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Intervention de Georges Colombier

Réunion du 27 novembre 2008 à 9h30
Reconnaissance et indemnisation des victimes des essais ou accidents nucléaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Colombier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd'hui pour aborder une question essentielle, celle de la reconnaissance et de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Une fois n'est pas coutume, je tiens à remercier le groupe SRC et notre collègue Christiane Taubira de cette initiative. Elle nous donne l'occasion de débattre à nouveau, avec vous, monsieur le ministre, de ce sujet majeur qui appelle – nous en sommes convaincus sur l'ensemble de ces bancs – une évolution législative.

La proposition de loi présentée par Mme Taubira soulève un vrai sujet de société et met en lumière un problème d'équité. Nos débats en commission des affaires culturelles, familiales et sociales, mercredi dernier, ont d'ailleurs confirmé la volonté partagée sur l'ensemble de nos bancs d'avancer sur cette question majeure afin d'améliorer l'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Le groupe UMP a pris plusieurs initiatives en ce sens, que je rappellerai brièvement. La proposition de loi déposée par mes collègues Yannick Favennec et Christian Ménard, que j'avais moi-même cosignée, allait dans la même direction. Plus récemment, je suis intervenu sur le sujet à cette même tribune, en marge de la discussion de la mission « Anciens combattants » du projet de loi de finances pour 2009.

Comme vous le voyez, monsieur le ministre, ce sujet intéresse, interpelle et préoccupe bien au-delà des bancs SRC ce matin. Le groupe UMP aussi est mobilisé pour entendre les attentes, déjà anciennes, des associations de victimes telles que l'Association des vétérans des essais nucléaires – l'AVEN – que je tiens à saluer.

Au préalable, je crois utile de rappeler quelques évidences de notre politique nucléaire. En premier lieu, il ne s'agit pas de remettre en cause le bien-fondé de cette politique. Depuis les années 1960, notre politique de dissuasion nucléaire fait l'objet d'un quasi-consensus, et des essais nucléaires ont été menés par des gouvernements de toutes sensibilités politiques. Deux cents essais nucléaires ont en effet été réalisés au Sahara et en Polynésie par les gouvernements successifs. Cette politique assure l'indépendance énergétique et militaire de notre pays, garantissant à la France son rang dans le monde.

Deuxième évidence : cette politique a eu des conséquences sur la santé de certains de nos concitoyens, militaires ou civils, ayant participé à des expérimentations dans le Pacifique ou le Sahara, ou ayant résidé à proximité des sites concernés. Tous les États qui ont procédé à des essais nucléaires ont admis que ceux-ci avaient pu avoir des conséquences sanitaires dommageables, et ont prévu des mécanismes d'indemnisation. C'est notamment le cas des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Australie et du Canada. Notre pays a lui aussi le devoir de reconnaître et de réparer les conséquences des essais nucléaires, et je crois pouvoir dire qu'un consensus national existe aujourd'hui sur la nécessité d'indemniser les victimes de ces essais.

Face à ce problème, les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs. Ils se sont engagés, au cours de ces dernières années, à améliorer l'indemnisation et le suivi sanitaire des victimes des essais nucléaires. Je voudrais donc rappeler en quelques mots les efforts entrepris depuis 2004.

En ce qui concerne le dispositif d'indemnisation, le ministère de la défense a instauré des règles générales d'instruction des dossiers de contentieux particulièrement protectrices pour les militaires victimes d'essais ou d'accidents nucléaires : le cas par cas – chaque dossier bénéficie d'un mémoire complet comportant un rappel des états de service et des bilans radiologiques –, la reconnaissance des pathologies en cas de doute ou de faisceau de présomptions, et l'application par analogie des maladies radio-induites figurant sur le tableau 6 des maladies professionnelles.

En outre, conformément à la ligne de conduite qu'il s'est fixée, le Gouvernement ne conteste pas systématiquement les décisions de justice qui lui sont défavorables, comme l'attestent les affaires Cariou, en 2007, et Geneix, en septembre dernier, dans lesquelles il ne s'est pas pourvu en cassation.

