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Intervention de Patricia Adam

Réunion du 27 novembre 2008 à 9h30
Reconnaissance et indemnisation des victimes des essais ou accidents nucléaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatricia Adam :

Comme beaucoup de mes collègues, je voudrais remercier Christiane Taubira qui, depuis de nombreuses années, se bat pour cette cause. Son exposé remarquable démontre une fois encore son implication.

Cette proposition de loi reprend trois conditions – le préjudice, le fait générateur et le lien de causalité – qui ouvrent à une victime le droit à être indemnisée d'un dommage. Sachant que la charge de la preuve pèse en principe sur le demandeur, autant parler de « fardeau de la preuve », comme le font d'ailleurs certains manuels juridiques.

Toutefois, dans des domaines où la preuve est difficile à apporter par les victimes – en matière de discrimination ou de harcèlement au travail, par exemple –, la loi aménage la charge de la preuve. La loi peut aussi créer une présomption légale postulant l'existence du préjudice dans une situation donnée, ainsi que l'envisage la proposition de loi lorsque le risque de contamination du fait d'essais nucléaires est révélé. Son adoption exonérera les personnes ayant été exposées à des radiations de prouver l'impossible, à savoir l'existence du lien de causalité entre l'exposition et les multiples pathologies recensées.

Cette proposition vise aussi à mettre fin à une hypocrisie génératrice d'une injustice sans précédent pour les victimes d'essais nucléaires. Certes, elle est présentée dans le cadre des niches parlementaires, trop peu nombreuses alors qu'elles redonnent toute sa noblesse à l'Assemblée nationale, comme le rappelait mon collègue Pierre Lellouche. À ce propos, monsieur le ministre, nous nous réjouissons de vos récentes déclarations par lesquelles vous vous engagez à présenter un projet de loi, précédé de la création d'un groupe de travail. Nous resterons bien sûr vigilants, car nous connaissons la difficulté à présenter des textes, compte tenu de l'encombrement du calendrier parlementaire.

Pourquoi attendre encore ? Pourquoi ne pas adopter dès aujourd'hui cette proposition de loi juste, raisonnable et acceptée par la quasi-totalité des parlementaires qui se sont exprimés avant moi, toutes tendances confondues. Il est urgent d'agir car le temps presse, comme le rappellent toutes les associations de victimes civiles ou militaires. Il y a quelques semaines, à Brest, j'assistais à l'assemblée générale d'une association de mon département où a été cité le nombre de personnes décédées et celui des personnes atteintes présentes.

Inutile de rappeler le nombre anormalement élevé de civils et de militaires contaminés après avoir été présents, à un moment de leur vie, dans une zone d'essais nucléaires. Inutile de dénoncer l'hypocrisie de la loi française qui persiste à refuser d'inscrire certaines pathologies dans la liste de celles résultant de cette exposition. Inutile d'insister sur l'obstacle quasi insurmontable que représente la classification sous le sceau du « secret défense » pour produire en justice les éléments probants.

Autre anomalie supplémentaire : la différence de traitement entre victimes civiles et militaires, soulignée dans le rapport Bataille-Revol, remis en février 2001 à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. On y lit par exemple : « Concernant la situation des personnes ayant été exposées à des radiations dans des conditions telles que se pose la question d'une pension d'invalidité, il apparaît nécessaire de mettre fin à la disparité constatée au détriment des personnes qui relèvent du code des pensions civiles et militaires par rapport à celles qui relèvent du régime général des maladies professionnelles (cas des agents du CEA et des entreprises extérieures). La présomption de causalité doit en effet être établie pour les premières comme elle l'est actuellement pour les secondes. » Cette recommandation est restée lettre morte.

Le deuxième alinéa de l'article L.2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre pose comme principe que « Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service » ouvrent droit à pension. Ensuite, le premier alinéa de l'article L.3 prévoit bien la possibilité pour les victimes de bénéficier d'une « présomption d'imputabilité au service ». Mais le troisième alinéa de ce même article se charge immédiatement de réduire la portée de ce principe à une peau de chagrin en disposant que : « En tout état de cause », doit être « établie médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et de l'infirmité invoquée. » Traduction concrète de ce dispositif : la preuve du lien de causalité entre essais nucléaires et séquelles détectées chez les possibles victimes devient quasiment impossible à fournir.

