La vérité passe par la reconnaissance du principe de présomption de lien de causalité entre les pathologies radio-induites et les essais nucléaires. Ce principe revient à inverser la charge de la preuve pour les victimes, leur permettant ainsi d'obtenir beaucoup plus facilement une indemnisation. Elles sont atteintes moralement comme physiquement. Nous devons donc leur éviter de subir le long et difficile processus de reconnaissance par les tribunaux.
En reprenant la notion de présomption d'origine, prévue dans la législation américaine, nous créons un droit à l'indemnisation. En effet, si la causalité n'est pas expliquée scientifiquement, sa présomption est attestée par de nombreuses études statistiques. Certes, des incertitudes subsistent encore sur l'effet des faibles doses, mais celui des fortes doses est connu, et doit être reconnu par la loi. L'association des vétérans des essais nucléaires a mené une étude de santé sur la base d'environ 1 500 réponses de ses adhérents à un questionnaire de santé : les résultats révèlent que 90 % des vétérans déclarent une maladie, parmi lesquels 33 % signalent un à trois cancers différents. L'incidence annuelle du cancer en France n'est pourtant, pour les hommes de moins de soixante-cinq ans, que de 17 %. La précocité du développement de la pathologie est aussi digne d'être remarquée : 76,4 % des malades du cancer déclarent avoir été atteints avant l'âge de soixante ans. En ce qui concerne les cancers du sang, la proportion de lymphomes et de myélomes représente vingt-cinq fois le taux de la population française.
En outre, une étude néo-zélandaise menée en collaboration avec l'équipe scientifique de l'Institut de cancérologie Gustave Roussy, sous la direction du professeur Claude Parmentier, a clairement montré que les anomalies de l'ADN sont trois fois plus nombreuses chez les vétérans d'essais nucléaires britanniques réalisés en 1957 et 1958 que dans un groupe apparié et du même âge non engagé dans des essais nucléaires.
Alors que les autorités françaises n'ont pas jugé nécessaire d'assurer un suivi de l'état de santé des descendants, l'AVEN remarque également l'incidence élevée des maladies héréditaires chez les enfants de vétérans. Monsieur le ministre, ne limitons pas cette reconnaissance aux victimes directement exposées lors des essais : n'oublions pas les descendants qui peuvent aussi subir l'effet des maladies radio-induites.
Osons reconnaître ces vérités et ne créons pas d'injustice. Personne ne peut endurer le silence que notre pays laisse perdurer. La vérité sur l'ensemble des victimes doit être affirmée et assumée par l'État.
La justice, quant à elle, passe par la création d'un droit à une juste indemnisation. Une fois la vérité reconnue, le principe de justice doit aussi nous conduire à instaurer un dispositif d'indemnisation comme l'ont fait le Sénat américain et les gouvernements néo-zélandais, australien, britannique et canadien. Nous devons mettre fin à des conditions d'indemnisation aléatoires, qui demeurent aujourd'hui insatisfaisantes, avec de lourdes procédures dont l'issue est toujours incertaine et rarement positive. Il existe actuellement des inégalités de réparations entre militaires et civils, entre Français de métropole et Français de Polynésie, bien qu'ils partagent les mêmes souffrances. Nous devons changer cela et mettre en place un régime de réparation intégrale des préjudices subis, au bénéfice des victimes directes comme de leurs descendants.
C'est tout le sens du droit à réparation, qui sera mis en oeuvre par le Fonds d'indemnisation des victimes des essais nucléaires prévu à l'article 3 de notre proposition de loi. Cette initiative législative forte doit s'accompagner de la création d'une Commission nationale de suivi des essais nucléaires, composée d'acteurs représentant l'ensemble des parties concernées. Prévue à l'article 4, elle sera à même de suivre les conséquences de ces essais, et de créer les conditions d'un dialogue réconciliateur.
Monsieur le ministre, il n'est pas acceptable de différer plus longtemps la mise en place d'un régime légal d'indemnisation destiné à assurer, sur l'ensemble du territoire de la République, un traitement égalitaire de toutes les victimes des essais nucléaires, sur le modèle de ce qui a déjà été fait pour les victimes de l'amiante.
Mes chers collègues, il est urgent de répondre au sentiment d'injustice que ressentent, du fait de l'indifférence des pouvoirs publics à leur égard, les personnes subissant chaque jour dans leur chair les conséquences des essais nucléaires. C'est pourquoi je vous propose d'adopter cette proposition de loi plutôt que d'attendre un hypothétique projet de loi l'an prochain. Elle est le fruit d'une démarche consensuelle : son adoption illustrerait la revalorisation du rôle du Parlement à laquelle nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)