffre d'affaires. Elle réalise un tiers de son activité à l'exportation, y compris vers de grands pays car il est beaucoup plus aisé d'exporter en Chine ou en Russie que vers l'Europe ou que de vendre en France. Ainsi, j'ai signé hier deux contrats, chacun de quelques millions d'euros, l'un avec Bowl Aerospace aux États-unis pour les missions lunaires de la NASA, et l'autre avec la Russie, avec NPO PM comme maître d'oeuvre, pour embarquer des viseurs d'étoile sur un satellite de télécommunications qui sera vendu in fine à Israël. C'est grâce à l'innovation que nous y parvenons et nous savons tous qu'il est crucial de maintenir notre avance technologique.
SODERN a obtenu ces deux dernières années deux prix très importants. Le premier est un prix américain d'innovation technologique décerné par un journal reconnu mondialement, Aviation Week. Parmi les cinq entreprises primées, nous étions la seule à ne pas être américaine et la seule dans le domaine spatial. J'ai tiré une certaine fierté de me trouver à cette occasion en compagnie de Boeing, d'autant que nous étions récompensés pour un produit qui était encore en cours de développement mais pour lequel nous avons déjà des premiers contrats à l'exportation. Le second prix nous a été décerné par le Haut comité français à la défense civile pour une innovation technologique dans le domaine de la détection d'explosifs. Cela illustre bien l'importance que revêt pour nous l'innovation : elle est un gage de succès à l'exportation et couvre par là l'essentiel de nos marges.
Il convient par ailleurs de mesurer l'enjeu qui réside dans la R&T. La R&D et la R&T de nos concurrents sont financées par les États, au motif qu'il s'agit de marchés institutionnels de défense ou de l'espace ou de la sécurité publique. Si nous ambitionnons de soutenir la concurrence, il me paraît crucial de disposer d'un financement équivalent. Or, ces dernières années, la politique d'acquisition de certains maîtres d'ouvrage étatique a entendu responsabiliser les maîtres d'oeuvre avec une concentration des contrats à leur adresser. Il en a résulté un tarissement des contrats directement destinés aux PME. De fait, la puissance publique s'est coupée de l'innovation et de ce « coup d'avance » que j'évoquais à l'instant. Se trouvant eux-mêmes en situation de concurrence, les maîtres d'oeuvre ont fort logiquement cherché à sanctuariser la technologie et l'innovation, donc la propriété intellectuelle en provenance des PME. C'est une forme de cleptomanie, regrettable mais logique.
Cela étant, dans la mesure où nous évoluons sur un marché de défense et un marché spatial, nous nous trouvons dans un schéma gagnant-gagnant. Nous parvenons à valoriser des technologies, à exporter, à réaliser du chiffre d'affaires : grâce au viseur d'étoile, je fais plus de la moitié de mon chiffre d'affaires à l'export, en Chine, en Russie, en Israël, aux États-Unis, au Japon, au Brésil, sans parler de l'Europe. Il est plus facile d'ailleurs de vendre petit que gros, avec une garantie d'indépendance même si nous faisons partie d'un grand groupe. Nous maintenons donc notre effort en matière d'innovation et nos équipes techniques grâce à l'exportation, mais nous aurions besoin d'être soutenus pour financer la R&T et la R&D, en gardant bien sûr la propriété intellectuelle à l'intérieur de l'entreprise. Si ce patrimoine passait sous le contrôle d'un maître d'oeuvre, celui-ci m'interdirait d'en vendre le produit à ses concurrents. Fort heureusement, mon actionnaire ne le fait pas. Même s'il me le demandait, je refuserais car SODERN est une PME qui offre des garanties d'indépendance et de sécurité : nous disposons certes d'informations confidentielles sur les plates-formes des satellites des concurrents d'Astrium, mais ces informations ne lui sont évidemment pas communiquées.
Je vous livre enfin quelques idées en vrac, dont je pense qu'elles pourraient alimenter le débat.
J'ai senti ces derniers temps une réorientation de certaines instances publiques, qui semblent tentées de revenir sur des PEA signés en direct avec des équipementiers. Cela ne me semble pas souhaitable, d'autant que l'enjeu pour nous a trait au maintien des compétences que l'entreprise doit autofinancer.
Par ailleurs, nous subissons les règles du retour géographique. La France étant le pays des maîtres d'oeuvre, l'équipementier s'y trouve particulièrement pénalisé.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, nous souffrons également d'être une PME au sein d'un grand groupe, car ce dernier ne nous apporte pas d'aide, mais au contraire, nous place en situation de concurrence avec nos principaux rivaux.
Dans certains appels d'offres de R&T, où SODERN est en concurrence avec des maîtres d'oeuvre, l'un des critères d'attribution du contrat est le niveau d'autofinancement de l'entreprise. Cela est particulièrement injuste. Soutenir la compétition avec le maître d'oeuvre a, dans ces conditions, peu de sens.
In fine, l'enjeu pour l'État est le suivant : veut-on favoriser l'innovation à long terme ou simplement acheter le moins cher possible à court terme ?
Le crédit impôt recherche est un mécanisme qui fonctionne bien. Un autre dispositif a été mis en place récemment, celui de la recherche exploratoire et innovation (REI), qui intervient hors code des marchés publics et qui permet à la DGA de financer, par une procédure légère et à hauteur au plus de quelques centaines de milliers d'euros, un peu de R&T auprès des PME. Ce dispositif fonctionne, je dois notamment en signer un la semaine prochaine. Cela étant, il faut savoir que développer un viseur d'étoile pour le vendre à l'exportation revient à 12 millions d'euros.