Pourtant, plusieurs de mes collègues l'ont rappelé, les témoignages d'anciens militaires présents sur les sites d'essais nucléaires ne manquent pas. Quasiment tous font état d'une absence totale de protection lors des tirs réalisés dans les régions chaudes du Sahara algérien ou de Mururoa. Par ignorance je l'espère, leur hiérarchie n'avait pas jugé utile de leur fournir d'autres équipements que des vêtements adaptés à la température, de poser des restrictions aux baignades dans les eaux du lagon de Mururoa ou à la consommation des produits issus de ces zones. Civils, militaires, habitants de ces zones n'ont jamais été entendus par une commission, une instance quelconque, voire le ministère de la défense.

Nombre de militaires présents rapportent qu'ils ne disposaient pas non plus de dosimètre individuel pour mesurer les taux d'irradiation, et que les résultats des prélèvements effectués après les essais ne leur avaient pas été communiqués. Or malgré l'évidence, la loi continue d'exiger de ces personnes une preuve impossible à fournir face au mur du temps et du secret.

Comme réponse à ces préoccupations, la création en 2004 de l'Observatoire de la santé des vétérans a débouché sur le lancement d'études dont les résultats ne seront disponibles que dans quelques années, et dont le Parlement n'est d'ailleurs pas informé. Pendant ce temps, d'autres vétérans seront décédés sans voir reconnu leur préjudice. Il ne s'agit pas tant d'argent – qui ne leur rendra pas la part de vie dont ils ont été privés – que de satisfaction morale.

Certains parmi eux, trop rares, ont pourtant vu leur ténacité récompensée, mais au prix de combien d'efforts et à quel stade de leur vie ! Récemment, le 4 septembre 2008, la Cour régionale des pensions militaires de Nancy a fait droit, en appel, à la demande d'un ancien soldat irradié en 1962 dans le Sahara algérien, M. André Geinex, âgé aujourd'hui de soixante-douze ans, cela au bout de huit années d'une procédure entamée en 2000.

Cependant, la décision de cette cour d'appel n'a pas pour effet d'unifier le droit et pourrait ne rester qu'un arrêt isolé, la cour ayant notamment constaté que les lésions de ce soldat étaient dues à un tir « plus puissant que prévu ». Est-ce à dire que son préjudice ne serait dû qu'au fait que l'essai en question ne s'est pas déroulé dans les conditions prévues ? Dans le cas d'une interprétation restrictive de cet arrêt, les vétérans verraient toujours leurs demandes rejetées par la justice dès lors que les essais se seraient déroulés dans des conditions « normales », car conformes aux prévisions initiales.

Avant ce récent arrêt de la cour de Nancy, seul un militaire – actuellement âgé de soixante-neuf ans – était parvenu à établir un lien de causalité entre un cancer de la thyroïde et sa participation à des essais nucléaires à Mururoa entre 1966 et 1972. Cet arrêt rendu par la cour d'appel de Rennes en mai 2007 n'avait pas donné lieu à un pourvoi en cassation de la part de l'État. Le détail est important, car la Cour de cassation, chargée de dire et d'appliquer le droit et non de juger les faits, casse quasi systématiquement les arrêts d'appel donnant raison aux plaignants, considérant que le lien de causalité ne peut être établi. Enfin, moins d'une dizaine des personnels civils présents sur des bases militaires a vu son préjudice reconnu.

La preuve étant quasiment impossible à fournir, la loi doit changer et établir une indispensable présomption de lien de causalité entre les essais nucléaires et les séquelles des militaires et des civils présents sur ces sites, afin que cesse ce scandale : des personnes largement diminuées sont privées des moyens de défendre leur cause devant la justice de leur pays.

Enfin, alors que certains s'interrogent sur la façon dont la France pourrait cultiver le souvenir de ses morts et célébrer leur sacrifice, il est primordial de rappeler qu'une nation s'honore en reconnaissant ses fautes et en les réparant. En l'occurrence, il s'agit de reconnaître une faute à l'égard de celles et ceux qui sont morts ou qui mourront parce que victimes d'un ordre ou d'une loi injustes qui les ont privés d'un des droits les plus élémentaires, celui de pouvoir faire entendre leur cause de manière équitable.

Chers collègues, nous vous demandons solennellement d'adopter ce texte en hommage aux victimes et à leurs familles, et pour redonner à ceux qui ont été frappés par cette injustice des raisons de croire que la France a cessé de les oublier. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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