Dans le domaine du suivi sanitaire, le Gouvernement a également engagé des efforts conséquents. Je ne mentionnerai que quelques-unes des mesures prises depuis 2004 par les pouvoirs publics : la création en janvier 2004 d'un comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français, l'ouverture en janvier 2008 du droit à une consultation médicale gratuite auprès du service de santé des armées pour les personnels du ministère de la défense ayant séjourné sur les sites d'expérimentation nucléaire français, et la mise en oeuvre d'une enquête épidémiologique sur le risque sanitaire lié à la participation aux campagnes d'expérimentations nucléaires au Centre d'expérimentation du Pacifique entre 1966 et 1996, dont les résultats devraient être connus au premier semestre 2010.

Pour autant, force est de constater que ces efforts demeurent insuffisants. Un certain nombre de nos concitoyens, militaires et surtout civils, peinent encore à faire reconnaître leur caractère de victimes et à obtenir une indemnisation à la hauteur du préjudice subi. Les procédures contentieuses sont longues et leur issue – il faut bien le reconnaître – souvent aléatoire. La mobilisation des associations et notamment de l'AVEN, que nous connaissons bien et avec laquelle nous travaillons étroitement, en témoigne. J'ai la conviction, avec un grand nombre de mes collègues, que nous devons aujourd'hui aller plus loin et reconnaître, au nom du principe d'équité, un droit à indemnisation pour les victimes des essais nucléaires.

Comme vous le voyez, madame la rapporteure, nous partageons votre constat. En revanche, nous ne vous rejoignons pas sur les réponses que vous préconisez. En particulier, le dispositif juridique proposé me semble poser plus de problèmes qu'il n'apporte de solutions.

Tout d'abord, il prévoit un champ d'application excessivement large, qui concerne non seulement les essais nucléaires, mais aussi les accidents nucléaires pour toutes les personnes, militaires et civiles, ayant travaillé ou résidé à proximité des sites concernés. Le champ ouvert est sans limite dans la mesure où la proposition de loi introduit la notion d'activité à risque radioactif, sans aucune référence à une dosimétrie. Une telle définition concernerait tous ceux qui sont soumis aux rejets autorisés des centrales nucléaires électriques, des installations de l'industrie nucléaire, des hôpitaux, c'est-à-dire toute la population française ! Cette disposition semble d'autant plus inadaptée que la dose d'exposition est une mesure physique qui peut être établie de manière individuelle, collective et donc aussi comparative.

Ensuite, le dispositif proposé établit un lien trop systématique entre la présence sur les lieux d'expérimentation nucléaire et l'exposition éventuelle à des rayonnements dangereux. L'instauration d'une telle présomption de lien de causalité entre les pathologies radio-induites et les essais nucléaires semble difficilement acceptable sur les plans non seulement juridique, mais aussi scientifique. D'après le rapport final du Comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français remis le 3 juillet 2007, il n'est en effet pas possible de considérer a priori que tout militaire ayant travaillé sur les sites d'expérimentation a été exposé à des rayonnements dangereux si aucun incident particulier n'est consigné dans son dossier personnel. De même, pour le personnel civil, il n'existe aucune raison objective de recommander l'extension d'un régime de présomption d'origine à d'autres maladies que celles auxquelles il s'applique déjà dans le cadre de la reconnaissance des maladies professionnelles.

Enfin, il ne me paraît pas adapté de viser dans un même texte les accidents nucléaires civils, pour lesquels un régime juridique d'indemnisation est déjà prévu par des conventions internationales – convention de Paris de 1960 et convention de Bruxelles de 1963 – ainsi que par la loi du 30 octobre 1968 relative à la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire, et les conséquences des essais nucléaires militaires, qui n'ont quant à eux jamais fait l'objet d'un texte de loi.

En somme, je considère que si la proposition de loi de Mme Taubira a ouvert un vrai sujet, elle n'apporte pas les solutions appropriées. Le règlement de ce problème ancien et complexe nécessite la poursuite d'une concertation approfondie avec les pouvoirs publics et les associations de victimes sur un texte réellement consensuel et s'appuyant sur des fondements scientifiques reconnus et indiscutables.

Monsieur le ministre, nous attendons des pouvoirs publics un geste politique fort en faveur de ceux de nos concitoyens qui ont servi loyalement notre pays. Conscient de l'importance du sujet, vous vous êtes engagé officiellement, au nom du Gouvernement, à déposer un projet de loi reconnaissant les conséquences sanitaires des essais nucléaires, au plus tard au premier trimestre 2009.

À l'occasion d'une réunion de travail, vous nous avez dévoilé les grandes lignes d'un avant-projet de quatre articles datant du 6 novembre dernier…

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